LES DEUX BARONS
Je lis des billets d’humeur dont je ne partage aucun des attendus ; je ne vais pas me défouler. Je vais parler de deux conversations ; la première en soirée avec un jeune technicien en Informatique qui essaie vainement de me dépanner ; c’est quand même curieux, quand j’ai un problème de ce type que je ne sais pas résoudre je n’ai jusque-là trouvé personne qui sache ; toujours est -il qu’il vient pour la seconde fois ; il sait qui je suis, je ne m’en suis pas caché ; il n’a rien dit ; et ensuite ça l’a travaillé. Hier donc, c’est lui qui attaque pendant que le PC ronronne ; qu’avez-vous entendu aux nouvelles ? Rien c’est bien le problème ; Pierre Laurent a demandé une réunion à tous les candidats et à ceux qui l’étaient dans le camp de la gauche ; mais rien du côté Hamon qui peste contre Jean-Luc Mélenchon , et celui-ci devait faire une « importante déclaration » le soir au Havre ; c’est pour s’exclamer » je ne négocierais rien » . Bravo.
Je peux lui en dire des tonnes sur ce « je t’aime moi non plus » de deux barons qui revendiquent la couronne et feront ensemble aller la gauche au ruisseau si rien ne change. Après, on cherchera le coupable. C’est déjà en cours. Le plus petit pas en avant de gauche qui était envisageable aura été massacré…. Si rien ne bouge . .
Je ne m’y étends pas ; il veut clairement savoir comment on peut être communiste aujourd’hui. Il pourrait m’interrompre au bout d’une minute ; mais ce n’est, à ma surprise, pas ce qui se passe ; je lui dis que le PCF n’a qu’un but : faire en sorte que pour nos compatriotes demain soit meilleur qu’aujourd’hui. Ça l’épate ; peut-être attendait -il de grands discours sur la révolution ;non , ce n’était pas ce qu’il cherchait ; il est attiré par Jean-Luc Mélenchon ; lui dire que le PCF le soutient ne lui apprend rien ; et je ne vais pas m’employer à lui expliquer qu’il doit se retenir ; je lui apprends un peu les enjeux ; j’insiste sur un aspect : nos compatriotes au-delà de la gauche sont ulcérés par un système où on les convoque tous les 5 ans et plus ça change plus c’est pire ; il faut donc en changer ; jusque-là il est d’accord ; après commencent les difficultés du comment on fait ; je lui dis que nos compatriotes n’ont rien contre des mesures de gauche à deux conditions : que cela leur apporte un progrès palpable dans leur vie de tous les jours et… que ça marche ; il est d’accord . Mais justement, une constituante façon Jean-Luc Mélenchon ça ne peut pas marcher. Il fait les yeux ronds. Je lui demande s’il pense que nos compatriotes après avoir voté pour des changements qu’ils et elles estiment nécessaires vont s’enthousiasmer pour la convocation ipso facto d’une Assemblée constituante réunie en conclave pendant que à l’Assemblée Nationale on débattra à nouveau de l’abrogation de la Loi el Khomry ; avec quelle majorité ? La Constituante envisagée serait partiellement élue (selon son promoteur, les candidats membres de partis politiques en seraient exclus ) et partiellement tirée au sort ; magnifique principe ; qui peut penser que le Collège des citoyennes et citoyens tirés au sort auront le même statut que celui des Citoyennes et Citoyens élus ? Il n’y avait pas songé ; c’est sans appel.
Je lui rappelle qu’un changement de régime politique est un processus où il faut créer les conditions pour un engagement citoyen toujours plus ample ; ainsi débuta la révolution française qui au départ n’avait surement pas au programme l’abolition de l’Ancien Régime ; il y eut les cahiers de doléances ; ce flot se heurta au mur d’une aristocratie qui ne « voulait négocier sur rien » . C’est condensé et schématique mais il sait que c’est vrai.
Pourquoi n’avons-nous pas changé de nom ? Mais où un changement de nom pour les communistes a t-il produit quoi que ce soit de positif ? En Italie ? En Espagne ? Je lui dis que les pages glorieuses du PCF, si elles n’effacent pas les pages sombres méritent autre chose qu’un simple regard désabusé ; il acquiesce ; au demeurant, le PCF conserve un réseau militant sans équivalent, des centaines d’élus populaires qui ne trahissent pas leurs engagements ; que sortirait-t-il du champ de ruines où d’aucuns nous appellent ?
Il songe et soudain : « Que pensez-vous de l’immigration ? » ; Je luis dis du tac au tac « il n’y a pas de problème de l’immigration ; il y a un problème de codéveloppement « ; son regard est interrogatif ; je lui montre à quoi conduisent les destructions de structures étatiques entières et que poursuivre fait justement le terreau du terrorisme et de l’exil de populations entières « allez -y , reconstruisez le Musée de Bagdad ; reconstruisez Palmyre ; c’est là « la civilisation occidentale » ? Il réfléchit, puis « vous voulez dire que si la France aidait d’autres peuples à avancer on n’en serait pas là » ; oui c’est exactement ça. La chose se poursuit tard dans la soirée ; il s’en va ; il verra les communistes autrement.
Je vais chercher mon pain et je rencontre à cette occasion une connaissance de longue date ; famille paysanne ; son père tenait une grande coopérative ;après sa mort , son fils a ensuite vendu ses légumes ; c’était un homme taiseux et un peu sombre comme le sont souvent les paysans de l’arrière- pays niçois ; lui aussi sait qui je suis , pas besoin de présentation ; hier il était d’humeur causante ; il commence par parler ISF , impôts ; il est hors de lui à la pensée que ce qu’il possède a été accumulé par du travail de la sueur et qu’on « lui prend « tout » alors que les milliardaires eux par contre ….Puis il enchaine sur le FN qu’il vomit ; il ne comprend pas que des connaissances qui ont la tête hors de l’eau puissent envisager de voter pour ça ; je lui fais un dessin ; il acquiesce. Ces gens ont peur de rouler en bas de l’échelle dont ils ont franchi quelques degrés. ….
Puis inévitablement la discussion tourne à la présidentielle, à la mode des taiseux , imperceptiblement ; il me dit qu’il est admiratif de Jean-Luc Mélenchon ; chez lui c’est plutôt une nouveauté ; je lui dis que nos compatriotes n’en peuvent plus d’être consultés une fois tous les 5 ans et la discussion reprend comme ci-dessus ; je tempère son enthousiasme pour Jean Luc Mélenchon sans le dissuader évidemment ; je suis rompu à l’exercice ; il m’écoute avec intérêt , on évoque les égos des deux barons ; je balaie d’un revers de main ; ce n’est pas une question d’égo ; mais cette incapacité à s’entendre l’insupporte …….. Un ange passe ; puis il dit à voix basse ; « il y en a un que j’aime bien écouter ; dommage qu’il ne soit pas plus connu ; c’est toujours intéressant ce qu’il dit ; il ne se démonte jamais », je m’attends au pire ….Il poursuit : son nom c’est « Pi Pi Pi …. » Je lui souffle : Pierre Laurent ; c’est ça.
J’ai écrit dans un autre billet que la décision du PCF constituait la voie la plus adaptée pour permettre à notre stratégie de s’engouffrer. Le blé lève ; les saints de glace ne sont pas loin et la grêle peut tout changer.