BREVES CONSIDERATIONS SUR « GRECE PHASE II »
Les propos qui suivent ne visent pas à sortir du chapeau une solution miracle ; d’une part ils s’inspirent de l’entretien le plus riche et le plus documenté à ce jour que l’auteur ait pu lire , à savoir « https://www.jacobinmag.com/2015/03/lapavitsas-varoufakis-grexit-syriza/ », d’autre part de ses propres réflexions …….Aussi limitées qu’elles soient .
L’auteur cet entretien, Costas Lapavitsas est député du Parlement grec, un brillant économiste qui parle sans langue de bois, n’est membre d’aucun parti, y compris de Syriza, et fait partie des députés élus avec le SOUTIEN de Syriza.
L’auteur considère que la sortie de l’Euro par le Gouvernement grec est la seule alternative pour Syriza de ne pas se plier aux injonctions, menaces et diktats des pays les plus acharnés de l’Eurozone , par quoi il rejoint les analyses ultra- sombres de Martine Orange sur Médiapart http://www.mediapart.fr/journal/international/140315/la-grece-est-au-bord-de-leffondrement-financier, mais s’en distingue profondément par son argumentation et moins par un présupposé que l’on sent dans chaque ligne de l’article de Médiapart et chez d’autres qui « théorisent » la sortie de l’euro . Ce sont les conclusions de cet entretien que l’auteur de ce billet va discuter ici ce qui, de sa part, est une pure folie : n’étant pas économiste ……beaucoup d’aspects, sans totalement lui échapper, ne lui permettent pas une argumentation sans défaut.
Je passe rapidement sans m’y étendre sur des considérations que je partage très largement relativement aux distinctions entre « marxisme » et « keynésianisme » , de même que je ne peux que partager les appréciations de l’auteur de l’entretien sur la « stratégie en chambre » , la réduction du marxisme aux rapports de force , ce sur quoi j’ai déjà écrit , mais il est agréable de se retrouver en bonne compagnie …. Et bien d’autres idées encore, notamment relative aux positions du KKE et à cet égard ses propos vont plus loin que les miens et je lui donne raison sur le diagnostic ; cette attitude des « vieux marxistes » et d’une certaine « gauche radicale » traduit avant TOUTE CHOSE LA PEUR DES RESPONSABILITES GOUVERNEMENTALES .
L’auteur de l’entretien considère qu’il n’y a rien à attendre du second round à venir en Juin avec les institutions européennes, d’autant qu’elles vont exercer d’ici là la pression maximale pour imposer au gouvernement grec de plier les genoux.
De ce fait, et sans nous attarder sur l’appréciation du premier round – on se doute que l’auteur de l’entretien ne partage pas mon optimisme – C Lapavitsas envisage donc en détail comment une sortie de l’euro maitrisée ou négociée pourrait se faire.
Rien dans l’article ne laisse penser qu’il en sortirait pour la Grèce un soulagement immédiat ; bien au contraire, la chose se ferait obligatoirement avec une très longue période de souffrances pour le peuple grec ; période d’ailleurs non évaluée.
L’austérité violente ( on se demande s’il faut à tout prix des adjectifs puisque Hollande , Moscovici , Valls déclarent à l’envi que la politique imposée à la France n’est PAS de l’austérité ) imposée aujourd’hui par les dirigeants de l’UE à la Grèce se transformerait ipso facto en une austérité terrible MAIS en principe consécutive à un bras de fer inégal , et de ce fait « choisie » en tant que réponse souveraine à des diktats abjects .
La sortie de l’Euro est cependant envisagée comme viable ; d’une part parce que l’UE serait du coup débarrassée du problème grec et n’y verrait à tout prendre qu’avantage- sauf le détail d’une dette souveraine qui ne serait pas remboursée- mais l’auteur considère à juste titre que cette affaire de dette non remboursée n’est qu’un PRETEXTE ; exit la Grèce, exit la dette, on n’en mourra pas; d'autre part , c'est le plus important parce que selon l'auteur plusieurs aspects auraient comme conséquence un sytéme viable ; on examine cela un peu plus loin .
Cette sortie impose immédiatement d’une part la nationalisation du système bancaire grec, et d’autre part le rétablissement immédiat d’un contrôle des changes strict ; notons ici que la fuite des capitaux grecs n’attend pas la sortie de l’euro ; et C Lapavitsas ne cache pas que DE TOUTES FACONS, la nationalisation du système bancaire grec est inévitable même si le gouvernement actuel ne l’a pas mis à son ordre du jour aujourd’hui.
