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La question était là, ayant écrit le texte, avec des images très précises et des souvenirs bien réels, comment porter le texte, comme ce comédien qui se vide de tout pour n’accueillir que le verbe ? Mais suis-je sur scène pour être comédien ? La réponse fuse de mon profond. Non. C’est incarner ce verbe. C’est de ne jamais oublier d’où sont extraits ces lignes de « Parfois le vide ».
Lors de la création d’une scène, « Place du 13 mai », Jean-Christophe Felhandler lance soudain des maracas, soutenu par Géraldine Keller et la gratte de Tao Ravao, et me projette violemment dans un souvenir, une nuit où adolescent, j’ai appris le suicide d’un ami, un enfant encore, qui ne voulut plus vivre dans la dictature de l’Amiral.
Comment éviter le pathos ? Comment éviter le voyeurisme ? Comment éviter le théâtre de témoignage ?
Puiser dans la puissance qui nous a tenus debout.
Là était la réponse.
Debout pour faire vivre la parole de ceux qui se sont couchés.
Il y a un fil qui ne casse pas. Et tant qu’il y aura des bouches et des oreilles, ce fil ne cassera pas. C’est simple. Il faut rester debout pour continuer à dire, et dérouler le fil du sens.
Nina Villanova me propose alors de rester debout, d’ancrer mes pieds dans le sol, et de ramener ce verbe de l’espace de vibrations de la musique, de le faire traverser tout le corps car le sens tient au sol, la sonorité bouge le corps, les bras, le haut du corps. L’être sera planté là, agité.
Hey, et tu vois la fille de l’eau, et à ses côtés, tu flottes Momo, tu flottes.
Cette musique que j’ai entendue il y a quelques années, lors d’une séance de Tromba…
Me trouvant dans une pièce à côté, l’un des maîtres des cérémonies avait voulu me refuser l’entrée, les maracas et l’accordéon ont été lancés brutalement, puissants, sans préparation, une voix s’était fait entendre : « Aïa zanako ? », « où est mon fils ? », la porte s’était ouverte, et je suis entré, je suis passé entre les femmes et me suis trouvé là, face à l’esprit de l’ancêtre : « Tu as entendu, tu diras » m’adressa-t-il, en me faisant boire dans l’assiette d’argent où trempait une piastre centenaire.
Jean-Christophe Feldhandler avait bien perçu mon trouble au sortir des répétitions, il m’envoya ce poème :
La vie a une musique de fond.
Nul ne sait reconnaître son origine,
mais il nous semble parfois nous rappeler sa mélodie.
C’est assez peut-être
pour ne pas nous sentir complètement étrangers,
quand toutes les musiques s’éclipsent
comme des soleils impuissants
dans les agitations subreptices
des espaces muets.
Bien que nous vivions à peine,
la musique de fond de la vie
nous permet pour le moins
d’écouter la rumeur de vivre.
(Roberto Juarroz)
Pour que jamais ne meurt cette rumeur de vivre. Qu’elle soit dans la bouche d’autres diseurs, dans les musiques qui nous peuplent, qui nous accompagnent, un pont sur nos vides.
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Parfois le vide, c'est le récit d'un voyageur entre eau, terre et ciel, survivant ou noyé. Un de ces héros des tragédies contemporaines qu'on nomme "migrants", qui exercent leur liberté contre la violence des frontières. Un héros qui pourrait venir de partout et nulle part, avoir vécu toutes les traversées, tous les naufrages, toutes les dérives.
L'œuvre se présente comme un poème épique, dit et chanté, un oratorio qui renoue avec la tradition malgache : s'emparer en voix et musique du récit du monde. Ce chant lucide, amer et révolté mais non dénué d'humour, Raharimanana le livre en duo avec la chanteuse Géraldine Keller. Tao Ravao accompagne la scansion du récit, dont il souligne l'enracinement originel, tandis que les subtiles percussions de Jean-Christophe Felhandler nous invitent à l'écoute du vaste monde.
« Un personnage entre les eaux et le ciel, il est parfois oiseau, souvent noyé/nageur. Il va vers, ou peut-être qu’il fuit… on dit qu’il migre. Appartient-il à une terre, à un pays ? Mais il n’y a plus de pays depuis que les dirigeants ont vendu l’eau comme l’air, les dessous de terre comme les frontières, les dessous de ciel comme les horizons. »
Découvrez le spectacle Parfois le vide, au Théâtre d'Ivry Antoine Vitez : jeudi 16 mars, jeudi 22 mars, vendredi 23 mars, jeudi 29 mars, vendredi 30 mars & samedi 31 mars, à 20h.
Toutes les infos sur les réservations, accès, etc. : ici
Et autour des représentations :
* jeudi 22 mars 18h au bar du Théâtre, avant le spectacle, Laurence de Cock nous proposera un éclairage "histoire et mémoire" autour du post colonialisme, notamment à Madagascar, suivi d'un temps d'échange avec le public.
*vendredi 23 mars 18h au bar du Théâtre, avant le spectacle, lancement du dernier roman de Raharimanana : Revenir à paraître le 7 mars chez Payot et Rivages. La rencontre sera animée par l'équipe de la revue Cousins de personne.
* jeudi 29 mars avant et après la représentation, débats, discussions animés par des associations malgaches : Laterit prod, Mémoires de Madagascar et Soamad (sous réserve).
*samedi 31 mars 18h : lecture par Isabelle Fruleux de textes en échos au spectacle : Frères migrants de Patrick Chamoiseau, des extraits de textes de Frantz Fanon et Aimé Césaire.
Le Théâtre Antoine Vitez fait hospitalité à toutes formes d’expressions sensibles, savantes et populaires, qui témoignent de la diversité culturelle à l’œuvre dans une société joyeusement cosmopolite. Cette diversité s’exprime notamment par l’ouverture à l’international dans tous les domaines de la programmation mais, avant tout, par l’accueil d’artistes aux racines rhizomes, insoumis à toute assignation à identité.