UN PARALLELE EXOTIQUE (III)
Je reprends ici le cours de cette étude , entretemps beaucoup d’évènements se sont produits , on a pu lire dans l’Humanité l’incroyable entretien de A Tsipras (à la chaine de télévision Sto Sokinno) qui décidément mérite les éloges que je lui ai décernés ; il n’existe pas beaucoup de documents de cette taille ; je me flatte d’avoir analysé sans connaître les détails ce qui a conduit aux décisions lourdes qu’il a prises en toute responsabilité ; sa discussion sur les parties A et B du référendum sont très éclairantes ,fondamentales même , et évidemment on ne peut pas s’attendre à ce que les médias Français y insistent mais on aurait pu l’attendre de Médiapart…….Je souhaite ardemment que les abonnées et abonnés à Médiapart lisent avec attention ce document avant de « commenter » dans le vide ; je ne demande pas qu’elles ou ils changent de point de vue après ça . Cette interview signe un révolutionnaire du XXI° Siècle qui a tout assimilé des batailles gigantesques d’hier, un révolutionnaire qui n’a rien abdiqué , ni avant, ni pendant , ni après . Je n’en dirais pas plus pour le moment ; mais aussi entretemps, on voit apparaître des « théories » qui ravissent les lecteurs portés à la spéculation et qui dans un langage savant développent l’idée selon laquelle l’ordo-libéralisme se distingue du libéralisme en tant que courant idéologique, puis insistent sur l’adhésion absolue de W Schäuble au premier pour en « déduire » les objectifs de ce dernier ; des lectrices et des lecteurs attentifs n’ont pas manqué de souligner que déjà avec l’idée d’un « arrière-pays ( allemand ) utile « , il y a de quoi tousser ; dire qu’en fait ce que recherche Schäuble est le départ de pays entiers de la zône euro et de l’UE, pays incapables de se plier aux règles qu’il édicte, avec le calcul délirant selon lequel cette situation provoquerait le chaos dans ces pays puis leur conquête par un fascisme réel ou renouvelé ( réel en Grèce ), puis, la suite de cette terrible « expérience » conduirait pour les peuples concernés à considérer les diktats de l’ordo- libéralisme comme un paradis à côté, est une idée glaçante , non pas parce qu’elle reflète – peut-être, une part de réalité , c’est à voir , personnellement, je n’en crois rien – mais parce qu’un tel calcul s’apparente bien davantage au nazisme qu’à quelqu ’autre courant que ce soit et que c’est faire à W Schäuble beaucoup d’honneur que de laisser penser que c’est un esprit mû par une « pensée » ; la chose à mon sens a aussi l’immense défaut de laisser croire qu’au fond , l’ordo-libéralisme est une conception du monde , une « Welt- Anschauung » distincte par une frontière étanche du libéralisme tout court tel qu’on le comprend aujourd’hui c’est-à-dire le bruit de fond du capitalisme d’aujourd’hui ; de là à penser qu’il s’agit de dénoncer l’ordo-libéralisme pour sauver le libéralisme tout court…….. il y a un pas que je franchis personnellement (le mot capitalisme n’est jamais prononcé dans ces articles !!!!) . Et en dernier lieu un tel calcul hautement « stratégique » ne tient aucun compte des peuples qui dans cette vision « sont agis » mais ne sont en aucun cas des acteurs centraux.
A Alexis Tsipras, le CHOIX présenté a été « le Garrot ou la Baignoire », voilà la vérité ! Il a choisi la baignoire car cela donnait encore la possibilité de donner au peuple grec un peu de respiration pour assimiler, repartir au combat ensuite ; le garrot c’était la mort immédiate. Et ce choix, la classe dirigeante allemande l’a élaboré, entourée certes de complices comme divers pays d’Europe du Nord qui, à l’exception des Pays Bas où les activités bancaires de la haute finance sont devenues une seconde nature, sont des marionnettes dans les mains des dirigeants allemands à qui ils doivent tout ; (les dirigeants finlandais en particulier n’ont semble- t-il rien appris et rien oublié……….)
Des personnalités politiques qui sont capables d’envisager en Europe aujourd’hui de semblables choix sont le rebut de l’humanité et devraient sans autre forme de procès désignés à la vindicte, à gauche, quelle que soit l’infinie variété de son spectre .
