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Billet de blog 22 novembre 2017

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Géographie (québécoise) de l'intime

Prenez le temps de découvrir, à travers trois propositions documentaires d'une force et d'une qualité indéniables, trois regards québécois qui interprètent le réel de manière singulière et inspirée. (Un billet de Naomie, stagiaire québécoise...!)

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D’entrée de jeu, je dois préciser que je ne suis pas très objective (mais qui l’est jamais...!). Si je suis une fervente admiratrice de Perrault, Brault, et ces artistes mythiques qui ont participé à faire exister le peuple québécois à travers ses images et son langage dans les années 60, je suis particulièrement enthousiasmée par l’inventivité formelle et la diversité des discours que l’on retrouve depuis 5, 10 ans dans le documentaire québécois. Les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) nous font découvrir chaque année des œuvres formidables, qui révèlent de nouveaux talents ou en confirment d’autres. Tënk a ressorti pour vous trois films de la sélection 2016 qui laissent entrevoir un certain courant du documentaire québécois qu’on pourrait qualifier de « géographie de l’intime ». Toujours ancrés dans des espaces précis qui deviennent des personnages du film, ces documentaristes sondent l’âme humaine et mettent en relation territoire et quête individuelle.

Illustration 1
Les Rencontres internationales du documentaire de Montréal

Elle pis son char

Ce documentaire « commencé par Lucie Tremblay et terminé par Loïc Darses » est un film nécessaire, puissant, qui relate le parcours d’une femme, la mère du jeune réalisateur, qui filme sa quête pour se libérer d’un homme qui l’a agressée de ses 8 à 12 ans. Elle parcourt les kilomètres pour aller porter en main propre une lettre qu’elle lui a écrite et du même coup lui remettre la honte indue qu’elle aura dû porter toutes ces années durant.

Illustration 2
"Elle pis son char" de Loïc Darses

Ce film commencé en 2003 par Lucie est repris par son fils en 2015 comme projet de fin d’études. Il devient donc une œuvre à quatre mains qui témoigne à la fois des récits portés en creux et transmis aux descendants et de l’amour d’un fils pour sa mère, qui décide d’accompagner cette dernière dans les derniers milles de son acte de bravoure inouï.

Le film tout entier est bâti autour du territoire. L’île Verte, observée par la mère lors de sa première traversée du Bas-du-Fleuve pour trouver son agresseur, devient un point central. Il rattache Lucie au monde alors que, seule dans sa voiture avec cette lettre qui la ramène toujours à son terrible secret, elle roule des heures durant sans savoir ce qui l’attend comme rencontre. « Me voici au quai de l’île Verte. Pas grand-chose à dire. C’est tellement beau. » Moment de beauté et d’apaisement dans ce road movie glaçant, mais curieusement lumineux. Lorsqu’elle y retourne avec ses enfants, délestée du poids infâme du silence, le petit Loïc prend la caméra et la filme sur ce quai, et on la voit pour la première fois habiter le monde, enfin revenue à la vie dont la solitude du secret la tenait à l’écart.

Illustration 3
"Elle pis son char" de Loïc Darses

C’est un film de courage, d’amour, d’admiration, et de puissance. Une puissance absolue qu’incarne cette survivante qui effectue cette traversée du désert avec comme arme une caméra au poing. C’est également un film sur les qualités thérapeutiques du cinéma – et de l’art en général -, ultime lien au monde dans la solitude, ultime manière de renouer les communications rompues ou impossibles, ultime possibilité pour représenter l’indicible. À voir et à faire voir urgemment, surtout en cette période de #metoo où certains remettent encore en cause les paroles des victimes ou les conséquences effarantes des agressions sur une vie.

