IMMORTELS ORDINAIRES
Wilhelm, Willy, décida de fuir son pays ; en 1933 ; Willy était communiste , allemand , ouvrier , né dans la Ruhr . J’ignore quel âge il avait quand il prit cette décision mais très jeune en tout cas. Sa famille proche était Luthérienne ; pas lui, il n’était pas croyant ; dans sa famille on était de gauche , plutôt social -démocrate …. ; il fut le seul parmi ses proches à avoir compris ce que signifiait la venue de Hitler au pouvoir ; la culture protestante qui l’avait bercé lui avait donné un sens de la rigueur et même du rigorisme . Son refus de rester dans son pays était violent ; il partit à bicyclette, traversa le Rhin , puis une partie des Pays Bas , traversa la Belgique puis arriva en France où il voulait s’établir ; il était réfugié et illégal ; il rencontra le « Secours Rouge » ancêtre du « Secours Populaire ».
Esther vivait à Paris ; elle était venue en France depuis sa Pologne originelle , de Lublin exactement ; juive pour les nazis , elle avait fui les ghettos , les schtetl , tout ce qui était la vie d’avant ; elle avait choisi la France pour y avoir enfin « une vie normale » ; elle était féministe avant l’heure ; communiste française , elle militait avant tout au Secours Rouge ;elle y rencontra Willy . Ils se marièrent ; Willy apprit le yiddish dont les mots allemands déformés et l’humour grinçant le faisait rire aux éclats . Une histoire banale….
En 1940, les nazis occupèrent la France . Willy et Esther décidèrent de travailler aussitôt avec les réseaux de Résistance antifasciste qui se constituaient ; ils furent en relation avec l’Orchestre Rouge dont ils furent les familiers de nombreuses figures .
Les nazis avaient occupé la France et s’occupèrent aussitôt d’ "administration " ; avec l’aide de la Police vichyste , ils passèrent au cribles les registres ; ils savaient que des très nombreux allemands de gauche s’étaient « réfugiés » en France , en particulier à Paris. En 1943 ils mirent la main sur Willy . Lequel dut endosser l’uniforme de la Wehrmacht . Pour une raison quelconque, il ne fut pas envoyé de suite au Front ; sa connaissance du français le fit utiliser par la Wehrmacht au « Revier » , Hôpital militaire …. Comme interprète. Mais l’activité clandestine du couple ne cessa pas pour autant ; la Résistance notamment communiste s’était considérablement étoffée. L’activité clandestine du couple était devenue banale ….
Au début 1944, le réseau fut dénoncé et trahi et le couple fut traduit devant la Justice Militaire nazie ; Esther était juive mais ces experts en « race juive » ne le devinèrent pas ….Elle était d’origine polonaise et cela suffisait pour que Willy soit accusé de « Rassenschande » ( honte raciale ) ; battus , sommés d’avouer et étant muets , accusés de haute trahison , ils furent condamnés à mort et en attendant d’être exécutés furent incarcérés dans le quartier des condamnés à mort à la Prison de Fresnes .
Esther était enceinte et la grossesse assez avancée pour que naquit en prison une fille. Une sage-femme française assista l’accouchement et fit la déclaration d’Etat Civil ; cette déclaration fut l’un de ces innombrables actes de résistance anonyme : la fille était née en France et à la barbe de la surveillance nazie, fut déclarée française petit miracle aux immenses conséquences au temps de Sarkozy …. .
Willy découvrit en même temps que le soldat qui surveillait sa cellule était « un pays » ; il lui demanda de faire ne sorte que sa fille soit sauvée en la faisant transférer dans sa famille, dans la Ruhr , ce qui fut fait .
La peine de mort fut « commuée » en déportation ; pourquoi ? Nul ne sait répondre à cette question ; la bureaucratie nazie avait sans doute aussi ses grains de sable ; le couple n’avait rien dit ; on n’avait pas de « preuves » de leur activité …. Le résultat fut que Willy partit à Buchenwald et Esther à Ravensbrück.
La résistance, notamment communiste était organisée à Buchenwald et la solidarité entre femmes à Ravensbrück. Le couple en sortit vivant, séparé mais vivant ; Buchenwald fut évacué en partie, par les SS craignant l’arrivée des Alliés ; Willy fit partie de la « marche de la mort ». Sonia, la fille du soleil, ne retrouva ses parents qu’à l’âge de dix-huit mois. Le burnous qui l’enveloppa à la prison est conservé. Elle devint la femme de l’auteur de ces misérables lignes écrites à l’heure où on encense la mémoire d’une rescapée d’Auschwitz qui s’écria « plus jamais ça « sans qu’on sache vraiment ce qu’était « ça » . Mes beaux-parents n’aimaient pas parler de cette histoire ; comme beaucoup de ceux qui en étaient sortis ; pas par honte, mais à cause de la souffrance indicible de ces souvenirs. Sonia transcrivit les feuillets où son père raconte mais c’était le début de l’ère informatique et le disque dur qui contenait ces textes, lâcha sans prévenir. On ne fit jamais appel à eux pour témoigner ; ils ne se considéraient pas comme des héros ; pour Willy la garantie du « plus jamais c’était l’existence de la RDA ; tous deux disparurent peu de temps avant le basculement du monde. Ils font partie désormais des Immortels ORDINAIRES.