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Billet de blog 9 août 2017

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Le terrible argumentaire d’un écrivain israélien sioniste d’aujourd’hui (Partie I)

Je croyais tout savoir ; c’était absurde et présomptueux ; je voulus me rendre compte où en étaient les choses en Israël même et je laissais temporairement de côté les écrivains du camp progressiste ; devant les immenses dangers et les horreurs quotidiennes de la politique israélienne, j’étais ahuri de voir que ce camp ne progressait pas ; il fallait comprendre, en tout cas essayer.

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Le terrible argumentaire d’un écrivain israélien sioniste d’aujourd’hui (Partie I)
Je croyais tout savoir ; c’était absurde et présomptueux ; je voulus me rendre compte où en étaient les choses en Israël même et je laissais temporairement de côté les écrivains du camp progressiste ; devant les immenses dangers et les horreurs quotidiennes de la politique israélienne, j’étais ahuri de voir que ce camp ne progressait pas ; il fallait comprendre, en tout cas essayer. Sur la question fondamentale de savoir ce qu’était le sionisme et ce qu’il est aujourd’hui ce qui suit n’apporte aucune révélation ; les détails, si, et on sait que c’est là que le Diable niche .
Un livre récent attira mon attention ; le livre est magistralement écrit ; c’est un écrivain sioniste israélien qui en est l’auteur, un contributeur régulier de « Haaretz » ; le propos ici n’est pas de discuter le livre mais de voir jusqu’à quel point il éclaire le paysage idéologique israélien ; j’ai ouvert ce livre prodigieusement agacé ; ça commençait très mal ; je n’avais que faire d’un plaidoyer de propagande pour le sionisme ; je croyais savoir à quoi m’en tenir. Ma découverte , livrée ici , consiste à montrer que, à partir du livre lui-même , le sionisme même inspiré d’ humanisme et disons de gauche pour aller vite, donne tous les arguments pour le combattre sans merci ; encore y a-t-il façon et façon de le combattre ; on dira que c’est de l’ « antisionisme », mais je me suis déjà expliqué sur cette terminologie dans laquelle je ne me reconnais pas ; chemin faisant , on verra aussi pourquoi cette terminologie est impuissante en dépit de ceux et celles qui s’y référent et le brandissent comme étendard . Mais ce n’est pas le cœur du sujet.
Commençons par la déclaration Balfour : je ne l’avais jamais lue in extenso et il est parfaitement extravagant de ne pas en trouver le texte intégral sous des plumes autrement plus acérées que la mienne ; qu’on la cite de façon non tronquée et tout devient limpide :
« Ministère des Affaires Etrangères 2/11/1917
Cher Lord Rothschild,
C’est avec grand plaisir qu’au nom du Gouvernement de Sa Majesté que vous est transmise la déclaration suivante de sympathie avec les aspirations Sionistes Juives, laquelle a été soumise à et approuvée par le Cabinet.
Le Gouvernement de Sa Majesté regarde avec faveur l’établissement en Palestine d’un « foyer » national pour le peuple Juif, et mettra en œuvre ses meilleurs efforts pour faciliter l’achèvement de cet objectif , étant clairement entendu que rien ne doit être fait qui puisse porter préjudice aux droits civils et religieux des communautés non juives en Palestine , ou les droits et le statut politique dont les Juifs peuvent jouir dans d’autres pays .
Je vous serais reconnaissant de porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération Sioniste.
Sincèrement vôtre
Arthur James Balfour »
Les 7et 8 Novembre de la même année, la Révolution d’Octobre est un fait. Il n’est pas envisageable de penser que le Ministère des Affaires Etrangères du gouvernement de sa Majesté ignore tout de ce qui se passe en Russie à la date de la Déclaration ; mais c’est une remarque en passant. Ari Shavit n’en dit d’ailleurs rien (il y a des raisons majeures comme on le verra) ; il n’est pas le seul.
