UN PARALLELE EXOTIQUE (II)
« He , that will not apply new remedies must expect new evils for time is the great innovator” ( Francis Bacon ( 1561-1626) )
Traduction approximative “Celui qui ne veut pas appliquer de nouvelles solutions s’expose à de nouveaux déboires. Car le TEMPS est le grand innovateur ».
Commençons par cette réflexion. De cet aristocrate anglais exotique par excellence, qui connut un sort étrange on pourrait citer à bon escient bien d’autres formules frappantes, nous n’en retiendrons qu’une seule autre pour notre propos : »
« Le savoir dérivé d’Aristote, s'il est soustrait au libre examen, ne montera pas plus haut que le savoir qu'Aristote avait. »
Le TEMPS , le libre examen , c’est-à-dire l’examen critique ; voilà de quoi fonder d’utiles réflexions sur la crise européenne ; il va de soi que ce qui suit ne s’adresse pas aux tenant de l’ »ordre actuel » c’est-à-dire du chaos organisé ,mais à tout et toute citoyen(ne) de gauche ; j’insiste à ce sujet : de gauche ; mon point de vue est celui d’un communiste mais ce qui est développé ici pourrait facilement sans forcer la note devenir un patrimoine de toute et tout citoyen de gauche en France et en Europe .
Les idéologues patentés de l’Union Européenne ont constitué une réserve idéologique , un Panthéon , des Idoles et des Dieux ; on ne parcourra pas l’historique ici ; voir dans J Monnet et R Schumann les pères de l’Idée européenne n’est rien d’autre que dériver un prétendu savoir de celui d’Aristote encore que ce soit faire beaucoup d’honneur à ces commis du capital . En tant que tels ils pressentirent en effet que par des règles d’airain supra nationales le capital pouvait, en tout cas en Europe, étendre démesurément sa sphère d’influence et de domination ; c’est là leur seul et unique mérite.
La France, du point de vue gaullien était autosuffisante, et le général n’avait pour ces personnages que mépris ; à gauche et notamment au PCF, on n’était pas loin de partager cette conception. Dire cela est injuste car il y avait des prémisses de réflexion non abouties ; V Giscard d’Estaing fit en un jour litière de cet héritage et fonça avec des appuis financiers et politiques gigantesques ; le PS pour sa part avec J Delors avait infiniment plus d’affinités jamais démenties avec ce dernier qu’avec De Gaulle et la conception communiste n’avait rien qui le séduise ; en retard, le PCF prit en pleine figure les transformations qui ne cessèrent alors de s’opérer, transformations d’importance tellurique. Il fit front avec des moyens diminués mais y compris dans la période récente avec le sentiment de retarder d’une guerre.
La grande majorité de la population française ne voyant aucune alternative politique, et devenue favorable au travers d’abord de ses élites intellectuelles ( lesquelles avaient entretemps viré leur cuti en passant de l’extrême gauche au libéralisme le plus échevelé ) à l’idée que le béret et la baguette c’était fini, considéra que l’Euro c’était commode voire « chic » ; le tourisme de masse, les échanges scolaires et universitaires jouèrent leur rôle ; s’y ajouta comme élément central et unificateur que, de cette manière, la guerre ne partirait plus du continent européen ; tout se troubla y inclus une vision mythifiée de l’Allemagne , qui, n’en finissant pas d’avoir à REGLER LA DETTE DU NAZISME était trop heureuse d’être réintégrée à peu de frais dans le concert des nations et y joua pendant des décennies un rôle modeste au plan politique ; tout changea ici avec H Kohl qui donna l’impulsion et A Merkel qui prit sa suite ; au sein de son parti et bien avant la crise grecque , un député qui ne fut ni repris ni critiqué s’écria « Enfin l’Europe parle à nouveau allemand !» .
Ce raccourci ne tient pas lieu de tentative historique : il a simplement pour objet de saisir l’importance du TEMPS et de la nécessité absolue de sortir la tête du guidon, du « réalisme » etc…. Toutes catégories fustigées en leur temps et par Engels et par Lénine comme théorisant l’ « économie de la pensée » c’est-à-dire d’aller au plus court .Là on retrouve F Bacon.
Le TEMPS :
Après la deuxième guerre mondiale et son cortège d’horreurs , il eût été nécessaire que les forces progressistes en Europe – au sens vague – prennent l’initiative d’un vaste mouvement populaire ; les décisions du CNR en France en donnaient une trame ; cela ne se fit pas ; on sait pourquoi ; dès 1947 , la Guerre Froide bloqua tout ; mais les forces du capital , elles, ne restèrent pas inactives et construisirent dans leur logique et pas à pas ; Monnet et Schumann inféodés en outre aux forces du capitalisme US n’allèrent pas loin- c’était déjà un début prometteur - et furent méprisés en France par De Gaulle qui avait pendant tout un temps d’autres projets , on l’a dit .
