J’ai posté sur Facebook quelques remarques cursives ; je vois bien à la relecture du Livre , qu’on ne s’en tire pas avec elles . Je commente ci-dessous librement.
L’Auteur de l’ouvrage a une magnifique formule ; je la reprends à mon compte : « À mes yeux, la nostalgie est une impasse, mais l’oubli est un tombeau. »
Ce que je m’apprête à écrire fera sans doute, pour mes lectrices éventuelles, partie d’une « nostalgie inavouée » ; je prends le risque. J’ai aimé l’URSS. Ce n’est pas une catégorie politique ; peut-on ressentir de l’amour pour « un peuple » ? Est-ce là une attitude pensable ? Beaucoup en tout cas en participèrent, je ne fus pas le seul. Fin des années 60 , la nouvelle génération soviétique , pour ce que j’en ai vu, c’est-à-dire peu , avait confiance dans l’avenir ; ce n’était pas du tout l’atmosphère française ; dans les années 70, vers la fin, c’était très différent ; l’amertume , le désenchantement était partout .
Pour en finir avec ces considérations peu politiques , je découvris au fond d’une Bibliothéque , au siège de ma Fédération du PCF, il y a fort longtemps , des livres poussiéreux que personne n’avait ouverts ; écrits en allemand , c’étaient ,entre autres, les minutes des grands procès de Moscou ; je ne parlais pas couramment la langue , il s’en faut de beaucoup mais je m’astreignis à la lecture et j’y découvris les phrases suivantes dans la bouche du Procureur Général de l’URSS ( son nom n’a pas d’importance on peut le trouver partout ) : « la Justice bourgeoise a inventé la notion de « preuve » ; mais nous autres marxistes , nous n’avons pas besoin de recourir aux concepts bourgeois ; un crime a des causes ; des circonstances qui en expliquent le mobile et en créent la possibilité ; l’URSS n’est -elle pas encerclée d’ennemis puissants ? Elle l’est ; l’URSS n’est -elle pas sujette à toutes les entreprises visant à miner son régime de l’intérieur ? Elle l’est ; tout cela conduit à penser que des complots se trament en permanence pour lui porter des coups par tous les moyens ; mais les ennemis de l’URSS peuvent -ils un instant songer que notre peuple soviétique les aide ? Evidemment non. Il n’y pas chez nous la possibilité de créer une adhésion populaire à des projets criminels de cette nature. Par conséquent, ces complots ourdis par nos ennemis ne pouvaient trouver un chemin que d’une seule façon. Seule la pénétration de l’appareil d’Etat au plus haut niveau par des agents rusés et subtils pouvaient espérer parvenir à leurs fins. Comme on le voit , il n’y a pas besoin de « preuves » pour penser que de tels agissements sont certains ; nous jugeons aujourd’hui des criminels d’une qualité nouvelle ; ils ont disposé de la confiance du peuple soviétique au plus haut niveau de l’Etat et l’ont trahie de la façon la plus abjecte ; nous n’avons pas besoin de leurs « aveux » pour savoir qu’ils sont coupables ; leur repentir hypocrite ne peut assouplir les sentences qui seront prononcées au nom du peuple soviétique … etc etc .. »
On ne me reprochera pas j’espère de ne pas reproduire le verbatim ; à moins de me suspecter d’une certaine monstruosité intellectuelle, une seconde de réflexion sur l’effet produit par cette lecture sur un jeune militant communiste devrait chasser l’idée que ce qui le motive ici c’est une « nostalgie inavouée ».
Au passage, cet « extrait » reconstitué de tête montre que Roger Martelli a tort sur un point ; il y avait un DROIT soviétique et une Légalité soviétique …. Je ne m’étends pas plus outre.
IL n’était pas pensable que ces plaidoiries étant connues de dirigeants communistes de premier plan n’aient pas eu de conséquences ; le fait est qu’ils ne les avaient pas lues ; le fait est que le corps militant ne les avaient pas lues ; et la presse adverse qui enflammait l’opinion en dénonçant des « procès fabriqués » mais SANS ces citations, ne pouvaient que convaincre au contraire , que ces procès étaient justifiés. La presse adverse avait raison alors qu’elle eût dû avoir tort.
Tel est le temps dont nous parlons. Roger Martelli dit que l’explication par les « circonstances » le tente mais que cela ne lui suffit pas ; il a raison. Bien avant l’auteur qu’il cite, F Cohen dans un exposé détaillé des ressorts à l’œuvre dans les « œuvres » de J Staline indique que « plus les succès étaient manifestes , plus le renforcement de l’URSS , la cohésion populaire autour de son régime était grande , plus Staline était méfiant » ; la « thèse « de l’intensification de la lutte des classes après la victoire du socialisme » vint apporter à cette attitude une prétendue « justification » théorique .
