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Billet de blog 4 juillet 2017

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« La France était à Londres… »

Une page oubliée

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                                                                                     « La France était à Londres… »
Sur une page oubliée.

Max décida de venir en France pour y étudier la Médecine ; la faculté de Médecine de Strasbourg, était déjà célèbre dans les années 20. Il quitta donc  sa « Roumanie natale » avec laquelle il n’avait aucun lien affectif et comme il eut l’occasion de le dire à son fils « avec le régime du Roi Karol, Antonescu et sa Garde de Fer , le destin d’un juif était de finir à un croc de boucher » ; le père de Max avait disparu lorsqu’il était encore un bambin ; sa mère tenait une officine de tabac où se vendaient aussi des timbres fiscaux comme en France il y a encore quelque temps ; son frère aîné qui n’avait ni goût ni talent pour les études avait trouvé du travail et gagnait sa vie comme il pouvait, mais il admirait son cadet et décida de l’aider matériellement à réaliser son rêve.
Arrivé en France , Max rencontra d’autres étudiants roumains juifs d’origine qui l’instruisirent rapidement ; Max découvrit ainsi Romain Rolland et Roger Martin du Gard , Emile Zola et Victor Hugo, beaucoup d’autres ; son paysage s’éclaira ; la Révolution française , il n’en connaissait que des bribes ; la Roumanie faisait partie avant la Première Guerre Mondiale de l’Empire Austro Hongrois et la langue courante était l’allemand que Max parlait à la perfection ; les vagues échos de la Révolution française lui étaient parvenus à travers Heine, Goethe , Schiller ,des auteurs encore autorisés jusqu’à ce que le pays devienne fasciste avant la lettre . Ce qu’il découvrit de la France pendant ses études ne s’effaça jamais ; il eût fait un scandale en entendant ce que l’on dit aujourd’hui de Robespierre ; il comprit pourquoi c’était « La Grande Nation » et décida de l’adopter sans retour ; des dizaines de milliers d’immigrants avaient fait le même choix au cours du temps ; s’il avait été croyant, sa foi avait disparu ; une autre espérance s’était faite jour.
Fin des années 20, le nazisme commençait à faire parler de lui ; Max, comme beaucoup d’autres étudiants, s’engagea totalement dans l’Union des Etudiants roumains antifascistes et y découvrit le Parti Communiste Français. Fin 1933, il avait son Doctorat de médecine en poche et droit d’exercice ; c’était, comme on l’a dit, beaucoup trop de découvertes pour que Max songe un instant à revenir là où il n’y avait pas de « chez lui ». En France, il était un citoyen ;1934 le rattrapa par les cheveux. Le coup d’Etat fasciste des Croix de Feu de février 1934 avait échoué mais le gouvernement qui suivit décida d’expulser les individus « dangereux » et Max en fit partie. Il revint en Roumanie et sur le chemin, y croisa Lucie qui devait devenir sa femme ; celle -ci était fille unique d’une famille d’avocats juifs aisés de Vienne ; le père de Lucie était un homme de gauche, familier du célèbre satiriste Karl Kraus ; quant à sa future femme, le français était pour elle une seconde nature qu’elle parlait à la perfection sans la pointe d’accent indéfinissable que conserva Max et à cause duquel il conserva un complexe absurde. Max avait eu l’occasion de lire de grands auteurs mais Lucie lui ouvrit un autre monde, celui des peintres impressionnistes, de la musique, de la culture au sens le plus large ; ils décidèrent de venir s’établir en France à la première occasion.
Celle-ci se présenta en 1936 ; il était évident pour eux que le Front Populaire allait balayer tous les miasmes antérieurs ; Max était illégal, pas Lucie ; tous deux pensèrent qu’ils seraient bientôt naturalisés ; mais le gouvernement du Front Populaire avait d’autres sujets de préoccupation…. Max songea à s’engager dans les Brigades Internationales mais ne donna pas suite : il n’avait pas vocation à devenir un héros ; il voulait une vie normale, pas l’aventure. Illégal, il avait néanmoins le droit d’exercice au moins tant que sa situation ne serait pas élucidée .1938 arriva, et avec cette année l’ « élucidation » commença . Max fut assigné à résidence dans un petit bourg d’Isère, Pontcharra / Bréda ; son droit d’exercice n’avait pas été annulé. La chose méritait un prix d’humour noir ; à cette époque, nul à Pontcharra ne pouvait ignorer que le Dr Max était « assigné à résidence » ; on chuchotait ; pas un patient ne se présenta pendant des mois ; un jour de 1939, on sonna ou on toqua. Le couple était tétanisé : surement la Police ; mais c’était un ouvrier de la Papèterie, la grande usine proche du bourg ; il avait le bras bandé et pour le Dr Max c’était clairement un accident du travail ; mais la Papèterie avait un médecin du travail appointé par le Patron et pour ce médicastre appointé appelé FASSI fort à propos, accorder des congés pour accidents du travail , tenait de l’hérésie. Toujours est -il que l’accidenté fut suivi de centaines d’autres qui se mirent à venir régulièrement consulter le Dr Max. Le médicastre devint furieux.
