Selon Marx, le travail façonne l'essence de l'homme et permet une autoréalisation. Cependant, dans une société capitaliste, le prolétariat auquel appartient les autistes est confronté à des contraintes productives inadaptées et à des normes institutionnelles les excluant.
Dans cette chronique moderne axée sur la pensée de Karl Marx et la vie professionnelle des autistes, nous découvrirons comment les personnes atteintes du syndrome sont considérées comme esclaves de leur instinct. Quant aux neurotypiques, cadres supérieurs dans une start-up ou un grand groupe, professionnel de la politique, ils auraient d'extraordinaires facultés à s'adapter à toutes les situations sociales. Dans cette chronique la parole joue un rôle clé. Les individus, grâce au logos, peuvent communiquer avec leurs pairs autour d'une machine à café ou lors d'une "conf de rédac" durant laquelle les sujets en une d'un canard seront pitchés par des journalistes plus éloquents les uns que les autres. Dans ces situations où l'individu se révèle être un animal social, ayant besoin de tisser des liens et de former une société dynamique, un autiste n'existe presque pas. Sa mauvaise gestion du langage, puisque ses prises de parole en réunion sont souvent construites comme les longues tirades des personnages des pièces de Racine, met souvent en évidence sa différence avec l'autre.
Selon Marx, l'essence de l'homme n'est pas une entité figée. Elle se construit à travers son activité pratique. Les individus se forgent par leur travail et deviennent à la fois le produit et le producteur de la nature. En modifiant l'homme par le travail, la bourgeoisie a tissé un grand nombre d'entreprises peu inclusives pour les autistes. Probablement similaires à celles que les grands tycoons américains tels que Graham Bell ou Warren Buffet ont toujours rêvé de tisser, ces "toiles de spider-buisnessman" ressemblant plus à Jeff Bezos qu'à Peter Parker sont le moteur de la transformation économique et sociale d'une société capitaliste. Qu'ils soient start-uppeurs grunges aux cheveux longs comme le fondateur de Welcome To The Jungle, ces patrons sont animés par un désir de transformer nos sociétés libérales en un gigantesque marché. Or, le but de cette chronique marxiste est de nous rappeler que le travail n'est pas simplement une activité productive, mais une voie vers l'épanouissement personnel et la réalisation de notre humanité. Si le travail peut être comparé à la manière dont l'araignée tisse sa toile, les entrepreneurs seraient les plus mauvais architectes.
A titre d'exemple, lorsqu'ils reçoivent des candidats autistes en entretien, les équipes du fondateur de Welcome To The Jungle n'appliquent aucune bonne pratique en matière d'emploi accompagné. "Je n'ai volontairement pris aucune information sur toi", clamait la Content Manager "Pro-Business" (il est plus fun ici d’employer des anglicismes, ça rend cool). Lorsque l'entretien se termine, le candidat "with the syndrom" comprend que le travail est une activité socialement organisée. Elle est toujours caractérisé par une dimension sociale qui s'inscrit dans un certain rapport entre les autistes et les entreprises. Formée en alternance par Sup De RH, une école privée occupant un rôle central dans notre économie néolibérale au vue du cout que les étudiants payent à l'année pour s'inscrire et devenir aussi bêtes que lorsqu'ils sortent d'école de Management, l'alternante RH de Welcome To The Jungle n'avait aucunement précisé à la Content Manager que le candidat autiste pouvait avoir des prises de parole anarchiques et qu'il aurait fallu préparer l'entretien pour éviter de le submerger de questions pièges pour ne pas le mettre dans une situation de stress ou d'anxiété.
Maintenant, quelle distinction pouvons-nous établir entre le travail et la production ? Marx envisage le travail non seulement comme un processus de production, mais également comme une forme de création. Il écrit dans les Manuscrits de 1844 : « L'homme produit l'homme, il se produit lui-même et produit l'autre homme ». Cette perspective met en lumière le fait que le travail humain permet de faire émerger des potentialités qui étaient en sommeil, tant au niveau individuel que collectif. En transformant la nature, l'homme se transforme lui-même. A titre d'exemple, Jean Vincot expliquait dans un excellent billet publié sur le blog de Mediapart comment les autistes pris en charge par Auticonsult ont travaillé pendant la pandémie. La modification des environnements de travail lors des confinements est devenue une voie d'autoréalisation pour de nombreux individus ayant excellé dans leurs entreprises lorsqu'ils étaient accompagnés par leurs managers et moins exposés aux nuisances. Donc, les conceptions élargies du travail englobant des aspects sociaux, culturels et anthropologiques sont les seules réellement valables dans une France où le taux de chômage des 700 000 autistes grimpe même à 95 %. Et ceux qui, comme Lali Dugey, travaillent le font à temps partiel, à des postes généralement coupés du public et sous-payés, sont également discriminés à cause de leur handicap. On peut donc comprendre que les écrits de Marx reposent sur une remise en question très fine de l'idée selon laquelle le salariat serait la condition sine qua non de l'épanouissement humain. En dénonçant ainsi l'exploitation inhérente au système capitaliste, il imagine un autre monde du travail " sans classes" dans lequel les autistes seraient intégrés différemment est possible. Dans cette nouvelle société, un système économique néolibéral est forcément condamné à disparaître en raison de ses propres contradictions. Enfin, bien qu'il ait théorisé l'aliénation et dénoncé l'exploitation économique des prolétaires, Marx reconnaît la positivité du travail en tant qu'activité humaine, s'il n'est plus enfermé dans une vision réductrice et productiviste.
Dans une société capitaliste, le travail est compliqué pour un autiste
Il est intéressant d'analyser comment Marx dépasse la conception purement économique du travail et remet en question les idées des auteurs des Lumières. Si le travail était considéré comme une malédiction par Adam Smith et comme une source constante de jouissance par le socialiste utopiste Charles Fourier, l'auteur du Manifeste propose une vision plus complexe du travail dans le contexte de son époque, en particulier en lien avec les entreprises et l'idéologie des patrons. Pour l'inventeur du socialisme, le travail va au-delà de cette dimension économique et implique une autoréalisation et une véritable liberté pour l'individu ; une liberté que les autistes n'obtiennent pas dans des sociétés imaginées par et pour la bourgeoisie patronale. Ainsi, pour comprendre les liens entre travail et liberté, et comprendre comment le travail peut être émancipateur, il est essentiel de distinguer deux types de contraintes liées au travail : la contrainte productive et la contrainte institutionnelle. La contrainte productive concerne l'effort que le travailleur doit déployer pour atteindre un résultat précis. En lisant cette chronique, vous avez sûrement compris que les contraintes productives imposées aux autistes ne sont pas les bonnes, tandis que la contrainte institutionnelle liée aux politiques néolibérales de ruissellement mises en place par le gouvernement français et l'Union européenne crée des normes et des structures sociales totalement inadaptées pour les autistes, comme le salariat.
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