A PROPOS DE F MITTERAND
Trois historiens de gauche débattent virtuellement dans l’Humanité ; leurs propos se croisent ; j’en retiendrais deux , on ne s’en étonnera pas ; celui de Guillaume Roubaud- Quashie et celui de Roger Martelli . Les deux convergent relativement à l’immense espoir qui se tourna en larmes amères .
Je mêle ici des souvenirs personnels et quelques bribes d’analyse de mon cru .
F Mitterrand commence à faire sérieusement parler de lui – bien qu’ayant une existence politique avant et étant déjà une fois candidat à la Présidence de la République soutenu par toute la gauche , y inclus le PCF- , en 1971 où il passe sans transition de la minuscule formation qu’il dirige (CIR) au PS dont il devient le premier Secrétaire . C’est déjà un « socialiste » très singulier. Cette « évolution » tient aux suites POLITIQUES du mouvement de mai 1968 où il s’illustre par des déclarations parfaitement incongrues sur « la vacance du pouvoir » . Incongrues ou non , la bataille d’influence à gauche est engagée dès ce moment . Sa longue expérience politique antérieure – il n’est pas un perdreau de l’année – l’a fait profondément réfléchir . Maire de Château Chinon , il connaît à merveille l’état d’esprit de la France « profonde » .Ce n’est pas celui de la France ouvriére bien que les deux ne soient pas disjoints . L’homme en tout cas a un sens singulier de la « camaraderie » en vigueur à gauche et au PS notamment. Devenu Premier Secrétaire du PS , il fait la tournée des fédérations socialistes et arrive ainsi à Strasbourg où le responsable du PS local l’accueille tout fier .A la descente d’avion , celui-ci dit d’entrée « On peut se tutoyer ? » La réponse cingle ; c’est un programme : « Comme VOUS voudrez ! » . Des « détails » qu’on ne retient généralement pas …. Le PCF , dès 1968 et même avant mais d’une autre façon , sait que le gaullisme est épuisé . Sa victoire électorale écrasante est une victoire à la Pyrrhus. Dés lors tout , absolument tout sera consacré à la recherche d’une alternative politique à gauche et ce sont aussitôt les négociations qui s’engagent avec le PS pour un Programme commun de Gouvernement de la Gauche auxquelles se joindront les Radicaux de gauche .Le Programme est signé en Juin 1972.
A peine signé , devant l’Internationale Socialiste à Vienne ( Autriche) , François Mitterrand qui fait figure de suspect pour avoir signé avec le PCF , explique en quelques mots sa stratégie ; il n’en faut pas plus pour qu’il soit considéré comme un génie . Bien que tenue à huis clos , il faut peu de temps pour que la direction du PCF soit au courant . Elle prend la chose très au sérieux mais décide d’en retarder la révélation publique. Mais de toutes façons il est trop tard.
Trop tard ? La stratégie mitterrandienne était-elle donc assurée du succès dès ce moment ? Cette question centrale agita la Direction du PCF . Dans son évaluation , de nombreux facteurs furent sous- estimés .
Le premier de tous était déjà présent à l’état latent : il ne manquait pas d’observateurs perspicaces pour remarquer que dans le pays , le PCF était très apprécié dans l’opposition , quant à lui donner le manche c’était une toute autre affaire . Le calcul mitterrandien prit là sa source et il mit tout en œuvre pour la développer. Mais cela n’eut pas suffi , il s’en fallait de beaucoup .
D’où pouvait bien provenir cette sorte de cassure ? Le PCF avait , en dehors de critiques sans grande portée avait une aura considérable et parfaitement légitime . Il était de tous les combats pour le progrès social . Son corps militant , aguerri, souvent cultivé politiquement était visible partout . Mais en 1968 , Août , intervint l’intervention militaire soviétique en Tchécoslovaquie. Le PCF la condamna aussitôt . Puis commença une sorte de marche en crabe . Il ne revint pas en arriére de façon nette mais son expression n’était pas claire . ( On peut en lire les témoignages chez d’éminents dirigeants de cette époque ) .
L’URSS et sa politique devaient-ils pour autant empêcher une marche en avant ? On décida que non. Plus précisément , on pensa que les initiatives politiques spectaculaires auraient raison des handicaps .Ces handicaps étaient appréciés pour ce qu’ils étaient par la Direction du PCF de l’époque et on mit soudain les bouchées doubles .Des bottes de 7 lieues . Il en fut ainsi de l’abandon de la stratégie de la dictature du prolétariat pour ne citer que l’essentiel . Une partie notable du corps militant , non préparé à une bataille aussi dynamique ,une bataille de MOUVEMENT , gronda . A Strasbourg , la Cellule où je militais , constituée d’intellectuels très actifs , la question avait déjà été rencontrée . C’était inévitable. Le Programme Commun devait donner place à « une démocratie avancée « à la suite de quoi succéderait » la dictature du prolétariat » . Nous étions très jeunes, très enthousiastes mais ça ne nous empêchait pas de voir un hiatus qu’aucune réflexion ne nous permit de combler. La décision d’abandonner cette stratégie ne fut pas pour nous « un lâche soulagement » mais au contraire un pas en avant considérable dont il est vrai que nous n’en mesurions pas les conséquences .