Beaucoup de questions se posent au sujet du « stalinisme » que Roger Martelli n’aborde pas et ce n’est pas une critique ; ce n’est pas l’objet de l’ouvrage ; ceux que j’ai lus sur, par exemple, l’assassinat de Kirov qui fut à l’origine de la Grande Terreur, sont tout sauf convaincants et ce n’est pas faute de citer des documents d’archives. Tenter de légitimer aujourd’hui la Grande Terreur, en quelque sorte de « réhabiliter Staline » face aux entreprises révisionnistes de tout poil est une tâche impossible et suspecte , qui le demeurera . Staline n’a pas seulement condamné et fait exécuter Toukhatchevski de façon plus qu’expéditive (encore une énigme) mais a fait décimer les cadres de l’Armée Rouge à la veille de la Guerre ; cela suffit. Quel besoin d’en rajouter ?
L’affaire est donc sur ce point, entendue ; je renvoie à l’ouvrage cité pour cette période ; je ne veux pas discuter la relation d’Octobre et la minimisation du rôle de VI Lénine avant pendant et après ; si R Martelli dit qu’il n’est pas historien, je le suis encore moins que lui.
Mon objection majeure n’est pas là. Les Œuvres de VI Lénine contiennent de tout et pour l’essentiel une pensée datée ; mais une pensée ; aujourd’hui qui écrirait » L’impérialisme stade suprême du capitalisme » sans faire sourire ? Les Œuvres philosophiques ,elles aussi datent ; on ne concevrait plus un débat philosophique comme VI Lénine le fit dans « Empiriocriticisme et Matérialisme dialectique » ; mais il est impensable de n’y pas voir une pensée de premier ordre ; une pensée pour laquelle il est temps de sortir du pharisaïsme des « savants allemands » qui pourrissent les écrits de K Marx et F Engels, une pensée qui pose la question du passage au socialisme comme une question concrète , une pensée qui réfléchit à la situation en Russie et en tire des conclusions qui, qu’on le veuille ou pas, «ébranleront le monde » .
J’ai écrit sur un post qu’il ne pouvait pas y avoir de comparaison entre les Œuvres de VI Lénine et l’abjection de Mein Kampf ; mais c’est encore faire injure à VI Lénine que de d’écrire cela.
Peut-on aujourd’hui CITER une seule œuvre philosophique fasciste ? Le fascisme fut un projet politique et lui non plus ne fut pas inéluctable ; pour qu’il parvienne au pouvoir et l’exerce il fallut qu’une classe sociale et ses représentants les plus déterminés le soutiennent et l’appuient ; ce qu’ils firent sans hésitation et sans état d’âme de 1933 à 1945 ; encore n’est-ce rien dire des Corps Francs , du Putsch Kapp etc…
Du fascisme ne reste RIEN à sauver pour l’humanité ; de l’URSS certainement pas le « modèle » ni le « système » ; il reste toutefois la flamme initiale et un très vaste ensemble d’œuvres dont la plupart méritent le détour et qui n’eussent jamais vu le jour à cette échelle en tout cas sans Octobre. Il y a un « génie soviétique », il n’existe pas de génie fasciste.
Evoquons brièvement la Guerre Mondiale ; on se réfugiera aisément derrière le « patriotisme » ; personne ne niera que ce sentiment joua un rôle très important, que Staline en fit un moteur ; mais quoi ? Les Français ne l’étaient -ils point ? Le peuple anglais se souda aussi dans la lutte anti hitlérienne mais on comprend bien que cela n’eut rien à voir. Dans sa masse le peuple soviétique lutta contre les hordes hitlériennes dans une épopée sans exemple et le fit évidemment parce qu’il défendait Octobre.
Evoquer brièvement la Guerre Mondiale s’agissant de l’URSS est une insulte à des millions de morts ; c’est un sujet inépuisable. Même à la lecture des Mémoires de ceux qui prirent une part importante à l’organisation de la défaite hitlérienne dans cette Guerre qui, du côté soviétique fut à la fois « classique » et populaire on reste complétement médusé par la question de comprendre comment un immense pays sut dans des tourments indescriptibles faire face à une entreprise de destruction totale , de nouvel esclavage , les mots manquent . Si l’oubli est un tombeau, alors il faut réveiller les morts .
