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Billet de blog 21 juin 2023

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Et s'il fallait relire Thucydide pour expliquer le conflit sino-américain

Le débat sur le "piège de Thucydide" (Thucydides's trap) fait rage aux États-Unis, alimenté notamment par le livre d'un des plus grands théoriciens des RI américains, Graham Allison : Destined for war.

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Illustration 1

Une relecture moderne de Thucydide 

Dans cet essai, Graham Alisson reprend l'analyse de l'historien grec Thucydide, qui, lors des guerres du Péloponnèse au Ve siècle avant J.-C., avait observé l'inévitabilité du conflit entre Sparte et Athènes. Sparte, une puissance en déclin mais dominante, cherchait à éviter d'être surpassée par Athènes, une puissance en plein essor, qui avait développé des modèles démocratiques largement étudiés par Benjamin Constant et Bernard Manin dans son ouvrage intitulé "Principes de gouvernement représentatif". Un autre exemple pertinent peut être observé dans les relations entre l'Allemagne de Guillaume II, qui connaissait un développement économique extraordinaire à la fin du XIXe siècle et mettait en place d'importantes politiques sociales menées par Otto Von Bismarck  visant à améliorer les conditions de vie et les salaires des Allemands, et l'Angleterre victorienne.

Cette dernière était un empire qui, à son apogée, du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle, fut l'une des plus grandes puissances mondiales. Les traités de Westphalie (1648) et d'Utrecht (1712), qui ont établi un nouvel ordre politique en Europe en reconnaissant l'indépendance et la souveraineté des États, ont joué un rôle clé dans la consolidation du système des États-nations. Ces traités ont été minutieusement décrits par le spécialiste des guerres modernes, Alain Bauer, dans son dernier ouvrage intitulé "Au commencement était la guerre" (2023, Fayard).  Dans ce contexte, qui se répète de manière constante dans les relations entre les États, une question se pose : est-ce que la puissance dominante cherche systématiquement à empêcher, par la force, son concurrent de la surpasser ? Graham Allison examine seize cas de ce type, dont douze ont abouti à des conflits armés.

La guerre est-elle inéluctable entre Washington et Pékin ?

La Chine devrait surpasser l'économie américaine d'ici dix ans. En 2001, lors de son adhésion à l'OMC, le produit intérieur brut (PIB) chinois ne représentait que 10 % de celui des États-Unis. En 2019, ce chiffre était déjà passé à 65 % et il dépasse désormais les 75 %. La pandémie de Covid-19 a accéléré cette tendance, alors que les États-Unis ont connu une forte récession en 2020, tandis que la Chine est parvenue à maintenir sa croissance économique. La gestion de cette montée en puissance chinoise, qui pourrait dépasser celle des États-Unis, constituera un enjeu stratégique majeur, voire le principal, dans les relations entre Pékin et Washington. Il est intéressant de noter que, pendant la guerre froide, le PIB de l'URSS n'a jamais dépassé 40 % de celui des États-Unis. Ainsi, l'opposition à la Chine et sa perception comme une menace stratégique font partie des rares points de convergence entre les Républicains et les Démocrates.  Joe Biden a suivi les pas de Donald Trump sur cette question. 

Dans les années 1970, Richard Nixon et Kissinger avaient jugé indispensable de se lancer dans une politique de détente avec Moscou, en raison de la montée en puissance de l'URSS et du déclin relatif des États-Unis. Aujourd'hui, les Américains nés après 1930 (c'est-à-dire la grande majorité d'entre eux) n'ont jamais connu qu'un monde dominé par leur pays, qui a modifié les rapports de force entre les puissances depuis le traité de Versailles de 1919 et les quatorze points de Wilson. De plus, les Américains considèrent que leur pays incarne des valeurs supérieures à celles des autres pays, en particulier par rapport à une nation asiatique et communiste. Comment vivront-ils alors la montée en puissance de la Chine ? Du côté américain, des livres incendiaires ont été publiés pour dénoncer la menace chinoise. Parmi eux, "Death by China : confronting the dragon, a global call to action" (Navarro & Autry, 2011), condamne "l'assassin le plus efficace" au monde.

