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Billet de blog 16 avril 2014

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Une population et une région en danger au cœur de l'Algérie : les Mozabites et le M'zab

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le cycle de violences dites "intercommunautaires" a repris depuis plusieurs semaines à Ghardaïa, à 600 kms au sud d'Alger. Il est grand temps de s'alarmer d'une situation scandaleusement ignorée par les médias français.

Le M’zab, les Mozabites, Ghardaïa : ces noms, peut-être, n’éveillent chez beaucoup d’entre nous que de vagues réminiscences… Pourtant, les sept villes médiévales du M’zab (1) sont une source d’inspiration fondamentale de la modernité architecturale européenne. Le Corbusier et Fernand Pouillon, entre autres, reprirent aux maisons mozabites de nombreuses idées : la fonctionnalité du mobilier intégré aux structures du bâti, la sobriété vivante des volumes, l’intelligence du lien entre l’intérieur du foyer et les ressources du monde extérieur­ (lumière,  chaleur…) J’ajoute que les cités mozabites, étagées sur des collines, évoquent irrésistiblement les surfaces colorées de Paul Klee, et que le message manifeste de cette civilisation est de ne pas dissocier l’esthétique du domaine pratique. Cela est aussi vrai des palmeraies, conçues pour répartir l’eau équitablement entre des centaines de jardins de tailles diverses, dont chacun est le reflet d’un Paradis d’arbres fruitiers et de plates-bandes historiées dans la dure rocaille désertique de cette région.

Pourtant, les Mozabites eurent avec le colonisateur français des liens resserrés (d’aucuns y voient évidemment un élément à charge contre eux), basés non sur la soumission servile mais sur le commerce, l’échange, la recherche d’intérêts construits diplomatiquement et dignement. Aujourd’hui la diaspora mozabite est importante à Marseille et à Paris, où des commerces de vêtements et de tissus sont une part visible de cette communauté à vrai dire très pieuse, dont les pratiques religieuses s’accommodent d’une discrétion aussi grande que l’est leur rigueur (2). Les Mozabites ont élaboré une théologie minoritaire dans l'Islam — l’Ibadisme —, une obédience qui contribue à les distinguer, voire à les isoler, les marginaliser, face au courant dominant (le Malékisme) en Algérie. Ils sont en outre berbérophones, donc linguistiquement plus proches des Kabyles que des arabophones…

… Vous avec sans doute deviné, au fur et à mesure de cette brève évocation, tout ce qu’elle recèle de lourdes menaces potentielles : une communauté régionale très minoritaire sur le plan démographique (environ 300 000 personnes sur les 37, 8 millions d’Algériens) comme religieux et linguistique… cependant très organisée et détentrice d’une certaine richesse, due en partie au commerce et aux liens diasporiques… Un contexte qui, adossé à l’héritage de la colonisation et aux souffrances algériennes forme hélas le terreau idéal de jalousies, d’incompréhensions, et pour finir de tensions qui n’ont jamais cessé de s’accroître depuis 15 ans, jusqu’à dégénérer récemment en affrontements d’une terrible violence.

Je ne veux pas répéter ici ce que vous pourrez lire dans de nombreux articles parus en ligne sur les évènements des derniers mois au M’zab. Des drames qui cependant sont scandaleusement passés sous silence, ignorés par la presse française…

Qu’il suffise de rappeler que ces tensions ont comme conséquences actuelles des meurtres, des expulsions de centaines de familles mozabites de leurs maisons, des émeutes plus ou moins orchestrées ou concertées (par qui ? comment ? à chacun de se forger une opinion et de s’informer) envers les Mozabites, notamment ces jours-ci à Ghardaïa. Que ces conflits de « territoire », sur fond de détresse économique et de climat électoral très tendu, sont peut-être le signe avant-coureur d’un conflit bien plus grave et dramatique. Conflit où les singularités qui dessinent une certaine identité mozabite deviendraient autant de prétextes à une construction idéologique haineuse contre cette population. Or le passé nous a largement appris ce que peut faire l’instrumentalisation des haines « inter-communautaires »…

La vigilance, la solidarité active, et l’alerte envers les pouvoirs publics s’impose donc. Tout comme une demande urgente adressée à tous les média : celle d’un vrai suivi d’informations et d’analyses sur la situation dramatique du M’zab.

http://www.mzab.eu/28012014-communique-02-du-collectif-des-mozabites-en-europe-cme/

http://www.afrik.com/algerie-ghardaia-assiegee-par-10-000-gendarmes-et-polic

http://www.afrik.com/algerie-affrontements-autour-du-meeting-de-sellal-a-ghardaia

http://www.afrik.com/algerie-une-deuxieme-personne-tuee-dans-les-heurts-a-ghardaia

(1)  Les sept cités mozabites ou ksour, fondées à partir du 11ème siècle, sont : Ghardaïa — le poumon économique du M’zab, qui attire de nombreux jeunes algériens à la recherche d’un travail —, Bounoura, Béni-Isguen, El Atteuf (fondée en 1012), Mélika, Berriane, El Guerrara. Le M’zab, situé à 600 kms au sud d’Alger, est un plateau rocheux au climat désertique.

(2)  Les Mozabites, très pieux dans l’ensemble, ne correspondent en rien aux clichés sur l’islamisme fondamentaliste. Leurs traditions dressent même une résistance déterminée aux idéologies salafistes, à l’islamisme théologico-politique de la nébuleuse AQMI, etc.

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