Il ya de cela quelque temps , j'ai répondu à une Tribune de André Tosel dont je ne partage pas la ligne directrice; André est un ami et je le respecte profondément ; cela ne signifie pas qu'on doive être d'accord . Il se trouve qu'un de mes aimables contradicteurs me renvoie à mes chères études en faisant l'hypothése assez ridicule que je ne connaitrais pas le papier de André ; je livre ci dessous la réponse que je lui avais faite à l'époque ; certains aspects en sont datés mais pas l'essentiel ; en tout cas ce type de discussion vaut mieux que les insultes même si elle n'est pas ce qu'on peut souhaiter de mieux ; il ne faut pas prendre ses interlocuteurs pour des faibles d'esprit .
La Gauche est pensable.
Par Olivier Gebuhrer
A entendre certaines voix, à avoir l’œil rivé aux mesures gouvernementales qui généralement sont ou timides ou insuffisantes ou carrément sous l’influence du néolibéralisme et du MEDEF , tout serait dit . « La Gauche » serait un mot à proscrire, un mot relevant de l’impensable, une expression dans laquelle le PS , ses retournements et abandons divers serait seul à tirer les marrons du feu . Mais justement, il y a le feu et pas de marrons.
Je propose ici d’y regarder à deux fois.
Rien de ce qui suit ne vise à rendre le PS honorable, ne vise à l’exonérer de ses responsabilités, n’a pour objet de rétablir l’idée d’une « union de la gauche » laquelle appartient à une autre époque .
Que s’est-il passé au juste en mai 2012 ? Mon point de vue est le suivant : un maillon d’une chaîne d’airain tissée entre le capital européen et mondial , et la droite politique française s’est affaibli lors du vote de Mai ; il ne s’est pas brisé , c’est là le point .C’est pourquoi dire que la situation créée serait d’emblée plus facile pour les forces du changement social est hors de saison.
Quant au PS soulignons d’abord que , contrairement à d’autre époques historiques, il n’a pas trompé ses électrices et électeurs .Cette remarque à elle seule, légitime la stratégie du Front de Gauche.
Le PS ne s’est jamais, pendant cette campagne, positionné en parti politique visant si peu que ce soit à dépasser la capitalisme. La fameuse phrase du Bourget qui fit largement illusion, sur « l’adversaire sans visage » à savoir, la finance, désignait un adversaire mais ne disait rien sur la nécessité d’engager le fer contre sa domination.
Cette phrase était-elle « social-libérale » ? On peut en douter car c’est à partir d’elle, et quoi qu’il dise ensuite , que F Hollande apparut comme un candidat de gauche pour des millions de concitoyennes et concitoyens qui y virent un embryon d’espoir . La campagne du Front de Gauche n’y était évidemment pas pour rien et JL Mélenchon ne s’y trompa pas en s’écriant « ils commencent à parler notre langue ! » . La phrase n’eut évidemment pas de suite….
Mais, c’est n’avoir pas lu les documents publics du PS et notamment ses Conventions Nationales largement inspirées de Terra Nova , que de penser que le PS « nie la crise » , comme le dit notamment la droite et ce qui est pire, comme on le pense parfois à gauche , que le PS ne présente « « aucune analyse alternative des rapports économiques et sociaux , politiques et culturels que celle du néolibéralisme présenté en version soft ».
Dans ses documents s’esquisse tout au contraire une autre lecture du capitalisme et de son développement ; ces documents visent à « mieux le capitalisme ». Ils ne sont ni contradictoires, ni hésitants , même pas keynésiens . Ces textes considèrent que la crise du capitalisme actuel est surmontable de l’intérieur du système. Selon le PS et avant tout Terra Nova , la droite est dans ce contexte inefficace ; elle ne développe pas les forces productives qui, justement, selon eux, permettent la sortie de crise dans un capitalisme « soutenable » . Comme la droite, le PS est confronté à la crise du capitalisme. Mais ses réponses sont différentes, même si , on l’a dit, elles s’inscrivent dans la logique du système qu’il ne s’agit pas de modifier de façon fondamentale.