Une fois cela dit j’en viens à mon propos ; je commence par la Physique contemporaine : dans l’ouvrage cité, Lee Smolin dresse une fresque gigantesque du parcours de la physique à partir des extraordinaires découvertes et avancées conceptuelles qu’ont constituées la Mécanique Quantique d’un côté, la théorie de la Relativité de l’autre. Après cela , demeure un problème majeur, à savoir que les deux théories ne sont pas compatibles , la première traite apparemment de dimensions infiniment petites , la seconde traite de l’Univers entier ; or le monde subatomique est partie constituante de l’Univers ; ceci conduit donc à tenter de comprendre pourquoi il y a incompatibilité et si possible de DEPASSER les deux théories par une conception fondamentalement nouvelle ; des progrès considérables furent faits pendant le dernier demi-siècle donnant naissance- entre autres - à ce qu’on appelle « le modèle standard » et si le Boson découvert au CERN en 2014 est bien le Boson de Higgs , pas une de ses variantes , celui-ci sera conforté mais ……….. on n’aura pas avancé d’un millimètre pour autant dans la découverte de la théorie pour laquelle la Mécanique quantique et la Relativité vivent ensemble ; on peut s’en tirer en disant , c’est le point central , que la force de gravitation s’exerce dans tout l’univers, que la particule censée en être le vecteur n’a jamais été décelée et qu’au contraire les forces du monde subatomique y sont à ce point prédominantes que la gravitation y est négligeable, qu’au contraire de la gravitation ,la force de l’interaction forte, par exemple ne se propage pas au-delà des niveaux subatomiques et qu’il faut se résoudre à vivre avec deux théories inconciliables, mais personne de sérieux ne peut accepter ça ; l’Univers est UN ; son UNITE est justement l’infinie diversité de ses formes ; toute autre vision est pur relativisme .
Voilà ce que dit à cet égard Lee Smolin : « L’histoire que je vais conter peut être lue par certains comme celle d’une tragédie. Pour le dire brutalement et souligner d’emblée où je veux en venir, nous avons FAILLI » ; « Nous avons hérité d’une science , la physique qui a progressé si vite et pendant tant de temps que celle –ci pouvait être considérée comme le modèle selon lequel d’autres avancées scientifiques devraient être faites dans d’autres domaines » ."Pendant plus de deux siècles jusqu’à la période présente, notre compréhension des lois de la nature a cru rapidement . Mais aujourd’hui malgré des efforts considérables, ce que nous tenions pour certain relativement à ces lois n’est rien de plus que ce que nous en savions dans les années 1970. »
J’arrête là pour un moment : le parallèle avec le déroulé de l’Histoire humaine et en particulier européenne au sens large est stupéfiant ; on savait en principe ce qu’était le capitalisme et les moyens d’en sortir en gros jusque dans les années 1970 et ce quels qu’aient été les signaux avant-coureurs du désastre à l’Est de l’Europe ; mais à première vue, nous « ne savons rien de plus » que ce que nous savions dans les années 1970 ; en gros , le marxisme ( qui n’existe pas en tant que corpus constitué , j’utilise le mot pour aller vite et abus de langage assumé) était une, voire la seule, référence à gauche . Le capitalisme était au début d’une crise SYSTEMIQUE sans équivalent dans l’histoire.
Je pourrais développer longuement, à bon escient, MAIS je ne suis pas dupe de mon parallèle bien que celui-ci comporte aussi des leçons comme on le verra.
Entre les deux questions évoquées et la double crise, celle de la Physique et celle d’une nouvelle conception du monde il y a une IMMENSE différence ; la Physique a besoin d’une théorie SANS ARRIERE PLAN ( la mécanique quantique a un arrière-plan celui du monde subatomique , la théorie de la relativité vise à s’échapper de tout arrière- plan mais n’y est pas parvenue à ce stade sauf à IGNORER le monde subatomique; la théorie quantique des champs inclut la relativité RESTREINTE mais pas celle de la GRAVITATION ) ; mais il est absurde de faire quelque chose d’analogue en politique ; l’ arrière – plan ce sont les peuples ; allez donc penser hors d’eux . Par parenthèse, c’est ce que fait W Schäuble pour lequel « les gouvernements peuvent changer, mais pas les traités », lesquels, comme on le sait, sont, soit rejetés par les peuples consultés, soit ne sont pas soumis à consultation populaire.
De plus, il est devenu évident que le poids des peuples, leur intervention directe sous toutes les formes possibles constituent pour l’objet de ce Billet tout autre chose qu’un simple arrière –plan pour une « théorie » quelle qu’elle soit, la cas de la Grèce est assez significatif en Europe pour ne rien dire de l’Amérique du Sud , de la Palestine etc…. .
Cela précisé, on peut encore néanmoins pousser plus loin le parallèle : en Physique contemporaine, un rôle déterminant est joué par « le Principe de moindre action » ; en fait, ce qui est appelé action – que nous ne définirons pas – peut, dans ce cadre, passer LOCALEMENT par un extremum qui n’est pas un minimum mais un maximum ; en y songeant, le principe darwinien sur la sélection naturelle s’APPARENTE aussi au principe de moindre action.