Puis , dans les polémiques qui suivirent – chausser des bottes de 7 lieues était indispensable, quant à dire que la décision fut bien préparée est une toute autre affaire , elle tomba du ciel si on peut dire et provoqua une onde de choc – arriva cette phrase terrible » les intellectuels derrière leur bureau « , ça , ça ne pouvait pas passer et ne passa pas. C’était le microcosme certes mais ailleurs pour d’autres motifs , la confiance se délita .
L’URSS décidément était un probléme .Le PCF ne voulait sous aucun prétexte « jeter le bébé avec l’eau du bain » mais tarda à examiner « le bain » ….Après la bréve période Krouchtchev , bien plus populaire à sa visite en France que ne l’était de Gaulle à la même époque , l’URSS fut perçue avec indifférence sinon hostilité qui ne fit que grandir . Les réponses qu’elle apportait aux grandes questions du monde laissait place à des interprétations dont le moins qu’on puisse dire était qu’elles n’avaient rien de sympathique. En 1974, François Mitterrand , fort du Programme Commun se présenta à nouveau à la Présidence de la République . Le bruit , confirmé , se répandit que Brejnev votait Giscard. Ca commençait à faire beaucoup .Entretemps , les voyages s’étaient étendus à défaut d’être démocratisés . Et bien des gens , y compris des ouvriers , des syndicalistes , avaient une fois ou l’autre visité le pays du « socialisme réel » . Ils parlaient à voix basse au retour , puis de plus en plus fort jusqu’à ce qu’éclate la formule » bilan globalement positif » .Elle se voulait dialectique sans doute mais cette dialectique là , personne au monde ne pouvait la comprendre .
Comme si cela n’était pas suffisant , il y eut l’affaire afghane . Après tout , l’URSS remplissait ses obligations .Soit . Le probléme fut qu’à la même époque Georges Marchais s’envola pour Moscou en clamant à tue tête qu’il s’agissait de mettre noir sur blanc nos désaccords avec la partie soviétique ..Une fois à Moscou , il fut interviewé sur une chaîne française et y prit la défense sans nuance de la position soviétique .Admissible pour un militant communiste chevronné , cette interview fut catastrophique ..
Mais pendant ce temps ….de 1972 à 1974 toutes les élections montrérent que le PS remontait jusqu’à talonner en influence celle du PCF . Jusque là , la Direction du PCF qui avait parfaitement compris ce que recherchait François Mitterrand pouvait considérer qu’il s’agissait d’une rodomontade .On vit des meetings avec un Georges Marchais sur de lui et dominateur à côté d’un François Mitterrand excédé et rongeant son frein .Son heure allait venir .La campagne de 1974 fut terne . Le PS n’y participa que du bout des lèvres . La partition n’était pas ajustée . Arriver au pouvoir dans ces conditions , pour François Mitterrand n’était pas pensable . Dès le lendemain une petite musique se fit entendre : la Gauche ne pouvait pas parvenir au pouvoir avec « un PCF trop fort » .
La question du rééquilibrage de la gauche était posée et elle occupa la chronique des mois durant. Après des élections diverses qui ne firent que renforcer la tendance montrant que l’influence du PCF chutait , François Mitterrand fut interviewé et on lui mit sous le nez les reproches de la direction du PCF relativement à cette idée nuisible ; un claquement de mâchoires carnassier y répondit « Le rééquilibrage de la gauche ? Je n’en parle plus puisque c’est fait » .
Le PCF très préoccupé de la tournure des choses se lança dans une tentative de réactualisation du Programme Commun , qui échoua . François Mitterrand n’en voulait pas . Comme si les choses n’avaient pas changé en 7 ans . Les négociations s’engagérent néanmoins mais le PCF les enlisa dans une discussion opaque pour la majorité de nos compatriotes , sur la question des seuils à franchir .On l’a dit , c’était de toute façon trop tard et la rupture fut provoquée à l’instigation de François Mitterrand qui utilisa les bons offices du Mouvement des Radicaux de Gauche . Le PCF qui était de part en part à l’initiative du Programme Commun se trouva soudain en position d’accusé et coupable de rompre l’union si chèrement acquise .Mon ami Roger Hillel avec qui j’ai des discussions quand il veut bien s’y prêter , résume toute cette situation en disant que » la stratégie du PCF était en échec »
Que dire de cette formule ? J’ai moi-même écrit que c’était pour moi un point de désaccord et les lignes qui précédent tendraient plutôt à prouver l’inverse . C’est trop rapide . Le PCF s’était battu des mois durant pour parvenir à un accord de gouvernement de gauche et il y était parvenu . C’est une chose de poursuivre un objectif stratégique juste et une autre que de le mettre en œuvre . Ceci impliquait des conditions qui n’étaient pas réunies . D’une part le corps militant n’était en rien préparé à une bataille de mouvement . C’était compréhensible ;elle eut supposé un suivi méthodique de la situation politique et de l’état des esprits qui à beaucoup prés n’eut pas lieu . L’idée de virer Giscard , comme préalable à tout domina très largement . Les illusions , pour une part inévitables , sur les intentions réelles du PS et notamment de François Mitterrand s’inscrivirent dans la durée . Il était presqu’impossible de renverser la vapeur une fois le train sur ses rails . Et le poids de l’ombre portée par l’URSS joua un rôle grandissant jusqu’à être utilisé directement par la campagne de François Mitterrand qui ne trouva rien de mieux que d’afficher » le changement SANS LE RISQUE » . A ces données incontournables s’ajouta ce qui fit l’essentiel d’une autocritique a posteriori : le Programme Commun dérivait d’une démarche de sommet et la population pratiquement laissée livrée à elle-même sans participation effective . Le contenu du Programme fut vite oublié .D’ ailleurs cette démarche était très largement celle du corps militant lui-même : on diffusa des centaines de milliers d’exemplaires du Programme et il fut très largement acheté mais …… de discussion politique de terrain il n’y eut pas . La politique d’union était PLEBISCITEE , correspondait à une attente majoritaire chez nos compatriotes , les positionnements respectifs passaient à la trappe .