En vérité , la social- démocratie rencontre la quatrième grande crise historique à laquelle elle doit faire face ; Août 14, la politique de non intervention en 1937 , l’avènement du gaullisme en 1958 , la quatrième est devant nous. Celle -là est infiniment plus profonde que les précédentes bien que celles liées à deux guerres mondiales – et quelles guerres !- ne soient pas rien et que celle liée au colonialisme français en débâcle ne soit pas rien non plus. Cette crise-là , de longue durée , avec soubresauts et rebonds possibles , est liée intimement à la crise systémique du capitalisme en tant que tel . Le PS ne « nie pas la crise » , il nie que ladite crise soit une crise de système ; c’est une crise pour lui qui se décompose en morceaux distincts et qu’il convient d’affronter séparément. Affronter POUR poursuivre le système, pas le dépasser , c’est là le point .
Ne pas partir de là pour analyser le PS aujourd’hui égare tout révolutionnaire conséquent . Sans cette lecture, le positionnement de la droite , y inclus sa fracture aujourd’hui, est illisible.
La droite politique française l’a bien compris ; son positionnement de guerre ouverte qui n’exclut pas le compromis n’est pas tactique. Même dans le cadre de la préservation des fondamentaux du système, elle n’entend pas voir la possibilité de choix différents de ceux qu’elle a mis en œuvre .La raison en est simple mais fondamentale : tout choix qui, si peu que ce soit, s’en prend à la logique infernale qu’elle a développée ouvre potentiellement la voie à autre chose. Tout est dans le « « potentiellement » . On peut en effet compter sur elle pour viser à écraser le « potentiellement » dans l’œuf.
Autre chose est le constat que ces différences, parce qu’elles ne s’en prennent pas aux fondamentaux du capitalisme d’aujourd’hui ne constituent pas une alternative politique, ce dont le PS ne s’est jamais, pendant cette campagne au moins, réclamé.
Cette situation clive la droite ; une part de celle –ci entend rester sur le climat de guerre civile , selon elle seul en mesure d’empêcher tout dérapage si minime soit-il. On le voit avec des mesures sociétales très importantes (analogue de l’abrogation de la peine de mort, à ceci près que cette fois, le PCF n’est pas hors-jeu mais dedans) . Une autre partie considère que la bonne méthode consiste à peser sur les choix du PS en l’obligeant à des compromis variés qui le conduisent progressivement à une sorte de « grande coalition » à la française. Aucun leader de la droite actuelle ne peut trancher cette question à l’heure d’aujourd’hui. Tumulte et chaos .
Quant au MEDEF , son positionnement est celui qu’il a toujours adopté dans des conditions similaires, à savoir intégrer la situation nouvelle et en tirer partie autant que faire se peut . Il pèse sur les orientations gouvernementales et son degré d’influence s’appuie précisément sur ce qui a été rappelé plus haut , à savoir le fait qu’il s’agit de « mieux le capitalisme » , pas dépasser celui-ci ou rompre avec lui .
Est déterminant le centre de gravité des influences politiques qui s’exercent sur ce gouvernement . Non qu’il en soit le reflet passif ; on a vu que dès l’abord il rejetait a priori toute contribution du Front de Gauche, mais les contradictions de sa propre conception l’obligent à ne pas laisser le champ de la gauche désert .
Décréter le PS « néo libéral » n’est pour les forces révolutionnaires et anticapitalistes d’aucun intérêt à supposer que ce soit légitime . En faire un pur volet du même « parti unique du capital » est un désastre. Voici pourquoi :
D’abord cette conception organise mentalement un face – à- face entre les forces populaires et le PS ; de ce fait, la crise systémique disparaît du champ de vision comme ses acteurs .C’est empêcher la compréhension de ce qui fait la situation politique nouvelle.