Toujours en y songeant un peu, il n’est pas si difficile de voir dans les deux Lois fondamentales du mouvement du capital chez K Marx (Loi de la valeur et Loi de la tendance à la baisse du taux de profit) les EQUATIONS DE MOUVEMENT du capital ; ce qui suppose aussi un principe de moindre action.
Dans ces exemples, le fait que les Lois ne s’expriment pas de la même manière qu’il s’agisse de la Mécanique, de la Biologie ou de l’Économie du capital, n’utilisent pas les mêmes formalismes mathématiques, voire aucun, ne fait rien à l’affaire.
Poursuivant sur cette lancée sans nous y attarder, il est loisible de voir dans les révolutions sociales une version particulièrement nette d’un maximum de l’intervention populaire ; que peut-on dire de l’action des forces organisées relativement aux classe sociales ? ; dans ce parallèle nous n’examinerons que deux aspects pour revenir ultérieurement sur un troisième ; il est classique de dénommer « conservatrices » les forces organisées de ce qu’on appelle « la droite » ( ce n’est plus une terminologie française depuis longtemps) ; on peut hurler à bon droit contre l’appellation « conservatrices », laquelle sert des objectifs politiques évidents ; ces forces qui sont partout les expressions plus ou moins concentrées des exigences du capital ne conservent RIEN de ce qui existe, tout en élargissant sans cesse la puissance de contrôle du système MAIS leur ACTION correspond justement à un PRINCIPE DE MOINDRE ACTION , par quoi elles sont « conservatrices » : la moindre action est ici celle de l’intervention populaire , laquelle n’est CONVOQUEE que dans le but explicite de MINIMISER SON ACTION. Quant aux forces de la social –démocratie, sa crise actuelle est, de mon point de vue, profondément liée au fait qu’elle cherche désespérément à ECHAPPER AU PRINCIPE DE MOINDRE ACTION et à CONVOQUER ESSENTIELLEMENT……….les forces d’inertie.
Arrêtons là pour un moment : on l’a dit, l’auteur n’est pas dupe de son parallèle ; mais les analogies sont si frappantes qu’il peut être utile d’y recourir : entre la crise de la Physique contemporaine et celle de la civilisation au cœur de laquelle on trouve celle, systémique , du capitalisme il y a un lien ; pour la réflexion qui suit, on verra que ce n‘est pas simplement « une vue de l’esprit » ; on dira peut-être « si non e vero , e bene trovato » , pour les lectrices et lecteurs les plus indulgents.
La communauté scientifique aujourd’hui comporte quelques dizaines de milliers de personnes dans le monde et pour la Physique contemporaine c’est une dizaine au plus ; les discussions qui s’y déroulent ont un rapport étroit avec l’objet de notre étude : citons l’un des Physiciens les plus en vue aujourd’hui – nous ne préciserons pas son nom ; invité à une conférence sur le thème « les ALTERNATIVES A LA THEORIE DES ………. », il s’exclame « Quelle alternative ? Il n’y a pas d’alternative à la THEORIE DES ….., LES SEULES IDEES INTERESSANTES SONT CELLES DE LA THEORIE DES …. » ( Cité par Lee Smolin ) .
Et si, après ça, vous ne voyez toujours pas le rapport …….. C’est désespéré.
J’y insiste, je ne suis pas dupe de mon parallèle ; j’ai montré déjà une différence fondamentale ; il y en a une seconde ; la Physique a BESOIN DE THEORIE ; la Science a besoin de Théories ; dans une large mesure qui n’exclut jamais les transgressions, on APPLIQUE une théorie pour commencer à travailler. Tout autre est la question de la politique : les partis politiques mettent en œuvre UNE STRATEGIE qui peut ne PAS se réduire ni être même en première approximation la CONQUETE DU POUVOIR POLITIQUE ; mais aucun parti politique « n’applique une théorie » . On peut s’étonner : lorsque F Hollande a les yeux fixés sur « la courbe du chômage », n’applique-t-il pas une « théorie » ? La classe dirigeante allemande n’applique-t-elle pas une « théorie » ?
Il faut y regarder à deux fois : les entourages, en particulier tout ce qui concerne l’économie se comportent selon ce qu’on peut appeler l’application d’une théorie à savoir celle de l’ « économie » appelée néo-classique.
