Grâce à Buisson, Sarkozy a certainement enregistré, dans la plus grande décontraction, son plus gros succès vocal. Les albums de Carla risquent de faire pâle figure à côté du coffret d’anthologie « Dans l’arrière-cour, tout au fond à droite » concocté par un maître-chanteur spontané, uniquement désireux d’enrichir le catalogue des disques Serp, qui durent tant à la passion mélomaniaque des érudits d’extrême droite. Buisson ne s’intéressait qu’aux notes, au timbre si riche de son président : comment lui donner tort ?
Il y aura toute une histoire à écrire des aventures de la voix dans les discours présidentiels. Une analyse sonore, qui mette un tant soit peu de côté l’obsession du contenu, du sens immédiat, du sacro-saint message. On sait combien les imitateurs, exactement comme les caricaturistes sur le plan visuel, excellent dans l’art de nous informer sur le lien entre forme et contenu, en révélant, par grossissements sonores et déplacements de (non)-sens inattendus, les tics, les intonations fabriquées, les feintes expressives, les stratégies sonores et les arrière-pensée contenues dans la voix publique du pouvoir. Toute une rhétorique qui est d’abord imprimée dans le son (pensez au timbre douceâtre de Chirac-Super-menteur aux Guignols) avant même de se traduire dans un argumentaire.
Je crois qu’on peut très bien entendre, par exemple, l’insincérité de Hollande quand il sur-joue un ton héroïque d’opérette, rien qu’en écoutant les « i » tachés de « u » et les inflexions bravaches de ses rodomontades contre Assad ou Poutine… Si ce n’est pas tout à fait pour rire, ce n’en est pas très loin — le « message » passe d’ailleurs très bien auprès des intéressés ! Fermez les yeux, écoutez, derrière les mots, ce récitatif du volontarisme le plus ferme, assuré, et vous y surprendrez peut-être, sous la componction, une quasi-parodie estudiantine de ce qui s’énonce — rassurante ou inquiétante, selon.
La voix de Sarkozy, il faut le reconnaître, est assez étonnante : elle semble en permanence comme adoucie, filtrée par une volonté d’atténuer ou d’apaiser l’agressivité dont elle sait que l’auditeur la soupçonne en permanence d’être sa vraie nature. Prenant souvent des intonations quasi enfantines, modulées pour amadouer l’interlocuteur dès le premier contact : Sarkozy disant plutôt « Bejou’ » avec un sourire fabriqué, qui ressemble assez à l’attitude professionnellement adoucie, faite pour rassurer, des adultes envers les petits enfants, ou des personnels soignants (chirurgiens, infirmières, hôtesses de l’air !) envers un public angoissé.
Laurent Gerra
http://www.youtube.com/watch?v=9ZbqEAktS80
http://www.youtube.com/watch?v=tBN0XQ-0dIU
a bien saisi cette sorte de martèlement arasé, quasi puéril des mots, qui confère aux phrases un ton de bon sens et d’évidence enfantine, comme une protestation aussi de bonne foi et de plate raison, là où précisément s’affirme un parti-pris idéologique parfaitement discutable. L’orateur, que ce soit devant les foules électrisées des meetings fusionnels ou l’atmosphère compassée et harassée des conférences de presse à l’étranger, garde presque toujours cette patine vocale d’un adulte qui gentil-gentil s’adresse à des enfants, ou à ce qui demeure en nous de passionnément, et dangereusement sans doute — enfantin.
