
Claire Simon est une observatrice fine du réel, qu’elle capte et observe comme une romancière, traquant les ressorts dramatiques, nous donnant à voir la comédie humaine, qui se déroule perpétuellement pour autant qu’on y prête attention. Mais ce qui rend son œuvre si poignante, c’est qu’elle pose le regard, et par extension, la caméra, sur des situations a priori invisibles, dont on entend que les échos mais sans jamais en voir le déroulement. En s’appuyant sur des situations cadres – une romance d’été, une faillite, une pause de récréation – elle filme tant et si bien les interactions et les affects qui s’en dégagent que ses personnages en deviennent quasi transparents, nous laissant presque entrevoir leurs âmes. Tënk vous propose, par le biais de la plage Fragments d’une œuvre, quatre de ses documentaires : Récréations (1993), Coûte que coûte (1995), 800 km de différence – Romance (2001) et Mimi (2002).
Dans Récréations, long-métrage de 1993 qui aura particulièrement marqué les consciences, Claire Simon nous donne à voir, à hauteur d’enfant, ce qui se déroule véritablement dans le pays de l’enfance. Rarement un regard adulte peut à ce point apercevoir sans fard les interactions crues, violentes et passionnelles qui règlent les relations des petits. On parvient presque, grâce à une caméra au plus près des corps, à voir les directions désordonnées et pulsionnelles que prennent les pensées des enfants. Le monde est mouvant et chaotique ; les choses se métamorphosent sans cesse et prennent la forme que leur accorde le plus fort du moment. Une vieille clôture devient salon de coiffure, puis prison, suivant une logique arbitraire que suit curieusement le groupe. On assiste à des scènes exceptionnelles, presque impudiques, car elles sont effacées des mémoires d’adultes. Mais ces scènes nous habitent tous en creux, et dans un curieux malaise nous rappellent la violence des sentiments. Car sous le vernis de l’éducation et du dressage social, c’est ce même flot qui nous habite et qui continue de nous diriger, malgré nos impressions de maîtrise et de rationalité.
Avec Mimi (2002), Claire Simon s’aventure sur un terrain beaucoup moins accidenté. On est à des lieux de l’univers clos de la cour d’école, alors qu’elle arpente Nice, la ville, la montagne, en compagnie de son amie Mimi, dont elle sonde la mémoire au travers des lieux habités. Une promenade à la fois dans des espaces chargés d’histoire et de souvenirs, et une promenade intérieure, alors qu’on accède petit à petit aux frontières de Mimi et aux géographies qui la constituent. Mimi nous délivre, bribe par bribe, de quoi elle est la somme et la partie ; les fantômes gracieux qui la hantent et les rencontres qui l’ont nourrie. De grands moments de cinéma nous sont offerts dans cette œuvre baignée de lumière. Le dispositif déployé par Claire pour déclencher la parole de Mimi est particulièrement fort. Elle amène son amie dans les lieux symboliques de sa vie, puis se pose en retrait avec sa caméra, et laisse le pouvoir d’évocation des espaces faire leur travail. Mimi, seule dans le cadre, arpentant émerveillée ses lieux de mémoire, déroule une parole continue, magique, presque incantatrice, et partage au monde tous ces récits qui la constituent et qui tissent la courtepointe de son destin. C’est une œuvre pleine d’amour et de respect pour la singularité des êtres, mais qui souligne également la richesse de ces gens qui savent enchanter le réel.

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800 km de différence - Romance, c’est l’amour au temps des vacances, l’amour délibérément aveugle de la jeunesse qui refuse de voir les conventions de classe, les codes absurdes qui réfrènent les corps, les envies, les découvertes, bref la vie ! 800 km, c’est aussi une mère qui filme la relation amoureuse de sa fille, c’est le risque de tout mélanger et de briser la tendresse du réel. Mais Claire Simon évite les écueils en posant un regard tendre et amusé sur cet amour imbriqué dans un tas de contradictions. Cet amour qui se heurte à la dureté du monde, au travail physique, au manque de sommeil, aux kilomètres à parcourir, eh bien il survit à tout, comme pour se moquer du monde des adultes et faire triompher la vérité des sentiments.

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Finalement, Claire Simon filme la loi de l’argent en action dans Coûte que coûte, curieux documentaire sur une petite entreprise de plats cuisinés en train de couler. Les quelques employés s’activent, s’engueulent, se démènent, mus par un sentiment d’appartenance et poussés par l’urgence d’agir au lieu de se laisser disparaître. C’est aussi l’opposition entre le bureau et la cuisine, entre la gestion et la vie. Mais c’est surtout un film sur des personnages plongés dans une aventure qui les dépasse, une "comédie tragique du travail, de ce qu'on est parfois amené à faire pour vivre, notre monde..." (Propos de Claire Simon)
FRAGMENT D'UNE ŒUVRE consacré à la cinéaste française Claire Simon :
•• Récréations (54 minutes, 1993)
•• Coûte que coûte (100 minutes, 1995)
•• 800 Km de différence - Romance (70 minutes, 2001)
•• Mimi (113 minutes, 2002)
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