Bref rappel au-dessus du maelström : Marcela Iacub, depuis ses premières publications il y a environ 10 ans, est une intellectuelle des plus intéressantes dont les travaux, pour résumer, traitent des rapports entre le corps et le droit, dans la lignée de Michel Foucault. Mais plutôt que de ressasser dévotement cet héritage, elle ne cesse de problématiser de manière très argumentée, souvent virtuose et amusante — à la manière anglo-saxonne, ce qui rajoute à l'incompréhension rencontrée en France où l'on a peu lu ses ouvrages de fond — les questions du bio-pouvoir, avec l'interventionnisme croissant du juridique dans la définition, la répression, le contrôle de ce qu'est un corps —vivant, sexuel, mort, fœtal, animal, humain, anonyme, personnel, prostitué, violé, etc.
Ce sont toutes les situations-limites où le droit se cherche encore, où la politique des corps se dessine, mouvante, et par conséquent hautement polémique et politique, qui l'intéressent. Et intéressent peu, hélas, ses "collègues" féministes, anthropologues, pseudo-philosophes… qui aiment à la renvoyer hautainement dans l'enfer (?) de la pensée queer, branchée, à la mode, etc. Au lieu de débattre à la loyale des problèmes brûlants, concrets mis en valeur par Iacub, de surcroît dans une perspective historique où l'héritage de 68 et la généalogie de la pensée libérale (la vraie, héritée du 18ème siècle, qui cherche l’émancipation des libertés du sujet, et pas la dogmatique économique qui usurpe en grande partie la noblesse du mot) sont sans cesse réinterrogés à l'aune de "ce que nous en faisons" aujourd'hui – au lieu de débattre, donc, les pseudo-penseurs en place se défilent.
Et par là privent notre espace public de vrais débats responsables sur d'authentiques et urgents problèmes citoyens.
Le droit pour les handicapés à pratiquer le sexe tarifé ? pouah ! l'interdiction de l'accès à la sexualité des patients internés en HP ? re-pouah ! Les droits sociaux des travailleuses du sexe ? quelle horreur ! savoir quand un corps est juridiquement "mort", alors que ses organes sont encore "vivants", et comment évolue de facto ou de jure le droit du prélèvement des organes, qui concerne au sens propre les limites de la vie et de l'intégrité corporelle, face aux diverses opinions, idéologies, religions ? Plutôt que d'y réfléchir publiquement, laissons faire en silence des pratiques médicales mal encadrées, mal pensées, quitte à se gargariser de grands principes quand un cas médiatico-juridique sordide se présentera soudain…
En France, les positions de mandarinat sont bien trop figées pour que qui que ce soit, ou presque, se risque à débattre à la hauteur des rares penseurs qui prennent au sérieux l'actuel ou le refoulé, la part inquiétante de réel qui s'occupe de nous si nous ne nous occupons pas de lui. Etre "subversif", "bouger", "déranger" sont plus que jamais de purs slogans dont se parent les Assis de la pensée.
Iacub ne fait pas partie de ce club de grands feignants. Qu'elle dérive parfois vers une vulgarisation un peu facile… ou encore vers des sortes d'auto-fictions bizarres (voir Une journée dans la vie de Lionel Jospin), dont l'avenir dira si elles ont une place dans la littérature ou bien dans les opera minores de cette écrivain assez excentrique et atypique, ne doit pas empêcher de lire des ouvrages aussi… excitants :
- Marcela Iacub, Le crime était presque sexuel : et autres essais de casuistique juridique, Paris, Flammarion, 2002 (ISBN 978-2-08-080055-8)
- Marcela Iacub, Penser les droits de la naissance, Paris, PUF, 2002 (ISBN 978-2-13-051648-4)
- Marcela Iacub, Qu'avez-vous fait de la libération sexuelle ?, Paris, Flammarion, 2002 (ISBN 978-2-08-210227-8)
- Marcela Iacub, L'Empire du ventre : Pour une autre histoire de la maternité, Paris, Fayard, 2004 (ISBN 978-2-21-362118-0)
- Marcela Iacub et Patrice Maniglier, Antimanuel d'éducation sexuelle, Paris, Bréal, 2005 (ISBN 978-2-74-950540-4)
- Marcela Iacub, Bêtes et victimes : et autres chroniques de Libération, Paris, Stock, 2005 (ISBN 978-2-23-405755-5)