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Le cri.
Nous y sommes.
Extrait de « Parfois le vide » : L’homme qui crie attire en lui le scandale qu’il dénonce, le cri parfois détourne le regard, le cri parfois élargit le vide.
Être confronté à ça. A ce refus d’entendre. Qu’est-ce qui explique qu’aujourd’hui le cri de l’homme noir n’est toujours pas considéré ?
A-t-il trop crié et qu’on s’en lasse, jusqu’à ignorer ce qui lui arrive, jusqu’à nier même la profondeur de ce cri ?
Où en sommes-nous depuis le cri d’Aimé Césaire : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche » ? (Cahier d’un retour au pays natal)
Pourquoi, moi, aujourd’hui, Raharimanana, auteur contemporain, je dois toujours continuer à crier après Césaire, après Mongo Beti, après Sony Labou Tansi. Pourquoi j’ai cette impression sidérante que ces cris n’ont pas été entendus et que je rentre dans ce long voyage promis par Césaire ?
J’habite une blessure sacrée
j’habite des ancêtres imaginaires
j’habite un vouloir obscur
j’habite un long silence
j’habite une soif irrémédiable
j’habite un voyage de mille ans
j’habite une guerre de trois cent ans
(Calendrier lagunaire)
Je ne cherche pas à expliquer, je ne cherche pas à défendre une cause, je suis face à la sidération, quel est cet endroit où le cri s’annule ? Quel est cet endroit où l’on décrète que la victime dérange, et qu’il vaut mieux qu’elle la ferme ?
Et ce ne sont pas les bourreaux qui demandent à ce qu’elle la ferme, ce sont des êtres innocents comme elle. Mais qu’est-ce l’innocence alors lorsqu’on demande le silence et qu’on refuse de voir ?
« J’ai fouetté tous les mots à cause de leurs silences » avait écrit Sony Labou Tansi.
Le fouet, dans Parfois le vide, ce sera la musique, un fouet parfois de caresse, de pulsion, de coup, d’effleurement, de suggestion, de saturation, pour que les mots s’arrachent du cri pour simplement dire.
Atteindre le public au plus profond.
Une pièce comme un souffle qui emporte, de l’ordre de la monstration.
Parfois le vide, c'est le récit d'un voyageur entre eau, terre et ciel, survivant ou noyé. Un de ces héros des tragédies contemporaines qu'on nomme "migrants", qui exercent leur liberté contre la violence des frontières. Un héros qui pourrait venir de partout et nulle part, avoir vécu toutes les traversées, tous les naufrages, toutes les dérives.
L'œuvre se présente comme un poème épique, dit et chanté, un oratorio qui renoue avec la tradition malgache : s'emparer en voix et musique du récit du monde. Ce chant lucide, amer et révolté mais non dénué d'humour, Raharimanana le livre en duo avec la chanteuse Géraldine Keller. Tao Ravao accompagne la scansion du récit, dont il souligne l'enracinement originel, tandis que les subtiles percussions de Jean-Christophe Felhandler nous invitent à l'écoute du vaste monde.
« Un personnage entre les eaux et le ciel, il est parfois oiseau, souvent noyé/nageur. Il va vers, ou peut-être qu’il fuit… on dit qu’il migre. Appartient-il à une terre, à un pays ? Mais il n’y a plus de pays depuis que les dirigeants ont vendu l’eau comme l’air, les dessous de terre comme les frontières, les dessous de ciel comme les horizons. »
Découvrez le spectacle Parfois le vide, au Théâtre d'Ivry Antoine Vitez : jeudi 16 mars, jeudi 22 mars, vendredi 23 mars, jeudi 29 mars, vendredi 30 mars & samedi 31 mars, à 20h.
Toutes les infos sur les réservations, accès, etc. : ici
Et autour des représentations :
* jeudi 22 mars 18h au bar du Théâtre, avant le spectacle, Laurence de Cock nous proposera un éclairage "histoire et mémoire" autour du post colonialisme, notamment à Madagascar, suivi d'un temps d'échange avec le public.
*vendredi 23 mars 18h au bar du Théâtre, avant le spectacle, lancement du dernier roman de Raharimanana : Revenir à paraître le 7 mars chez Payot et Rivages. La rencontre sera animée par l'équipe de la revue Cousins de personne.
* jeudi 29 mars avant et après la représentation, débats, discussions animés par des associations malgaches : Laterit prod, Mémoires de Madagascar et Soamad (sous réserve).
*samedi 31 mars 18h lecture par Isabelle Fruleux de divers textes liés au spectacle : Frères migrants de Patrick Chamoiseau, et des extraits de textes de Frantz Fanon, Aimé Césaire...
Le Théâtre Antoine Vitez fait hospitalité à toutes formes d’expressions sensibles, savantes et populaires, qui témoignent de la diversité culturelle à l’œuvre dans une société joyeusement cosmopolite. Cette diversité s’exprime notamment par l’ouverture à l’international dans tous les domaines de la programmation mais, avant tout, par l’accueil d’artistes aux racines rhizomes, insoumis à toute assignation à identité.