On peut tourner ce texte dans tous les sens, chaque mot est pesé ; on a traduit « home » par « foyer » ; c’est conforme à l’usage et comme on l’a déjà souligné ne signifie RIEN ; même accolé de l’adjectif « national » cela ne crée en rien un « Etat », encore moins un « Etat juif ».
Jusque- là rien de bien neuf ……… Les propagandistes sionistes brandiront un extrait de la Déclaration comme si cela justifiait toutes leurs prétentions ; mais on omet la suite : « étant clairement entendu que .. » ; c’est là que tout commence y inclus ma propre stupéfaction ; ce passage n’est jamais cité.
Commenter ce texte est tâche impossible ; toute l’hypocrisie de la Puissance Britannique s’y trouve condensée ; le texte ne dit rien, promet, mais conditionne une promesse vide à des conditions qui, réalisées, excluent évidemment la suite.
La fable des dirigeant sionistes perpétuée jusqu’à aujourd’hui est donc un énorme mensonge par omission ; la Grande Bretagne est la grande responsable du désastre mais on ne peut rien tirer EN DROIT de la Déclaration Balfour.
Et cela ne s’arrête pas là : dans une seconde série je m’attarderais sur un ouvrage d’une toute autre ampleur, ouvrage en Anglais, apparemment inconnu du public français, ouvrage dense ( deuxième édition récente ) , construit , et d’une documentation sans défaut ; je ne veux pas y insister ici puisque j’y reviendrais longuement mais juste pour mentionner deux aspects fondamentaux ;
1) Les commentaires précédents relatifs à la Déclaration Balfour qui sont de l’auteur de ce billet sont non seulement corroborés mais encore renforcés : l’interprétation ( ce qui prouve que ce document n’avait rien d’univoque ) de cette déclaration fait rage avant la Seconde Guerre Mondiale dans le mouvement Sioniste : ce mouvement et sa Direction sont partagés sur la question de l’Etat ; et cela n’est pas le fait d’une « minorité de gauche » ,mais surtout dès l’année 1940 , la direction sioniste veut obtenir du Royaume Uni une « élaboration » de la Déclaration Balfour car elle sent que ce document ne signifie rien en droit ; or elle n’obtiendra de W Churchill , Premier Ministre , rien d’autre qu’une paraphrase où il est toujours question d’un » foyer national juif en Palestine » alors qu’elle aurait voulu une rédaction indiquant que « la Palestine est LE foyer national juif ». Rien ne tient donc de la propagande sioniste d’hier et d’aujourd’hui mais cela n’innocente pas le Royaume uni comme on le verra.
2) De façon symétrique, il n’est pas possible de souscrire aux thèses répandues par des responsables palestiniens relatives à la conception du Sionisme comme bloc monolithique ; non seulement la question de l’Etat Juif ne se pose pas vraiment avant la Seconde Guerre Mondiale mais en outre le Sionisme n’est pas dénoncé par les premiers militants de la cause palestinienne (voir ci-dessous ) comme un conflit religieux ou racial mais comme dangereux pour les visées du pan -arabisme ; la colonisation juive n’est perçue comme dangereuse que dans certaines limites ; l’Antisionisme ici n’a aucun caractère antijuif. Est nié le caractère national imprimé par l’idéologie sioniste ; de la même façon ces militants ne remettent en cause à aucun degré l’exploitation des métayers par leurs grands propriétaires ,ni le jeu cynique de ceux-ci .On l’a vu , le Sionisme à son origine est parcouru de courants divers et les premiers immigrants sont davantage inspirés d’idées socialistes ou même communistes même si tordues par la problématique « nationale juive » ; par contre , les premiers militants de la cause de l’indépendance palestinienne – encore faudrait-il ici être prudent car il n’est pas question d’Etat de Palestine- ne remettent en cause ni les structures féodales , ni le clientélisme , ni le clanisme de la société palestinienne et sont davantage enclins à rechercher l’appui de la Turquie que du Royaume Uni .