Ensuite, à cause de ce dispositif mental, les actrices et acteurs du mouvement populaire ne peuvent qu’au mieux, être désorientés ; au lieu de leur donner confiance dans la force qu’ils et elles représentent, on renforce ainsi l’idée que le « politique »ne peut rien . Au pire, cela conduit au « tous pareils » . C’est laisser en friche leur capacité d’initiative. De cette façon, la droite sort indemne ou innocentée par défaut ; on l’oublie . L’extrême droite y fait son miel putréfié.
La crise de système et de civilisation ne permet plus les jongleries. Or le PS, dans cette situation a choisi l’AMBIGÜITE... Toute parole définitive mettrait le PS HORS JEU d’une position à gauche dominante et dominatrice ; toute parole faisant de l’adoption du Rapport Gallois l’alpha et l’oméga de la pensée du PS ruinerait ipso facto la longue durée . L’Ambigüité demeurera donc.
Mais cette ambigüité- sauvegarde a aussi une autre face peu explorée . C’est , dans sa diversité et sa complexité , le mouvement populaire et ses exigences incompressibles .Ce mouvement n’a pas aujourd’ hui la force souhaitable , il s’en faut de beaucoup mais potentiellement …….. ; le PS ne peut l’ignorer. Si Arcelor Mittal est nationalisé, fût-ce temporairement ce sera une immense victoire des métallurgistes d’abord, mais aussi des interventions spectaculaires du PCF. Une victoire …. de gauche. Nous n’y sommes pas.
Tout ceci nous ramène à « la gauche » . La question de savoir si aujourd’hui le PS est « de gauche » est à peu près vide d’intérêt . La question de savoir s’il peut le devenir est essentielle. Cela ne nous ramène en rien à une vision dépassée de pression sur le PS . Est déterminante la question de savoir si le mouvement révolutionnaire doit travailler l’idée de ce qu’est, ce que doit être une politique de gauche. Une politique de gauche n’implique en rien d’abandonner l’idée que le capitalisme est l’unique mode de formation sociale envisageable. Elle peut y conduire mais ce n’est en rien un préalable.
Puisque « grand soir » il n’y a pas, et puisque chacun sait qu’il n’y a pas de baguette magique pour « Nous sortir de cette crise , MAINTENANT !» , puisque tout le monde a intégré l’idée qu’il n’est pas de changement profond possible à l’échelle d’un seul pays , la tentation est immense d’applaudir à tout rompre un discours qui désigne les VRAIS responsables et….. de voter pour le parti, qui loin d’incarner ce discours, semble indiquer ce qui est POSSIBLE.
Ne pas voir que, dans la diversité phénoménale des comportements, toutes celles et ceux qui sont décrits par les phrases qui précédent constituent l’océan tumultueux de LA GAUCHE est pure cécité .Réduire cet océan au petit triangle des Bermudes où loge pour longtemps le PS conduit uniquement à l’imprécation et à la stérilité politique.
« La Gauche » n’est pas la solution, elle est le problème ; il s’agit de la transformer dans son ensemble ; c’est là l’ambition véritable que nous ne devons perdre de vue à aucun moment.
L’océan tumultueux de la gauche est traversé de mouvements puissants et ceux qui nous intéressent le plus ne sont pas d’abord de résistance, mais de construction d’autre chose, c’est bien différent. Il convient de créer un champ politique de rassemblement sans aucun écrêtage ; les raisons des uns doivent se conjuguer à celles des autres, pas se fondre les unes dans les autres. C’est là toute la difficulté. Les raisons des uns n’ont aucune raison a priori de s’immerger dans les raisons des autres et au moins temporairement, les uns comme les autres repousseront cette idée avec la dernière vigueur. Par contre, les uns comme les autres peuvent se retrouver ensemble mais différents dans un champ politique assez ample pour les incorporer sans les réduire. C’est là l’enjeu.