L'économiste Peter Navarro affirme que "des entrepreneurs chinois sans scrupules inondent les marchés mondiaux avec des produits mortels". Les scandales entourant les produits vendus par Shein et Alibaba pourraient sembler lui donner raison. Navarro poursuit en déclarant que "la forme perverse du capitalisme chinois combine des armes mercantilistes et des pratiques protectionnistes illégales pour détruire les industries américaines, emploi après emploi". De son côté, Graham Allison démontre que ces événements pourraient conduire à une guerre économique susceptible de dégénérer en conflit mondial. Ainsi, on peut en conclure que, au fil des siècles, les dynamiques historiques ont montré que lorsque la puissance émergente menace de surpasser une puissance établie, les dynamiques historiques ont montré que lorsqu’une une puissance ascendante menace de supplanter une puissance établie, quelles que soient ses intentions, il en résulte une telle tension structurelle que le conflit violent devient la règle, non l'exception.

L'essor brutal de la Chine

Il s'agit là d'une évolution géopolitique d'une ampleur sans précédent en termes d'équilibre des pouvoirs. Si la Chine continue sur sa trajectoire actuelle, la probabilité d'une guerre entre les États-Unis et la Chine dans les décennies à venir est bien plus élevée que ce que l'on veut bien admettre. Graham Allison ajoute même que "la guerre entre la Chine et les États-Unis est pratiquement inévitable". Cette mise en garde a été reprise le 19 novembre 2019 par l'ancien secrétaire d'État américain Henry Kissinger, qui avait joué un rôle clé dans le rapprochement sino-américain il y a cinquante ans, lors de la visite de Richard Nixon en Chine en 1972. Selon Kissinger, la Chine et les États-Unis se trouvent "au seuil d'une nouvelle guerre froide" qui pourrait dégénérer en un conflit ouvert "plus dévastateur que la Première Guerre mondiale" si aucune mesure n'est prise pour désamorcer la situation. Kissinger souligne l'importance d'une période de tensions suivie d'un effort concerté des deux parties pour comprendre les causes politiques et s'engager mutuellement à les surmonter, avant qu'il ne soit trop tard.

Nixon in China (The Film) © Richard Nixon Presidential Library

En outre, il est important de noter que les ultra-nationalistes chinois, parmi lesquels le colonel Liu Mingfu, ancien professeur à l'Université nationale de la défense, affichent de plus en plus ouvertement leur ambition de voir la Chine devenir la première puissance mondiale et surpasser ainsi les États-Unis. Le livre incendiaire de Liu Mingfu, intitulé "Un rêve chinois", publié en 2010, exprime cette vision en affirmant que "le peuple chinois doit comprendre qu'entre nous et les États-Unis, il n'y a qu'un seul enjeu : qui sera le numéro un ? Notre rêve est de devenir la plus grande puissance mondiale", déclare le stratège chinois. Selon lui, cela permettrait de contribuer à un monde sans puissance hégémonique, car la Chine n'exercerait pas son pouvoir de manière dominante comme le font les États-Unis. Ce concept du "rêve chinois" a été repris en 2012 par le président Xi Jinping, et reste aujourd'hui une idée largement promue par le pouvoir en place à Pékin.

Un impact négatif sur les relations sino-américaines

 Il y a quelques mois, des journalistes de L’Express audiences du Congrès américain de Shou Zi Chew, directeur général de l’application vidéo TikTok, avaient également des airs de commission McCarthy, oscillant entre des questions légitimes de sécurité nationale et des attaques racistes envers les Asiatiques. Les États-Unis continuent également de menacer la Chine de révéler des preuves de son implication dans la pandémie de Covid-19, ce qui ne facilite pas les relations. Le scandale du ballon espion chinois et l’annulation de la visite du secrétaire d’État Antony Blinken à Pékin n’ont rien arrangé. La France est restée longtemps indifférente à TikTok, mais récemment, le ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications a annoncé l’interdiction de TikTok aux fonctionnaires, indiquant que l’ère de la naïveté envers la Chine est terminée

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