J'ai failli me garder d'écrire sur ces sujets où on dirait que tout est dit . mais en tombant sur l'éditorial de Mr Bernard Henri Lévy d'une part dans le Point et d'autre part sur une contribution d'un chercheur dans Rue 89 , je me suis dit , finalement....
De Maurice Nivat et de sa longue lettre sur "Rue 89" je ne dirais rien; ce qu'il dit n'échappe pas à mes canines mais il est de gauche pour de vrai ; il proteste à just titre contre des amalgames inacceptables mais il ne s'adresse pas à qui il faudrait et sa demande est confuse .
Je commence par le plus important et le plus dangereux : voilà ce qu'écrit l'homme au col immaculé :
" le seul antisémitisme susceptible de "marcher" aujourd'hui, le seul capable d'abuser et de mobiliser, comme il le fit à d'autres époques, un grand nombre de femmes et d'hommes, est celui qui saurait nouer le triple fil de l'antisionisme (les juifs soutiens d'un "Israël assassin"), du négationnisme (un peuple sans scrupules capable, pour arriver à ses fins, d'inventer ou d'instrumentaliser le martyre des siens) et de la concurrence des victimes (la mémoire de la shoah fonctionnant comme un écran cachant les autres massacres de la planète). Eh bien, Dieudonné était en train d'opérer la jonction de ces trois fils."
Non seulement je ne suis pas d'accord mais ce qu'il écrit est très dangereux; ne chipotons pas sur "trois fils" ; peut-être y en a t-il 3 mais pas ceux -là .
1) L'antisémitisme en mesure de "marcher" est celui et celui-là seul qui détourne les victimes du capitalisme et de sa crise historique des responsables des maux les plus divers dont ils sont frappés ; il n'y a pas un mot là dessus chez BHL et on comprend bien pourquoi ; cette affaire là le laisse de marbre. L'imprécation, il la réserve aux esprits "totalitaires" entendez les Communistes puisque maintenant il n'y a qu'eux qui en soient suspects . Que le nazisme et plus généralement tous les fascismes aient eu à voir - de façon centrale pas secondaire- avec cette question est pour Mr Bernard Henri Lévy " un détail de l'Histoire" .Regardons -y de plus près.
En Allemagne , le nazisme ne se développa pas spontanément et ne parvint même pas au pouvoir "légalement ; dans un article écrit en 2005 avec mon ami Pascal Lederer -http://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2005-2-page-97.htm nous disions " Le terme « ploutocrate » remplace rapidement celui de capitaliste ; mystérieux, nouveau, il permet les amalgames et les confusions nécessaires. Car, pour que le mélange ait lieu, il fallait trouver dans la société allemande un groupe humain
identifiable porteur de l’ensemble des maux, des vices et des caractéristiques qui pouvaient
être l’objet d’un rejet massif et immédiat. En se portant sur les Juifs, la phraséologie nazie
réussissait ce tour de force. Les Juifs étaient dans l’ensemble bien « intégrés » à la société
allemande, mais ceux dont on entendait parler étaient des intellectuels de gauche. Ceux
que l’on voyait étaient pour l’essentiel des commerçants. En les désignant à la vindicte,
on donnait un caractère non allemand aux idées de gauche, un caractère ésotérique et suspect. Karl Marx était d’origine juive, mais qui parmi les premiers adhérents du mouvement nazi pouvait se targuer d’en avoir lu une seule ligne ? Le bolchevisme était une plaie juive, intellectuelle,sur le corps sain allemand.Le capitalisme largement vomi dans lapopulation ouvrière était lui aussi d’origine étrangère;lesJuifs y avaient leur part; (ni Schacht, ni Siemens ni Krupp.. ni ... n'étaient juifs OG ) . A `cela s’ajoutent pour une part certaine mais non décisive les poncifs relatifs au « peuple déicide »
colportés ici et là dans certaines églises de village. Une fois ce corpus idéologique identifié,
on est encore loin des décisions qui portèrent le Parti nazi au pouvoir".
Rien ne change et tout change ; encore faut-il savoir qui est ce "Rien " et qui est ce "tout" . Une partie déterminante de la population française vomit le capitalisme ; une partie MAJORITAIRE ne lui attribue aucune vertu positive . La crise du capitalisme que Hollande ne caractérise toujours pas comme telle, et pour cause, est nouvelle , par son ampleur , par les questions qu'elle soulève , par les déferlements titanesques d'injustice sociale , de destructions de potentiel productif , de désatres écologiques qu'elle illustre ; elle est nouvelle par sa durée ; elle coexiste avec une mondialité recherchée comme échange entre civilisations et mondialisation qui les saccage, avec une paix factice et des guerres impitoyables sur des théâtres d'apparence limitée ; c'est donc beaucoup plus complexe encore que ce qui prévalut au tournant des années 30 du dernier siècle ( Pardon Mr Le Goff , mais votre génuflexion devant la politique de Mr Hollande est si caricaturale que vous me permettrez cette entorse à vos préoccupations d'historien sur la segmentation en siècles ) .