En ce sens, les intellectuels d’extrême droite qui ont entouré Sarkozy, impressionné ce président culturellement inconsistant, pris racine dans sa cour au point de le circonscrire et finalement de le manipuler, ont trouvé en lui un comédien porte-parole inespéré, là où les tribuniciens autoritaristes ont toujours été (le chevrotant Pétain mis à part) des vitupérateurs outranciers et scatologiques, dressés sur des ergots vocaux plus ou moins mussoliniens — les Le Pen bien sûr, mais aussi l’apprenti Valls, qui exalte la tolérance républicaine avec l’index tremblant et la face migraineuse, courroucée, d’un évêque salazariste (de Salazar, durable dictateur catholique) en train de pronostiquer des châtiments divins hautement mérités : http://www.laparisienneliberee.com/ce-ministre-de-linterieur/
Il appartiendrait à des biographes de restituer l’histoire singulière de cette voix présidentielle, devenue si policée et séductrice jusqu’à être mielleuse, et contradictoire avec l’affirmation omniprésente de l’Autorité comme valeur cardinale sans contenu autre que tautologique (voir le tout récent discours en Allemagne, sur l’exaltation pour elle-même de la « valeur-leadership »), contradictoire aussi avec les manifestations intempestives des tics aux épaules, aux maxillaires, au cou, comme avec les éclats sombres du regard exaspéré, furibond d’agressivité sous les circonflexes étarqués des sourcils, décochés au professoral Hollande lors du fameux débat — où la voix pour une fois s’assombrit, presque rauque — http://www.youtube.com/watch?v=JW6-B0IlPuA
Il faudrait en outre prendre la mesure de ce que signifie concrètement, dans une vie, parler autant en public. En voyant Sarkozy, j’ai souvent été fasciné par la mélodie de persuasion qui habillait ses propos par ailleurs redoutables, menaçants, ou d’une mauvaise foi énorme (voix toute douce d’un Tartuffe à la truffe en chocolat : « La Turquie peut pas faire partie d’l’Europe puisque c’est l’Asie !») et dont il ne faudra pas oublier que ce ne furent pas, jamais, ses propres mots, mais ceux de textes, qu’il dit en les déchiffrant presque en direct — dans la situation d’un comédien lisant sur scène — écrits notamment par Henri Guaino. Auteur pédant, boursouflé, entêté de grandeur cocardière d’école primaire, et littérairement mégalomane ; pondant un style scolaire de « beau français » (que l’hebdo Marianne affecte d’ailleurs souvent) qui cache, derrière le bon sens populaire bien trempé, une radicalité réactionnaire redoutable, embarrassée de préjugés bourbeux et de douteux comptes à régler.
Le modèle indépassable de l’alliance Guaino l’Auteur / Sarkozy le Comédien est le discours de Dakar, lu par un Sarkozy dont on voit bien que, tout en y mettant le ton au fur et à mesure, il le comprend à peine, le découvre, n’est capable d’en mesurer aucune des énormités, débitées sur le ton radouci et équanime d’un sage professeur parlant à des auditeurs conquis (colonialement parlant) d’avance. http://www.youtube.com/watch?v=k9tU1vlKaTU
Ou encore, les grandiloquences sur la Résistance, sur Jaurès, qui sont l’œuvre d’une synthèse aussi mégalomane typique de l’extrême droite, dont il faut rappeler qu’en France elle est fantasmatiquement royaliste-élitiste plus encore que fascisante, dans son œuvre de révisionnisme des conflictualités, des différences, pour « unir » les « vrais », les « excellents » Français, très au-dessus de la « politique des partis » et des influences délétères venues de l’Etranger.
Il est finalement hallucinant que notre comédien-ex-président aie su jouer avec une telle constance, et un ton finalement si peu vindicatif, les énormités de plus en plus grosses mises dans sa bouche par des auteurs qui laissaient désormais libre cours, comme dans un baroud d’honneur, à leurs fantasmes droitiers éculés et bouffis d’aigreur. Fantasmes que lui-même partage sans doute assez peu, en tous cas pas davantage qu’un « terrain favorable » ne partage, en biologie, la virulence destructrice d’un virus… Au point qu’il s’y perde, et puisse, en effet, « changer » tous les quatre matins, comme une tête d’affiche du Boulevard fait avec ses rôles. Au point qu’il se mette à balbutier une phrase incongrue et absurde qui résumerait les grandiloquentes idioties qui lui sont passées par la bouche : un « Vous êtes la France éternelle ! » à ses militants, dévorés plus que jamais de fièvre obsidionale, au soir de sa grande défaite…
Au point qu’il en meure politiquement, peut-être, sincèrement étonné de s’entendre moduler sur tous les réseaux du monde ces paroles anodines, qu’il avait oubliées, quand ils plaisantaient, l’après-midi, lui et sa nouvelle conquête, sur leurs rêves partagés d’argent facile, d’appartements de fonction, de contrats mirifiques et d’avenir radieux…