Pour qu’une Théorie mérite ce nom en science , elle doit répondre à différents critères fondamentaux : avant tout, elle doit être PREDICTIVE ; par quoi la démarche scientifique est TOUJOURS RISQUEE ; le fait qu’une Théorie scientifique doive être PREDICTIVE pour mériter le nom de Théorie n’équivaut pas à sa « falsifiabilité » au sens de K Popper – sujet au sujet duquel nous ne dirons rien ici – mais en tout cas la Prédictivité implique un RAPPORT direct avec l’ « EXPERIENCE » que celle –ci soit pratiquée à l’aide d’outils ou soit de pensée comme cela a été plusieurs fois le cas , l’expérience de pensée devant un jour ou l’autre être confirmée ou non par l’ « expérience » au travers d’outils ( L’expérience de pensée du chat de Schrödinger est l’une de celles qui indique a priori que dans la Théorie concernée , quelque chose ne va pas ; elle indique de ce fait LES LIMITES d’une théorie donnée mais ne l’invalide pas pour autant ; aucune « expérience » ne vérifiera si un chat est dans un « état combiné vivant et mort" ; les travaux de S Haroche récents ont apporté la lumière à cet égard et sans expérimenter sur les chats ) . Il va de soi que le mot « expérience » a ici un sens précis que nous ne détaillons pas.
L’économie néo -classique est le prototype d’une théorie NON PREDICTIVE. Depuis des décennies, elle ne prédit rien ; elle est donc stérile mais cela n’empêche aucunement ses partisans de s’exclamer « TINA », comme le physicien réputé dont nous avons parlé. Le keynésianisme d’un P Krugman qui adhère en fait sans s’y confondre et même en y étant opposé dans une large mesure, au marxisme économique EST PREDICTIF. Dans son corpus pris au sens le plus général, la théorie marxiste du mouvement du capital EST PREDICTIVE ; l’annonce de l’entrée dans la phase de la crise systémique du capitalisme a été lancée bien avant qu’on en constate la réalité concrète dans ses développements terrifiants.
De la théorie néoclassique, les entourages des gouvernements de droite ou social-démocrate tirent des anticipations qui seraient des prédictions s’ils s’appuyaient sur un corpus déjà validé antérieurement ; il en est ainsi de la « courbe du chômage » dont l’inversion fait davantage l’objet de suppliques à Lourdes que de conclusions nécessaires. On ne peut sûrement PAS parler d’ « échec » pour ce qui concerne le relèvement temporaire du taux de profit du capital mais pour ce qui concerne le taux de chômage c’est une autre affaire. Pourtant « on » s’acharne : et comme le dit benoîtement notre GRANDE LUMIERE ECONOMIQUE, F Lenglet « ça peut marcher » ; si « ça marche », (sur une période de 6 mois, un an ???? ) que pourra-t-on en conclure ? Justement RIEN. L’inversion hypothétique de la courbe du chômage serait relative à des acteurs et des forces exogènes tels que le gonflement soudain de l’industrie de l’armement, l’éventuel effet cyclique de l’économie des États-Unis , d’un possible effet d’entrainement dû aux échanges avec l’Allemagne,– bien que personne n’y croie sérieusement , les signaux même provenant des économistes néo-classiques sont pour cette dernière tous au rouge malgré les fanfares....... , et cela n’est en rien de la « mauvaise foi » ; même ceux qui ont tout misé sur la politique économique de F Hollande savent que la courbe de l’emploi suit d’autres déterminants que les Pactes , ce qui n’empêche pas le MEDEF d’en demander toujours davantage ; quant aux forces de droite , fidèles à elles -mêmes et suivant ou anticipant les oracles de la Commission Européenne , elles attribuent l’absence de « résultats , non pas au fait que les politiques suivies s’inspirent de « Théories » devant être abandonnées sans retour mais justement à l’inverse à savoir que celles auraient été « insuffisamment appliquées ».
A quoi bon d’ailleurs considérer ces personnages comme des interlocuteurs potentiels : ils ne respectent même pas ceux qui sont dans leur camp : car , ne nous y trompons pas , les keynésiens rigoureux comme P. Krugman critiquent avec véhémence les néo- classiques et ceux qui s’en inspirent mais de l’intérieur du système qu’il aimerait sauver contre lui-même et dont il pressent , à juste titre , que les politiques jusque-là suivies mènent à la catastrophe . D Tusk, autre acolyte de W. Schäuble est si possible encore plus net que son maître : « des discussions intellectuelles brillantes » il n’a que faire.
Mais si dans le petit monde de la physique contemporaine, le nécessaire débat scientifique a pris une tournure malsaine, c’est tragique mais n’engage pas l’avenir de peuples entiers.
Ainsi la question posée n’est pas droite-gauche , en tout cas pas de façon complète ou irréductible ; ce qui implique aussitôt la question de savoir comment la question se pose du côté de l’émancipation humaine ; notons déjà que les communautés qui en discutent ne sont guère plus nombreuses que celles des physiciens d’aujourd’hui . On y reviendra.
C’est ce que nous développerons dans la Partie IV de ce Parallèle ;mais si celui-ci a une quelconque utilité politique c’est en tout cas de faire percevoir qu’on ne peut pas en sortir avec les méthodes et les concepts d’hier car « “Celui qui ne veut pas appliquer de nouvelles solutions s’expose à de nouveaux déboires. Car le TEMPS est le grand innovateur ».