En Août 1939, à la stupeur générale, l’URSS signa le pacte de non-agression ; le blessé qui s’était montré le premier chez le Dr Max vint le voir sous un prétexte ; l’ « Humanité » dépassait de sa poche et le Dr Max l’interrogea avec angoisse mais son ex patient lui dit de garder confiance et que « la grande explication » aurait lieu d’ici peu .
Fin 1939 , le Dr Max fut arrêté sur dénonciation en tant que « citoyen dangereux » et transféré quasi aussitôt au Camp de Loriol qui était un lieu de « transit » où des centaines de détenus erraient en demandant au Bon Dieu de quoi ils pouvaient être coupables ; de Loriol , le Dr Max fut transféré au Camp du Vernet ; les Républicains espagnols de la Retirada en occupaient une partie , l’autre était constituée de droit- communs et de citoyens « dangereux »,mais entre les deux parties du camp , la frontière était étanche . En Juillet 1940, P Pétain avait obtenu les pleins pouvoirs d’une Chambre amputée des députés communistes emprisonnés. L’« élucidation » se poursuivit aussitôt ; tout avait été préparé à cet effet ; le Dr Max fut transféré dans un camp de détention aux confins du Sahara algérien, DJELFA . Cette « colonie de vacances » pétainiste n’était pas Auschwitz et on n’y tuait pas les détenus de façon industrielle ; on les laissait mourir ; l’eau croupie, les sangsues dans les gorges assoiffées , le typhus …. ; les conditions sanitaires y étaient effroyables et c’était une sorte de bagne avec des marabouts sommaires pour « dormir » dans le contexte saharien : four en plein jour , glacial la nuit.
Lucie, dans un état second, folle de douleur, complétement livrée à elle-même, ne sachant à qui s’adresser décida de sauver son Max, de le tirer de l’enfer. C’était de la folie. Mais, en 1940, beaucoup de dispositions avaient été préparées, pas tout ; avec l’Armistice, a fortiori , mais les filets étaient encore lâches ; Lucie avait un passeport autrichien en règle ; elle décida d’aller à Vichy et parvint à obtenir une audience auprès d’un Haut Fonctionnaire . Celui-ci toisa la jeune femme, pensa « Joli morceau », et tout de suite « Que peut bien me faire que le Dr Max soit coupable ou non, le libérer ne coûte rien ; il sera de toutes façons pris ensuite par la Gestapo ; je me paierais sur la bête après » ; bien que fictif, ce passage ne l’est qu’à demi ; après-guerre , le couple ayant déménagé , le « Haut Fonctionnaire » qui, sans doute ne l’était plus, trouva le moyen de retrouver ses traces et harcela Lucie chaque année à la même date ……….
Le Dr Max fut convoqué par le Commandant du camp le bien nommé « Caboche » qui lui tint le discours suivant « Docteur , on vous libère à cause de votre femme mais si vous remuez le plus petit doigt vous serez abattu comme un chien » ; il rentra et dit à Lucie que cette « libération » était une fiction , la police pouvant venir d’un moment à l’autre pour les remettre aux nazis ; ils trouvèrent à se cacher dans une grange contre argent ; fin 1942, les nouvelles du Front de l’Est commençaient à rendre les autorités nazies et françaises très nerveuses ; la paysanne qui logeait le Dr Max et Lucie s’angoissa .Elle les dénoncerait d’un jour à l’autre . Ils tinrent conseil ; ils avaient un choix. Ils prirent une décision : quitte à mourir, autant le faire debout. Cela impliquait de rejoindre un maquis FTP ; ils en trouvèrent la trace, le rejoignirent en Ardèche ; le Dr Max s’y illustra sous les ordres du Commandant Max Bertrand qui longtemps fut maire communiste à L’Isle sur Sorgue . A la fin de la guerre, le Dr Fassi kollabo notoire, fut descendu par des FTP ; transporté à l’Hôpital et avant de crever, il put encore dire « Cherchez le Dr Max »… Cela se passa quand « la France était à Londres » … ; en France ceux qui dénonçaient , traquaient , déportaient , torturaient c’était les vôtres, Mme Le Pen … ; c’était l’ « Etat Français » …. Et cette histoire, c’est celle des miens.

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