Dès ses débuts, la carrière de Silvano Agosti se distingue par son goût du scandale. A l’issue de la sortie de son premier film, "Le Jardin des Délices" (1967), il est en effet convoqué par le Vatican. Il se voit obligé de justifier les partis pris d’un film jugé anticlérical qui sera amputé de 26 minutes. Très affecté par cette censure, le réalisateur italien décide alors d’arrêter là sa carrière artistique. Le film, quant à lui, continue de tourner en festivals et est vu par Ingmar Bergman qui, convaincu du potentiel d’Agosti, le persuade de poursuivre son travail. Le réalisateur italien décide alors de sortir définitivement des circuits traditionnels commerciaux pour la réalisation de ses films. La créativité, selon lui, ne peut s’exprimer que dans la clandestinité. Les sujets auxquels il s’intéresse sont des sujets sensibles pour l’Italie traditionnaliste des années 1960-70 : le sexe, l’hôpital psychiatrique, la religion, la guerre. Et, malgré leur valeur, ses films ne seront jamais projetés dans les salles italiennes.
Pour D’amore si vive, il a arpenté pendant trois ans les rues de Parme. Il y a rencontré et interrogé les habitants sur leur rapport à l’amour, au sexe et à la tendresse. Son film prend la forme d’une enquête autour de sept portraits. S’approchant au plus près de ses personnages, il n’hésite pas à les pousser dans leurs retranchements par des questions précises et intimes. On partage parfois le malaise que dissimulent les rires et les regards qui tentent de fuir le cadre serré de la caméra.
On rit franchement au gré des anecdotes que nous livre avec pudeur Anna, ancienne prostituée. On est saisi par la maturité de Franck, 9 ans, qui défend une définition de la vie loin de celle que lui impose l’école. On est fasciné par la beauté diaphane et androgyne de Lola. Son portrait, le plus long de la série, est vibrant. Sur un ton neutre, presque désabusé, elle livre une vision fine et empreinte de liberté et d’amour. Avec beaucoup de simplicité et d’honnêteté, elle s’ouvre au réalisateur et au spectateur, tout en gardant un jardin secret sur lequel elle ne cède aucun terrain à l’intrus.
Malgré ces quelques moments lumineux, émane de ces portraits un sentiment de nostalgie. Nostalgie d’une tendresse appartenant à l’enfance, désormais révolue, remplacée par une sexualité dénuée de sens et pas toujours bien vécue. Il en va ainsi de cette femme qui, une fois sortie de l’adolescence, s’est longtemps questionnée sur l’existence de son vagin.
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Le réalisateur arrache les aveux mais c’est là que l’émotion paraît, qu’une vérité émerge. A travers ces portraits, il touche à des sujets multiples et universels, remettant en question des principes établis. L’instinct maternel est-il aussi instinctif qu’on le suppose ? Dans quelle mesure la sexualité des enfants est-elle (re)connue des adultes ? En quoi l’éducation devient-elle un vecteur de honte pour le futur adulte ? Que faire d’une nuit de noces ratée ? Les faisceaux d’existences et d’expériences se rejoignent pour former une voix plurielle autour du besoin fondamental d’amour que chacun porte en lui.
•• D'amore si vive de Silvano Agosti (93 minutes, 1984)
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