Il est temps de lever le voile sur le Titre de l’ouvrage et le nom de son auteur : il s’agit de « My Promised Homeland » sous -titre « Le Triomphe et la Tragédie d’Israël » par Ari Shavit. Il est à peine besoin de souligner que l’auteur ne commente pas cette Déclaration ; il est besoin de souligner que dans les commentaires savants d’aujourd’hui il n’y a pas davantage d’accent porté à « étant clairement entendu que… » ; en tout cas la responsabilité totale de la Grande Bretagne dans ce qui s’ensuivra est clairement établie ; personne ne peut comprendre que ce fait ne soit pas mis en exergue de toute étude sérieuse du sujet.
A partir de cette date l’immigration juive en Palestine croîtra ; elle ne produira pas de conflits évidents dans un premier temps ; en 1935 il y a en Palestine 350000 Juifs ; c’est le début de la Seconde Guerre Mondiale( 1936 et suivantes ) qui changera tout ; sur ce point , Ari Shavit est d’accord ; jusqu’au basculement du monde dans l’horreur générale , il y a des Kibboutzim en petit nombre dont l’idéologie emprunte davantage au communisme soviétique qu’à quoi que ce soit d’autre mais certainement pas les prémisses d’un Etat et encore moins d’un Etat Juif . Avant cette date l’esquisse d’un mouvement national palestinien se font jour pour l’essentiel dans le cadre du pan-arabisme et ses instigateurs ne vivent pas en Palestine. Les populations autochtones sont métayers de grands propriétaires arabes qui ne vivent pas en Palestine. L’achat de terres pour la colonisation juive a commencé ; comme le dit Ari Shavit, « ni vol, ni spoliation »( ce point sera nuancé dans le second papier qui traitera des choses plus au fond ; globalement et en première approximation la « colonisation « juive du début n’est pas celle de la Rhodésie) ; en est victime la grande masse des métayers qui sont privés de leur terre PAR les grands propriétaires arabes lesquels les « indemnisent » de façon ridicule ; mais l’acceptation du « marché » ainsi conclu ne permet pas aux métayers palestiniens expulsés de voir les conséquences de leur acceptation . Jusqu’au grand basculement, il n’existe aucune façon de prédire la suite.
On objectera à raison que, en fait, certaines prémisses se manifestent de 1932 à 1935 ; Ari Shavit ne manque pas de noter l’épisode bref, sporadique et meurtrier dû aux Brigades arabes – palestiniennes de Izz-al -Din -Al Kassam ( à ne pas confondre avec les Brigades du même nom qui ont été la branche armée du Hamas de nos jours ) ; l’affaire est inquiétante mais le principal instigateur avec plusieurs autres membres desdites Brigades est abattu par la Police britannique . Le « mandat britannique » n’est au demeurant JAMAIS questionné par les forces qui commencent à faire vivre un sentiment national arabe-palestinien….
Dès le départ c’est-à-dire la visite exploratoire de l’un de ses arrière- grands- parents, un grand bourgeois britannique, Avi Shavit note : « il ne vit rien ……. Comment était -ce possible de ne pas voir ? Les villes, les villages, les populations palestiniennes ? On ne vit rien parce qu’on avait décidé de ne pas voir. »
Décidé de ne pas voir. La lecture pourrait s’arrêter ici ; on est loin de compte.
1937-1938 … Avi Shavit est lucide : le mouvement d’indépendance national palestinien est maintenant un fait ; il s’oppose par la lutte armée à l’immigration juive ; il culmine temporairement avec la Grande Révolte Arabe ; mais cette révolte ne tombe pas des nues ; le développement économique de la Palestine dû à la fois au capitalisme avec les productions agricoles d’une part sous propriété juive , le commerce d’import -export , lui aussi propriété juive, d’autre part avec la main d’œuvre palestinienne se fait de façon pacifique et sans heurt jusqu’au jour où un incident fortuit fait apparaître dans un déchargement de ciment des stocks d’armes et de munitions destinés à une organisation clandestine militaire sioniste, la Haganah ; il y a une origine , une cause et un effet ….