Toutefois ce qui ne change pas c'est la racine de l'antisémitisme , du racisme et de la xénophobie et de toutes les phobies qui nient l'être humain .
2) On glose a perte de vue sur le caractère nouveau et "respectable " du Front National ; soufre ou pas soufre ; voilà Mr Le Pen père qui aujourd'hui à Nice entre en campagne ; que dit-il ? On a "osé" le condamner pour avoir dit que "les chambres à gaz étaient un détail de l'histoire" ; n'est-ce pas là du Dieudonné pur sucre ? Ou Dieudonné fait -il du Le Pen pur jus ?
Je ne vois pas grand monde et encore moins Mr Bernard Henri Lévy dire clairement que ce qui est condamnable c'est la BANALISATION du crime , des idées criminogénes; spectacle , pas spectacle , humour pas humour , telle n'est PAS la question .
La BANALISATION de ce qui fut l'un des apects - pas le seul - le plus répugnant du nazisme est précisément ce qu'il ya de neuf dans la crise du capitalisme sur le plan idéologique; cette BANALISATION là est précisément ce qui sert de nuage de fumée servi aux victimes de cette crise et de ce systéme quel que soit le degré de leurs souffrances et de leur sentiment d'injustice . La droite politique en est responsable directement .Mr Valls aura son paquet plus loin ; mais en tout cas ni les uns ni les autres ne mentionnent soit le silence assourdissant de Marine le Pen , ni le plaidoyer de Mr Alliot qui "défend" soudain la "liberté d'expression" .
3) Mr Bernard Henri Lévy se consacre dans cet éditorial à l'antisémitisme ; ce faisant il n'a pas un mot pour les scandaleux propos de Dieudonné vis à vis de Mme Taubira ; comment s'en étonner ? Singulier , l'antisémitisme ne saurait être traité en exclusivisme .
Puis Mr Bernard Henri Lévy passe à son plat de résistance : "fil de l'antisionisme (les juifs soutiens d'un "Israël assassin"), du négationnisme (un peuple sans scrupules capable, pour arriver à ses fins, d'inventer ou d'instrumentaliser le martyre des siens)"
Nous y voilà ;je suis de ceux qui combattent à gauche le verbe "antisionisme" et surement pas par sympathie pour le courant sioniste quel que soit par ailleurs sa variété allotropique ; pour être clair , le sionisme de "gauche" ne vaut pas mieux que celui de droite à mes yeux même s'il est différent ; mais le déferlement à gauche de la terminologie "antisioniste" est suspect ; il ne peut pas éviter de l'être ; il n'existe PAS un objet appelé "sionisme" et donc son contraire n'existe pas ; mais au delà et bien plus important , ce terme peut cacher tout autre chose ; du type " les juifs sont sionistes ; le sionisme est dangereux , donc les juifs sont dangereux" ; c'est justement cet amalgame qui est dangereux. Quant à Bernard Henri Lévy son souci n'est pas d'éclairer mais d'obsurcir ;mélanger la critique de la politique israélienne actuelle avec la question de la lutte contre l'antisémitisme est odieux . Chacun comprend que sa diatribe vise à exonérer les dirigeants israéliens de leur politique ; il n'en dit pas un mot .Faire ça à propos d'un billet sur Dieudonné est un comble . On ne s'étonne pas des commentaires à son billet qui ont de quoi , pour certains, faire frémir . Mais comment peut-on imaginer l'inverse si celles et ceux qui ont de la sympathie pour les droits fondamentaux du peuple palestinien se trouvent ipso facto suspects . Mr Bernard Henri Lévy n 'énonce là qu'une chose : "Israël est le représentant légitime du peuple juif et quiconque met cela en cause - a fortiori avec des expressions condamnables - est supect d'antisémitisme" ; la boucle est ainsi bouclée ; fustiger l'antisémitisme dans dire un mot ni du capitalisme ni du Front National ni du caractère odieux de la politique israélienne actuelle , voilà le tour de force de Bernard Henri Lévy .
3 Valls
Tout ou presque a été dit sur le caractère très discutable de sa méthode ; elle aura cassé un temps bref le thermométre mais surement pas fait baisser la fièvre ; par contre , très peu se sont souvenus de ses propos à l'égard des Roms "inassimilables" ; très peu se sont souvenus de ses actes , de l'affaire Léonarda, et encore moins ont attaché la moindre importance à la figure de Clémenceau qui, pour le Ministre de l'intérieur mais encore plus haut , on le verra avant peu , sert d'imaginaire gouvernemental .
Combattre l'antisémitisme avec l'autoritarisme de Clémenceau c'est en décupler les effets ; ne combat pas l'antisémitisme qui veut . OLIVIER GEBUHRER