Le PCF pensa jusqu’au bout que la force du mouvement populaire ferait la clarté en marchant mais ce n’est pas ce qui se produisit .
Au fond , les phrases ciselées au micron prés de François Mitterrand prenaient le relais exact de ce qu’avait dit Giscard d’Estaing à savoir que l’affaiblissement de l’influence du PCF était une condition absolue « du changement » . La droite et a fortiori toute la camarilla aristocratique autour de Giscard d’Estaing était incapable de réaliser cet objectif et François Mitterrand expliqua que justement c’était lui qui allait y parvenir . Cette communauté d’objectifs passa inaperçue.
Les élections traduisirent ce qu’on pouvait prévoir . Le PCF présenta Georges Marchais aux Présidentielles – on ne saurait le lui reprocher , c’était indispensable- trop tard mais indispensable - Tout autre chose est la décision de « présenter un candidat communiste à toutes les élections » , décision lourde de conséquences ultérieures et ne faisant que refléter une analyse en défaut .
Le score final fut par beaucoup de militant(es )s dont je fus , ressenti comme une tragédie . Ce ne fut à beaucoup près pas le moins du monde un sentiment majoritaire. Avoir chassé Giscard était l’essentiel. Une seconde phase s’ouvrait avec à la clé une lente mais sure plongée dans l’abîme . Et pas seulement mais AUSSI à cause de l’affaiblissement , cette fois durable et profond , de l’influence du PCF . Malgré tout , celui-ci fit front : Trois Ministres issus de ses rangs entrèrent au Gouvernement . Le temps est venu de citer presque verbatim Jacques Attali qui se confia au Figaro » On discuta , François Mitterrand et moi de l’entrée éventuelle de Ministres communistes ; nos alliés en particulier Outre Atlantique s’en inquiétaient . Etait ce un risque ? J’étais convaincu et cela se confirma ensuite qu’au gouvernement , le PCF se comporterait loyalement . Evidemment , les prendre, supposait qu’ils n’ aient aucun pouvoir réel sur la politique gouvernementale. En les prenant , nous étions certains que le PCF ne pourrait prendre aucune initiative susceptible de gêner notre action. Nous pouvions aussi ne pas les prendre . Certains membres de notre proche entourage plaidaient dans cette direction . Cela n’offrait aucun avantage politique : de quelque façon qu’il se tourne , le PCF étrait échec et mat . »
Cette décision prise et les pouvoirs des Ministres communistes soigneusement délimités pour leur laisser la marge de manœuvre la plus étroite possible , on discuta des mesures à prendre .Certains membres de l’entourage proche de François Mitterrand penchaient pour mettre au rancard le Programme Commun purement et simplement . François Mitterrand trancha « Ce programme , nous allons le réaliser , VITE , sans quoi nous ne le ferons jamais « . Ce n’ »était pas de sa part une sorte de fidélité même approximative , c’était un choix stratégique ; le pays était en attente ; le « grand soir » allait se produire dans l’heure : c’est à ce moment que tous les jours on entendit sur les ondes des phrases extraordinaires : les têtes allaient tomber , tous les jours s’annonçait un train de réformes comme on n’était supposé n’en avoir jamais vues .Cela eut de l’effet jusqu’au plus haut niveau de la Direction du PCF qui se demanda un temps bref si le PS n’était pas en train de basculer dans le camp révolutionnaire .Il ne manquait pas de dirigeants du PS pour plaisanter à ce sujet vis-à-vis de leurs interlocuteurs communistes…Où pouvait trouver place la moindre critique , la moindre accusation de trahir la engagements pris ??? Cours camarade , la révolution est derrière toi ….. Tout cela fut une mise en scène bien orchestrée . Le « chanhgement , c’était tous les jours , à chaque heure ….. Comme me le fit observer un camarade lucide « Tu vois comment ils font ??? Tout sur le papier sans le peuple ! « En 1983 , la piéce était jouée. Le PCF rendu aphone , moqué in petto , chaque critique même ténue , ridiculisée : le parti révolutionnaire c’était devenu le PS …. On connaît la suite .