Que se passe-t-il donc au même moment dans la direction sioniste opérant en Palestine ? Il se passe que ce qu’ « on » avait décidé de ne pas voir est maintenant « vu » ; au sein de mouvement sioniste de Palestine tout le monde n’est pas au même diapason même si on « voit » ; beaucoup s’en tiennent à une idéal de coexistence , de développement certes de type colonial où il y a des dominants et des dominés mais sans « aucune » ressemblance avec par exemple le système colonial français ; dès ce moment, David ben Gourion joue un rôle capital ; pour lui , le déplacement de populations autochtones vers des pays arabes ( Syrie , Jordanie ) ; « déplacement forcé » est une nécessité à laquelle il ne voit aucune objection ; lui n’en voit aucune , les intéressés si.
A ce stade on voit déjà qu’un livre dont l’attachement au sionisme est constamment réitéré avec des arguments assez banaux, fait la démonstration du contraire de ce qu’il aimerait prouver. Il n’existait aucune fatalité et il n’en existe pas davantage aujourd’hui à un enchaînement tragique.
Dès le moment des affrontements armés sévères et des massacres (encore limités si l’on ose dire, de part et d’autre) une commission d’obédience britannique-la Commission Peel - vient sur place et se prononce clairement pour DEUX ETATS avec des TERRITOIRES clairement délimités. Ce projet reste dans les tiroirs : la Guerre Mondiale est là. Ajoutons que les conclusions de la Commission Peel sont l’objet de divers épisodes ; on y reviendra .
Dès ce moment, le drame est noué : la direction du mouvement sioniste a décidé coûte que coûte de pratiquer le « fait accompli » ; tout désormais est subordonné au mythe de « l’Etat Juif » supposé remplir une « mission », celle du « retour du peuple juif » sur « son territoire d’origine » ; il n’existe pas « de peuple juif », il n’existe pas de « retour » et il n’existe pas « de territoire » d’où un peuple qui n’existe pas « ait été chassé ». Voir à ce sujet les deux études magistrales de Shlomo Sand ; mais Shlomo Sand est un savant qui ne veut pas entendre parler d’une légitimité mythique ; c’est la différence avec Ari Shavit. On va voir où cela conduit.
Résumons :
Après lecture complète, la pensée de Ari Shavit tourne court ; Israël est « exclusivement » UNIQUE …. La France a apporté à l’Humanité de façon unique une Révolution dont on n’a pas encore fait le tour trois siècles après , l’Inde a apporté de façon unique l’idée que l’impérialisme le plus puissant de la planète à l’époque pouvait être vaincu par la non – violence ; l’URSS a apporté la première marche d’une Révolution unique en son genre et l’écrasement du fascisme hitlérien ; l’Allemagne a apporté de façon unique à l’Humanité le désastre absolu ; les Etats Unis ont complété le tableau en apportant au monde de façon unique l’Inconscience Absolue ; le Japon , a apporté au monde de façon unique la dignité absolue face au malheur absolu ; la Chine a apporté au monde de façon unique la preuve que la faim pouvait être vaincue en un demi-siècle , certes pas sans troubles mais à partir d’un paysage dévasté par les traités inégaux , la misère noire , les guerres intestines , le règne des seigneurs de la guerre, la drogue etc… , Cuba a apporté au monde de façon unique la preuve de la possibilité de sortir du sous -développement , des zônes réservées aux bordels pour Nord -Américains dans le cadre d’un blocus sans merci ; où donc Ari Shavit voit-il l’ « Exclusive unicité » israélienne ? Pensée cul- de sac, pensée sens interdit.
Cela n’empêche pas le livre de contenir des passages d’une lucidité totale, des passages humanistes et émouvants ; mais c’est une pensée qui tourne court : à ce jour, Israël en tant qu’Etat n’a fait la preuve de rien et Ari Shavit le sait. C’est là son drame. C’est LE drame.
A suivre .

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