Les hordes hitlériennes furent battues, défaites. Le fascisme comme régime fut rayé de la carte à l’exception de l’Espagne mais, pas du fait de l’URSS, faut-il le rappeler. Comment l’URSS en sortit-elle ? Plutôt qu’une description dont la pauvreté serait injurieuse , je ne ferais que rappeler les images finales du film « Quand passent les cigognes » ;après 4 années indicibles , l’URSS était exsangue , le pays dévasté au moins dans sa partie occidentale , des millions de jeunes hommes tués et/ ou assassinés ; des millions d’autres blessés , invalides ; la vie devait reprendre ; ce n’est rien de le dire et en France à la même époque cela n’alla pas tout seul et prit du temps alors que la situation n’était en rien comparable ; tout cela est bien connu , le point ici dans la discussion est l’état du parti communiste soviétique après cette saignée sans exemple ; qu’en restait t-il ? Qui peut ignorer qu’une masse immense de communistes d’un dévouement sans borne ni limite, totalement désintéressés et très majoritairement inventifs avait disparu pour toujours ; que restait -il ? Dans un parti comptant plusieurs millions de membres et seul au pouvoir il était évidemment absurde d’imaginer qu’il n’y comptait que des êtres en pur cristal, il s’y trouvait des arrivistes de toute espèce, des bureaucrates bornés et encore d’autres variétés de canailles y inclus des salauds ; mais après-guerre, la balance de la composition politique pesa soudain majoritairement vers la seconde espèce alors qu’elle était peu visible avant. Je souligne pour qu’on ne me dise pas que la chose est une image d’Epinal que, en particulier, K Simonov montre AUSSI la seconde catégorie.
La Guerre était finie mais son legs testamentaire ne pouvait pas être mesuré.
Entre les années 1920 et 1938 , en gros , le système soviétique avait de lourds boulets à ses pieds mais apparemment malgré les purges sauvages , les procès fabriqués , et tout ce qu’on sait de longue date , la balance si l’on peut dire penchait encore du côté de transformations fondamentales qui sortent le pays du « communisme de guerre » ; après la guerre , le système courut sur son erre comme il le put , des forces fondamentales à la propulsivité étaient irrémédiablement cassées et comme il est bien connu , ce que rappelle Roger Martelli , les tentatives après la mort de Staline furent équivoques , bancales confuses , erratiques et brouillonnes ; l’idée de deux superpuissances s’installa sans que jamais la direction soviétique n’y prenne garde . Les choses « suivirent leur cours » ; N Khrouchtchev dévala un jour les escaliers du Kremlin. Et après les années 1960, tout était dit.
Tout cela dit , il ne faut pas « oublier » que, à aucun moment ,l’URSS ne put imaginer se trouver dans une période de paix ; la guerre froide était une guerre ; que la direction soviétique ne puisse se dépêtrer de cette situation mettant en tension toute une économie laquelle en effet n’avait rompu avec aucune des « méthodes antérieures » malgré des tentatives qui au mieux cherchèrent des idées dans les pays capitalistes développés en premier lieu les Etats Unis d’Amérique sortis quasi indemnes de la Guerre Mondiale , ne change rien . Les ressorts brisés l’étaient pour toujours ; le temps des sacrifices sans fin, de l’héroïsme de masse avait, heureusement, disparu ; succéda à une période de relative stabilité au point qu’on rencontra massivement l’idée de la « convergence des systèmes » , ce qui tout de même, était l’hommage du vice à la vertu , la descente aux enfers bien connue .
Résumons-nous : La page de l’URSS est tournée mais pas l’exploration de ce qu’elle fut en dehors même des représentations qui l’accompagnèrent ; l’URSS reste et restera dans l’histoire de l’Humanité un immense massif. En outre, elle produisit de l’émancipation et pas à dose homéopathique ; l’émancipation se tourna en autre chose, un système aliénant et oppressif, dès lors que les contradictions immenses que ce même système avait fait naître ne trouvèrent aucun début de tentative de résolution.
Y chercher aujourd’hui quelque inspiration que ce soit hors la flamme originelle, ce qui n’est pas rien, est un exercice stérile. Encore aujourd’hui cependant, avoir quelque voisinage que ce soit avec la « thèse des deux totalitarismes » c’est justement le tombeau.
Le fascisme ne fut ni l’enfant monstrueux du système soviétique et encore moins du communisme ORGANISE lequel, à de rares moment d’hésitation près, le combattit jusqu’à la dernière extrémité.
Dans un passage repris à d’autres auteurs Roger Martelli dit que au final ce sont les classes ouvrières et les couches populaires à l’extérieur de l’URSS qui tirèrent paradoxalement en Europe en tout cas avantage de l’expérience soviétique ; on a rappelé la « thése » de la convergence des systèmes avant que l’ordo libéralisme ne devienne dominant, nettoyant en apparence du fascisme tout ce qu’il pouvait y avoir d’insupportable. Comment cette « thése » eut-elle vu le jour si les classes dirigeantes des pays capitalistes n’avaient pas craint pour leur propre domination ? Le New Deal n’a pas d’autre explication. Avec ses boulets, ses lourdeurs , ses tares et tout ce qu’on voudra , l’URSS porta encore quelques années après-guerre l’idée qu’il existait un monde hors du « Talon de fer » .