Comment compter avec la réaction de la société grecque dont C Lapavitsas analyse plusieurs segments ?
Toute son analyse repose, ce qui ne se trouve dans AUCUN COMMENTAIRE de Médiapart, sur une intense mobilisation populaire et une intervention directe des salarié(e)s , du public dans les décisions de gestion , non seulement de la banque mais des entreprises grecques qu’il n’envisage pas de nationaliser ; il se réfère pour cela à la NEP, c’est la partie la plus intéressante de l’article .
Il y a surement dans ce papier très fouillé encore d’autres éléments mais sauf erreur ce sont là les principaux.
Voici mes observations ; d’une part, il n’est pas question ni dans un scénario ni dans l’autre d’une quelconque sortie de l’austérité ce qui était cependant un aspect phare du programme de Syriza , mais même en mettant de côté diverses considérations relatives au TEMPS dans le cadre du maintien TENDU et conflictuel dans l’Euro , il est évident que le scénario envisagé, lui, ne laisse aucune place au doute ; une longue et nouvelle période de souffrances s’imposerait au peuple grec ; corrélativement, un aiguisement de la lutte de classes intérieure dont il est impossible de prédire à l’avantage de qui elle pourrait tourner ; j’y reviens plus loin .
Dans un premier temps –COURT- il est envisageable que de larges secteurs de la population soutienne le gouvernement dans cette voie ; l’argument est tout trouvé et légitime : « l’enfer c’est les autres » ; mais comme dit , cela ne peut pas marcher longtemps ; la dignité retrouvée d’accord, mais après il faut que le pays fonctionne ; l’auteur considère que la bureaucratie grecque jouera le jeu ; c’est l’un des points très faibles de son argumentation ; il est grec et pas moi et donc mon sentiment est très sujet à caution ; mais grecque ou non, les bureaucraties se ressemblent………. Et la bureaucratie grecque a été formée par des décennies de corruption, de gestion catastrophique, d’habitudes JUSTEMENT BUREAUCRATIQUES ….. J’avoue ne pas voir comment on peut penser qu’elle jouerait le jeu. Dès lors que des lenteurs, des freins, des sabotages de réforme se manifesteraient, l’appui populaire irait en diminuant, laissant RAPIDEMENT le champ libre aux manœuvres de la droite , de l’extrême droite laquelle en Grèce n’est pas une fiction………
L’auteur dit que le capitalisme grec, sous la forme de PME s’investira immédiatement de façon positive dès lors que des affaires peuvent fonctionner ; beaucoup de capital en Gréce est inutilisé. Une NEP avec une drachme dévaluée très fortement ( 50%) par rapport à l’Euro, la chose est jouable . Sur ce point je n’ai rien à dire, c’est une possibilité, SI le paragraphe sur la bureaucratie était sans objet. Tout cela suppose des réformes puissantes dans l’ensemble de l’appareil d’État et dans un temps très court ; le pays serait rapidement dans une situation de camp retranché. Il est à noter que ces mêmes réformes de l’appareil d’État sont nécessaires, prévues et font justement partie de la négociation au sein de l’UE ; mais rester dans l’UE , à nouveau c’est du TEMPS GAGNE , en sortir, suppose une marche forcée . À noter aussi, si on examine le fond des choses, que la stratégie actuelle du gouvernement grec – acheter du TEMPS au prix de concessions sur le rythme et y compris les CONTENUS est parfaitement assimilée par la quasi-totalité des « partenaires » européens qui n’entendent PAS voir le gouvernement grec réussir et multiplieront les obstacles, ce qu’ils font déjà .
Reste à examiner une question CAPITALE : celle de la participation active de la population ; contrôle, intervention directe dans la gestion etc ……… ; là on touche à la partie selon moi la plus faible de l’argumentation.
En effet, bien évidemment la mise en mouvement tous azimuts de la société grecque et notamment de ses couches populaires est vitale mais …..ne se décrète pas ; c’est là le hic. Un soutien à 80% est une chose, une participation citoyenne massive, une autre. Le peuple grec a dû accepter des sacrifices sans nom pour RIEN ; il les accepterait non seulement dans le cadre d’une dignité reconquise MAIS essentiellement si le nouveau système MARCHE, s’il y a rapidement des PROGRES TANGIBLES. Si le gouvernement grec est CONTRAINT A, OU CHOISIT la marche forcée, à mon sens, l’échec est au bout et très rapidement.
