Ce serait cocasse, si l’enjeu n’était aussi grave : la synthèse de ce qui se déroule sous nos yeux pointe vers un scénario du pire, quoiqu’il en soit du résultat des législatives. Or il me semble que peu d’entre nous ose (se) l’avouer clairement. Le pessimisme ambiant est « gazeux » et, surtout, le dérivatif de cette quasi-parodie de campagne électorale à laquelle Macron a contraint le pays fonctionne parfaitement. Comme un leurre qui aimante, qui détourne les passions et nous donne un os accessoire à ronger. Examinons plutôt les perspectives de l’après 7-juillet.
Que ce vote ne donne de majorité à aucun des trois « blocs » en lice (le plus probable) ; qu’il donne une majorité suffisante au RN et ses supplétifs pour gouverner ; que le Nouveau Front Populaire puisse être en mesure de former un gouvernement : dans ces trois cas, la crise que notre pays va traverser dès cet été sera terrible. Dit autrement, tous les indices d’un prologue de tragédie, bien plutôt que de son dénouement via la soi-disant catharsis du vote démocratique, sont sous nos yeux.
En tant que citoyen.n.es de gauche, nous souhaitons de tout cœur une victoire du Nouveau Front Populaire. Mais notre enthousiasme pour ce projet somme toute modéré, ne parvient pas à occulter ce que nous voyons jour après jour se préparer. Nous pensons que toutes les forces répressives de l’Etat comme celles situées hors de l’état de droit, sont en train de se préparer à ce qu’il est convenu d’appeler dans le lexique réactionnaire, une « reprise en main » du pays. En cas de victoire de la gauche, nous croyons que toutes les lois liberticides déjà disponibles, plus quelques autres adoptées d'urgence s’il le faut, seront actionnées en même temps. Que tout sera fait, par la force autant que nécessaire, pour empêcher que le programme du Nouveau Front Populaire connaisse un début d’application qui pourrait le crédibiliser un tant soit peu. Et que parallèlement, les milices composées de ces milliers de brutes fascisantes qui sont en train de s’entraîner sous nos yeux, seront prêtes à engranger des campagnes d’intimidation physique, dans la rue et ailleurs, comme on n’en a pas vu en France depuis des décennies. Nous croyons que la conjugaison d’une propagande médiatique éhontée, déjà en marche depuis longtemps, du déchaînement des réseaux sociaux, déjà là aussi, de la violence « légale » et illégale enfin, prendra de cours une partie de l'opinion, qui croit encore de bonne foi que le jeu "normal" des institutions va dissiper cette crise. Et nous croyons que Macron, dont la dérive extrême-droitière ne fait plus aucun doute, est en train de préparer ce terrain davantage à chacune de ses nouvelles déclarations.
Ce scénario, à vrai dire, aura lieu de toutes façons. Mais en cas de victoire incontestable du RN il se déroulera de manière plus feutrée, puisque grimé sous la légitimité d’un vote (un vote dont les conditions relèvent pourtant de la précipitation catastrophique, comme Macron l’a voulu). Qu’on ne se trompe pas sur les « flous » du programme de l’extrême droite. C’est ce flou qui permettra une inventivité destructrice dont les récentes déclarations de Bardella donnent une idée claire. Sa volonté affichée de « dissoudre » « tout » ce qui relève de « l’ultragauche » ; sa manière d’appeler « rébellion très dangereuse » la manifestation parfaitement pacifique et démocratique du 15 juin. Etc. Bardella qui révélera sans nul doute, une fois au pouvoir, son caractère froid de fanatique, sans le contrepoids intérieur qu’une expérience ou une culture minimales auraient pu lui donner.
Quant à un maintien de Renaissance-Horizons, il ne pourra avoir lieu qu’en cas d’ « ingouvernabilité ». Dans ce cas comme dans les deux autres, le prétexte à la « reprise en main » sera le même : préserver le pays d’une « aventure » qui serait pire encore, mettrait les finances du pays en banqueroute, ferait de nous la Grèce d’il y a 10 ans ou pourquoi pas un "revival" de l’âge de pierre, etc. Le réalisme économique sera le grand, le seul et suprême alibi, rhétorique ressassée déjà ad nauseam. Celles et ceux qui auront un avis différent et tenteront de le dire haut et fort seront traités en ennemi.e.s, avec une dureté sans précédent, pensons-nous, depuis les grands moments réactionnaires de l’histoire.
Nous croyons que c’est à cette tragédie-là qu’il faut se préparer, comme chacun.e le peut. L’espoir est au prix de ce minimum de lucidité.
(Ecrit le 19 juin 2024)