Un amour d’été

On change de registre émotif avec Un amour d’été, mais on demeure dans la quête individuelle au sein d’un territoire marquant. Cette fois, on est dans un cinéma qui décrit les tressaillements de l’âme, qui s’adresse à notre sensibilité affective, qui dépeint de microscopiques changements de lumière, des courants d’air sur la peau, des battements de paupières. Jean-François Lesage, le réalisateur d’Un amour d’été, nous convie à une errance sur le mont Royal, un soir caniculaire. Lieu central de la ville, microscome de verdure, de forêt, et de courbes dans un paysage urbain et plat, le mont Royal est envahi les soirs d’été par une faune hétéroclite de laquelle on perçoit aisément tous les comportements hagards imputables à l’amour. L’air est ensorcelé, les corps sont plus lents, plus graciles, les regards sont brumeux et les tableaux captés par Lesage rendent perceptible ce filtre d’amour qui isole les âmes esseulées, condamnées à être les témoins distants de ces corps envoûtés.

Illustration 4
"Un amour d'été" de Jean-François Lesage

Lesage dresse un genre de cartographie des sentiments, mais en apesanteur. On croirait être un narrateur invisible et omniscient qui parvient à sonder les âmes qu’il rencontre, et flotte d’un territoire à l’autre, guidé par les quelques lumières de la nuit qui éclairent d’une brume bleutée les corps alanguis et plongent les scènes dans une irréalité sublime. Ce documentaire est un rêve éveillé sur la ville, l’amour et les corps l’été.

Callshop Istanbul

Avec Callshop Istanbul, la géographie s’élargit pour faire place au monde et donne à voir également le Québec contemporain ; celui de toutes les origines et des récits les plus divers. Callshop Istanbul, c’est deux réalisateurs – Sami Mermer et Hind Benchekroun – qui tournent leur regard sur une des villes les plus cosmopolites, carrefour entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique, rencontre de tous les mondes. Cette fois, nous ne sommes plus dans une quête intime, mais bien dans l’entrechoquement des quêtes : tous ces parcours singuliers, presque inimaginables dans leur diversité, tous ces individus dont les histoires nous apparaissent par bribes, se croisent dans l’étroitesse des cabines anonymes des callshops.

Illustration 5
"Callshop Istanbul" de Sami Mermer et Hind Benchekroun

Déchirants, émouvants, ces bribes de récits nous laissent entrevoir des existences en transit et des tentatives désespérées de trouver simplement un endroit pour vivre. La multitude des destins aperçus nous plongent dans un vertige tout à fait contemporain : comment parvenir à trouver sa place dans ce monde surchargé, surpeuplé, en proie à des conflits et des déséquilibres qui poussent des populations complètes à l’exil. Comment survivre dans cette jungle urbaine où ces individus se retrouvent par stricte nécessité, soumis aux sentiments terribles de l’exil économique : nostalgie du pays perdu, douleur d’être loin de sa famille, anonymat forcé des corps et négation de toute identité propre dans cette recherche ingrate de n’importe quel travail. Callshop Istanbul humanise ces trajectoires, le temps des appels passés aux familles restées derrière, avec une sensibilité poignante qui nous oblige à nous interroger sur la crise des migrants, non plus du regard froid des actualités, mais d'un regard fortement empathique et humaniste. Un documentaire qui témoigne d’une géographie des sentiments à l’ère de la mondialisation et de la nécessité de repenser les frontières, les identités nationales et le système économique dans sa globalité.

Illustration 6
"Callshop Istanbul" de Sami Mermer et Hind Benchekroun

•• Elle pis son char de Loïc Darses (29 minutes, 2015)
Présenté en 2015 aux RDIM, le film obtient une mention spéciale de la Compétition internationale courts métrages.

•• Un amour d'été de Jean-François Lesage (63 minutes, 2015)
Présenté en 2015 aux RIDM, le film obtient le grand prix de la Compétition nationale longs métrages.

NB: Le réalisateur vient de remporter le Prix spécial du jury de la compétition nationale longs métrages pour Une Rivière cachée, son dernier film, à la 20e édition des RIDM qui s'est clôturée le 19 novembre.

•• Callshop Istanbul de Sami Mermer et Hind Benchekroun (89 minutes, 2015)

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