Je n’ai pas l’illusion avec ces lignes d’avoir épuisée le sujet. Je rejoins l’Ouvrage en question sur de très nombreux passages et m’en dissocie sur des aspects cardinaux.
Sur la suite de l’ouvrage je ne dirais rien ; d’une part ma propre lecture me laisse dans un sentiment étrange ; partageant éventuellement avec des formulations beaucoup plus frustes beaucoup de considérations sur la complexité nouvelle du monde, je noterais seulement que , je cite : « Si des ruptures mentales sont nécessaires, pour
se sortir défnitivement du xxE siècle, elles pourraient se ramasser autour de quatre enjeux : la maîtrise des contradictions, la cohérence des processus,la prise en compte de la mondialité, le passage de la multitude au peuple.
Curieusement, les « marxistes » en politique se
sont souvent dispensés de cette dialectique qu’ils
encensaient dans l’ordre de la théorie.
Il faudrait en second lieu s’habituer à penser des
processus. C’est la conséquence du constat précé-
dent. Un système peut tendanciellement s’abolir,
mais l’antagonisme qui le fonde ne s’abolit que si on
le dépasse. Une logique sociale ne se remplace pas
tant qu’une logique alternative n’a pas fait la preuve
de sa supériorité. »,
Tous ces aspects se retrouvent peu ou prou dans les textes récents du PCF ; les textes, pas la pratique, certes, en tout cas de façon encore trop balbutiante ; un parti est un groupement humain pas une armée et le PCF l’a appris à ses dépens ; encore même une armée ne se commande pas en énonçant des « thèses » aussi profondes soient -elles ,bref . Sur toutes ces questions pas de commentaire qui vaille la peine hors ce rappel.
Reste la fin de l’ouvrage qui, elle, me stupéfie ; Roger Martelli s’en tient à la recherche de la radicalité et du pôle associé ; ce n’est pas nouveau et c’est parfaitement son droit ; on ne discutera pas cet aspect ici et encore moins » Cela peut se dire autrement : pour rassembler le « peuple », la médiation politique du rassemblement de la « gauche » reste nécessaire. Mais
pour que cette gauche soit ordonnée par le pôle de la transformation sociale, encore faut-il qu’une gauche de rupture, une gauche d’alternative ou une
« gauche radicale » soit capable de donner le ton en s’adaptant, à chaque moment, à l’état réel des sociétés dans lesquelles elle agit. La gauche et la droite existent, mais leur dynamique ne se déploie que si elles se refondent, périodiquement. La même affirmation vaut pour la gauche radicale. » ; ce n’est pas que j’en approuve le contenu( et encore ici des formules expéditives ne conviennent pas ) mais ce n’est pas le lieu ; en revanche , il est pour moi incompréhensible de ne rien trouver qui indique que pour R Martelli l’aventure de Jean-Luc Mélenchon est globalement un immense échec ; je ne vois aucune « radicalité » dans le projet politique affirmé de « remplacer le PS » ; humoristiquement ,l’original me suffit ; et à ma connaissance , sous réserve d’aveuglement absolu, je vois beaucoup de « radicalité » dans le projet d’effacer politiquement le PCF et en dehors d’autres périodes que je ne veux pas soumettre à comparaison , je n’ai jamais rencontré , poussée à ce degré, une telle obsession.
Ni ses retards à l’allumage, ni ses défauts éventuels, ni son action ne peuvent légitimer pareille violence ni dans les propos ni dans le projet ; c’est une très mauvaise passe pour le PCF, il faut être fou pour ne pas le voir mais s’y attaquer , aujourd’hui comme hier c’est être un chien. Cela échouera.
Une fois encore il faut remettre le métier sur l’établi ; c’est là comme je l’ai déjà écrit une tâche immense et collective qui n’est pas du ressort de ces notes ; le PCF ne renouera pas avec l’idée d’un rôle dirigeant ; et bien des aspects d’hier sont révolus mais ce qui ne l’est pas, encore une fois c’est la flamme et l’absolue conviction que même si les choses ne peuvent changer « dans un seul pays » , la France , après la Grèce, que l’on vilipende honteusement dans les cercles de la « radicalité » , il y a un maillon faible français en Europe, que les choses mettent à murir un certain temps imprévisible mais que comme l’écrivait déjà K Marx , en prenant garde à ne pas s’enfermer dans une formule , « la France est le pays des luttes de classe menées jusqu’au bout ».