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Billet de blog 19 novembre 2021

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Proclamation étudiante

La jeunesse s'est fait entendre : cette fois, nous ne payerons pas le prix... pas après le 17 octobre.

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Dans ce texte publié le 16 décembre 2020 par Megaphone, Verena El Amil, membre du réseau politique d'organisations estudiantines libanaises Mada, présente les résultats de récentes élections universitaires en les replaçant dans le contexte de l'histoire du mouvement étudiant au Liban depuis le milieu du siècle dernier et dans celui qui s'est ouvert depuis la révolution du 17 octobre.

Verena El Amil sera présente à l'Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis le 29 novembre 2021 pour discuter des luttes étudiantes représentées dans Alors (1973), film réalisé par Jean Chamoun alors qu'il étudiait le cinéma à l'Université Vincennes de Saint-Denis, à la lumière des mobilisations actuelles dans les universités au Liban.

Entrée gratuite. Une caisse de solidarité pour soutenir les actions du réseau Mada circulera lors de cet événement.

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Proclamation étudiante

La scène de la reprise de leurs universités par les étudiant.e.s au moyen des élections estudiantines incarne peut-être l'un des moments historiques les plus manifestes depuis le 17 octobre 2019. Les avancées et les prises de position qui en ressortent indiquent une maturité politique sur laquelle compter à l'avenir.

Les dernières victoires des collectifs indépendants représentent un tournant essentiel dans le mouvement étudiant. Comme le dit Tareq Ghosn, trésorier du Club laïc de l'Université Saint-Joseph, c'est la première fois depuis un quart de siècle qu’un mouvement étudiant de jeunesse laïque est en mesure de peser dans une situation donnée et de la transformer. Rappelons en effet que le mouvement étudiant au Liban est actif depuis le milieu du siècle dernier et qu'il a conduit à la fondation et à la structuration d'une université libanaise autonome. Cependant, ce que la guerre a divisé n'a retrouvé son élan qu'en de rares occasions : lors du mouvement de libération [du Liban-Sud de l'occupation israélienne] (2000) et de la libération [de la tutelle et de la présence militaire syriennes] (2005). Malgré ces deux moments, il est possible de dire que depuis plus de quinze ans nous n'avons assisté à aucune union étudiante autour d'une cause claire et d'un discours politique qui porte.

Samedi dernier, le front de jeunesse étudiante – lequel réunit le réseau Mada, les clubs laïcs, les collectifs indépendants et des individus – a déclaré qu'il était prêt pour la prochaine étape, consistant tant à se lancer dans la bataille pour l’enseignement que dans celle visant à reprendre en main le pays, en s’appuyant sur ces résultats électoraux historiques pour le mouvement étudiant.

Les jalons de cette bataille sont clairs :

- Contraindre les universités à revenir sur les prix des inscriptions en dollars et à maintenir les prix en livres libanaises. Geler toute forme d’augmentation [des frais] pour le semestre à venir en attendant la négociation collective entre les étudiant.e.s et la direction.

- Proposer une ligne claire pour renforcer l'autonomie de l'Université libanaise.

- Imposer la charte étudiante1 dans le règlement.

Quelques représentant.e.s étudiants ont rencontré le ministre de l'éducation afin qu'il assume ses responsabilités et pour que le ministère de l'éducation intervienne en s’acquittant de ses obligations. Dans ce cadre, Yara Idriss – présidente de la liste « طالب » (Tâléb)2 de l'Université Saint-Joseph, a déclaré que le ministre était réceptif, favorable, et qu'il avait encouragé les étudiant.e.s à faire pression dans la rue en promettant qu'il avait l'intention de geler la décision de dollariser les inscriptions ainsi que de faire payer ces frais à un taux équivalent à 3900 LL [pour un dollar] au second semestre. Il a cependant laissé entendre qu'il ne se faisait pas d'illusion puisque les universités privées sont des organisations privées qui ne dépendent pas du ministère et ne se conforment d’ordinaire pas à ses décisions. Face à ces aveux d'impuissance de l’État à protéger les étudiant.e.s, le mouvement étudiant se prépare à maintenir le rapport de force samedi prochain, le 19 décembre, devant le ministère de l'éducation.

La jeunesse s'est fait entendre : cette fois, nous ne paierons pas le prix... pas après le 17 octobre3.

Elias Chamoun, membre et précédent secrétaire du Club laïc, ajoute que nous voulons construire sur la base de ces élections des collectifs indépendants dans les universités, celles-ci constituant tout au plus un point de départ, et que nous ne voulons pas rater ce moment politique. En effet, certains considèrent qu'il y a beaucoup d'opportunités politiques manquées pour la jeunesse et l'opposition. Il est pourtant clair que les opportunités politiques ne se manquent pas : ses résultats s'accumulent plutôt pour finalement se cristalliser.

Les étudiant.e.s se sont fait entendre clairement : nous n'accepterons pas d'être traité.e.s comme une marchandise, nous n'accepterons pas après une décennie et demie à étudier de devoir choisir entre l'émigration et le chômage, nous n'accepterons pas que l'économie rentière se fonde sur nos départs pour tirer profit des revenus de la diaspora.

Après la révolution et après la légitimité que nous ont procuré les élections universitaires, nous avons décidé d'être ce noyau de jeunesse qui conduira le pays à se relever librement.

Verena El Amil

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Notes de traduction:

1 Rédigée par des étudiant.e.s en 2017, la charte présente une série de conditions que les Universités devraient s'engager à respecter dans leurs relations avec les étudiant.e.s.

Tâléb est un homonyme dont le sens peut être « étudiant » aussi bien que l'impératif du verbe revendiquer.

3 "لن ندفع الثمن" a constitué l'un des slogans de la Révolution.

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