Cela mérite un développement plus long : seule une conscience politique disséminée dans tout le pays , extrêmement puissante peut permettre la réalisation de cet objectif ; la Révolution d’Octobre n’eut besoin que de réflexes élémentaires dans un premier temps et cela suffit à gagner la Guerre Civile ; après une toute autre histoire commença ; la Grèce d’aujourd’hui n’est pas la Russie de 1920 ; c’est un pays plus cultivé mais avec un État incapable d’assurer ses fonctions élémentaires ; les grecs travaillent beaucoup et très mal , dans de très mauvaises conditions ; l’héritage laissé par les gouvernements précédents est une catastrophe ; le peuple grec est habitué à l’ « absence » d’État ; quand celui-ci se manifeste c’est pire : autoritarisme , corruption et bureaucratie ; en construire un qui soit efficient est incontournable et c’est précisément l’un des cœurs des projets ACTUELS du gouvernement grec que d’y parvenir ; l’Union Européenne aurait tout à y gagner mais l’obsession de garder un peuple sous l’eau est plus forte que toute autre considération ; en attendant , la construction de structures étatiques est une absolue priorité .
L’état d’esprit de la population grecque ne peut pas être aujourd’hui de s’emparer à tous niveaux des commandes ; de s’investir etc……… elle est – et on peut le concevoir – dans l’ATTENTE de mesures immédiates allégeant sa vie quotidienne ; changer cet état d’esprit demande du TEMPS ; changer cet état d’esprit est inconcevable sans un corps militant, à l’échelle de tout le pays, qui est en gestation avec Syriza mais qui pour se déployer a, à nouveau besoin de TEMPS. La sortie de l’Euro démultiplierait sans limites les questions à résoudre dans l’urgence ; Syriza ne veut pas et le gouvernement grec qu’il dirige non plus, d’un État de siège, d’une dictature démocratique temporaire et on peut le comprendre ; or c’est l’unique réponse politique possible à la sortie de l’Euro. Ce serait une forme de seconde révolution d’Octobre sous le feu d’une propagande adverse interne et externe assourdissante ; le peuple grec soutient massivement Syriza et le gouvernement actuel POUR AUTANT QU’IL LUTTE PAR DES MOYENS DEMOCRATIQUES ; il ne suivrait pas dans ce qui apparaîtrait comme un « coup d’Etat » ,fût-il des millions de fois plus démocratique que tous ceux qui les ont précédé ; la sortie de l’Euro est un scénario catastrophe par quelque bout qu’on le prenne. Sans parler du fait que sortie de l’Euro et donc de l’UE, la Grèce perdrait aussitôt tout capital de sympathie aussi mince qu’il soit, elle perdrait toute possibilité de travailler les contradictions entre États- membres.
Rester dans l’Union Européenne et dans l’Euro présente évidemment d’autres risques ; des risques énormes, le principal étant l’enlisement et / ou le renoncement.
Tout bien pesé, c’est LE RISQUE A PRENDRE ; pour le peuple grec ,c’est pour le moment le moins coûteux ; si le TEMPS GAGNE n’est pas PERDU, c’est l’occasion de renforcer encore et encore la force du soutien populaire, c’est l’occasion d’un renforcement sans précédent de la réponse POLITIQUE aux questions posées ; c’est l’occasion de construire un État et en le construisant , de créer des sources de recettes publiques, donc de construire des services publics , donc de répondre aux aspiration populaires ; C Lapavitsas ne néglige pas l’intervention populaire bien au contraire mais en la mythifiant et en la brusquant , il offre une perspective catastrophique quand on y songe un peu .
En résumé deux voies s’offrent : l’une est définitive, irréversible, et garantit le plongeon à court terme ; ce sera un coup de tonnerre dans un orage sec et sans lendemain. L’autre est escarpée, pleine de périls, bordée de gouffres, peu glorieuse, aux effets lents, MAIS, en gagnant du TEMPS, on permet aussi aux autres peuples européens d’assimiler, de ne pas tirer la conclusion « Vous voyez bien ! », de préparer une alternative de gauche en France laquelle aujourd’hui n’est PAS PRETE, c’est une litote, et donc de renforcer cette fois de façon puissante la position grecque dans les instances européennes. Gagner du temps, c’est gagner de l’espace et peut-être vraiment ouvrir dans le continent européen une voie nouvelle, radicalement nouvelle.
Je ne suis pas grec, je ne suis pas au gouvernement, mais si j’avais à faire un choix lucide, pour le moment en tout cas , je vois clairement ce que je choisirais .