Le PCF, confronté aux combats de la décolonisation ET aux développements de la guerre froide ne put ni ne sut voir ; comment l’aurait-t-il pu ? L’URSS était au zénith ; des États entiers basculaient du côté du socialisme ; l’impérialisme US qui se battait férocement était partout en échec. Il était loisible de penser que la vague allait se poursuivre sans discontinuer. Il y eut le Chili ; ce qui se passa là avec l’instauration du fascisme par un coup d’État contre un gouvernement démocratique aurait dû donner l’alerte ; mais le Chili c’était loin ; on ne peut pas dire néanmoins que les travaux de la « Trilatérale » n’attirèrent pas son attention. Le PCF tenta, il faut le souligner l’ « eurocommunisme » ; c’était une tentative de réponse ; c’était la preuve que la question commençait à émerger, mais cette tentative échoua et ne fut reprise sous aucune forme. Elle échoua de diverses manières ; des désaccords profonds existaient entre les différents partis concernés sur les objectifs ; le PCI avec Berlinguer et le PCE avec Carrillo ne voyaient pas la construction européenne en gestation déjà avancée du même regard que le PCF ; d’une part l’Italie avait besoin de l’Allemagne et celle –ci à cette époque ne manifestait aucune volonté de domination ; d’autre part l’Espagne avait BESOIN de sortir de la nuit franquiste et pour les dirigeants du PCE , l’Europe en gestation était une issue dont on pouvait s’accommoder ; les événements du Portugal , la fin de la « révolution des œillets » qui mit en place pour longtemps un parti social-démocrate sorti d’on ne sait d’où , un PCP enkysté dans les concepts d’hier , une fois de plus le coche fut manqué. L’absence de vision globale était à l’origine de ces échecs successifs ; mais il faut aller très au-delà de ces évènements ; le PCF ne s’aperçut pas ou ne voulut pas voir que partout en Europe le mouvement progressiste marquait le pas ; en dehors de l’Europe du Sud et encore faut-t-il parler vite en sautant par-dessus la dégénérescence brutale du parti communiste le plus nombreux aux portes du pouvoir , le PCI , pas un parti communiste ne se développa ; ni en Allemagne évidemment ou la répression menée par le parti social-démocrate contre les communistes allemands y fut d’une rare férocité mais n’explique pas tout , ni au Royaume –Uni ni en Scandinavie ; la nuit fasciste était tombée sur la Grèce sur laquelle nous reviendrons ; la Guerre Froide évidemment, avait là joué un rôle malfaisant mais bien d’autres éléments au moins aussi importants y avaient leur place ; tous les pays du Nord étaient de culture protestante ; les pays du Sud avec de fortes nuances en particulier en France étaient de culture catholique . Dans les pays de l’Europe du Nord le capitalisme était comme un poisson dans l’eau. La culture protestante luthérienne a profondément imprégné les peuples du Nord de l’Europe de valeurs qui ne sont pas vraiment celles de l’Europe du Sud : « il n’est pas convenable d’être endetté ; si on l’est la première obligation est de payer ses dettes , de rembourser ses créanciers » ; « l’argent crée la richesse ; la richesse est facteur de progrès » ; « travailler dur et vivre chichement est une vertu » ; « trop de prospérité nuit à la santé sociale » ; « le travailleur honnête économise « ; « la grève est en général un facteur de désordre et nuit à la santé économique » etc…. etc……….. Une grande partie de ces valeurs sont celles de la droite française et une partie de la gauche les adoptées, mais à la différence des pays de l’Europe du Nord, le roi y est nu et le sens de classe de ces « valeurs » évident ; une large part de l’opinion française – c’est aussi vrai en Espagne et au Portugal, un peu moins en Italie – ne se résoud à les admettre qu’à contrecœur ; le capitalisme en France n’est PAS populaire.
À cela s’ajoutent des traditions OUVRIERES de syndicalisation qui différent du tout au tout quand on passe de l’Europe du Sud à l’Europe du Nord ; dans les deux cas, il s’agit d’organisations de classe mais la différence fondamentale réside dans le fait qu’il ne s’agit pas d’organisations de lutte de classes. Le mouvement syndical en France rassemble peu en adhérentes et adhérents ; il a une influence inversement proportionnelle au nombre de ses membres effectifs ; quelque chose d’analogue se passe en Espagne avec en outre une tradition anarchiste qui n’est pas celle de la France ; il est difficile de parler de l’Italie, c’est trop complexe mais dans les pays du Nord de l’Europe, le mouvement syndical est très fortement implanté – même si l’adhésion est obligatoire dans certains cas - mais jusque-là ses dirigeants ne remettent pas le système lui-même en question bien que aujourd’hui en Allemagne des tendances contraires se manifestent .
Le propos est bien trop cursif pour prétendre donner un reflet global dans ses nuances et ses contradictions mais c’est un parcours nécessaire aujourd’hui ; et il faut expliquer pourquoi cette insistance sur le PCF ; la raison en est simple : aucun , je dis bien aucun autre parti politique n’a été à l’initiative de mouvements populaires de masse relativement aux questions posées ( être à l’initiative ne signifie pas être seul) ; je n’évoque même pas la bataille victorieuse contre le TCE ; avoir des positions « radicales » est une chose, entrainer un mouvement populaire de masse une autre ; et dans les faits c’est seulement ce dernier qui compte et pèse ; à lire Médiapart il ne semble pas que cet aspect soit le premier souci des détracteurs systématiques du PCF et entendre récemment JL Mélenchon nous dire que la Gréce a fait face et que nous faisons face au « capitalisme monopoliste d’Etat » a de quoi faire tomber de sa chaise………..
Avec tout cela , nous n’en sommes qu’aux préliminaires de la discussion et mes lectrices et lecteurs devront encore patienter pour voir où trouver le parallèle exotique qui est le titre de cette contribution ; encore qu’avec ce qui précède je ne doute pas que les plus perspicaces auront déjà entrevu de quoi je parle .