Théâtre d'Ivry (avatar)

Théâtre d'Ivry

Scène municipale

Abonné·e de Mediapart

32 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 janvier 2018

Théâtre d'Ivry (avatar)

Théâtre d'Ivry

Scène municipale

Abonné·e de Mediapart

Dire au revoir

Élie Guillou, écrivain conteur chanteur, « adopté » par le Théâtre d'Ivry Antoine Vitez, crée en janvier 2018 le spectacle « Sur mes yeux », un récit qui se déroule à Diyarbakir, en Turquie. Il nous livre ici un avant dernier texte, écrit au retour d'un de ses premiers voyages au Kurdistan et point de départ de l'écriture de son spectacle.

Théâtre d'Ivry (avatar)

Théâtre d'Ivry

Scène municipale

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

« et la mort passa dans nos vies comme le voyageur qui donne du sens à nos maisons » (Yvon Le Men – L'écho de la lumière)

En Kurde, il existe deux mots différents pour se dire au revoir ; l'un pour celui qui part, l'autre pour celui qui reste. Le voyageur parle le premier, puis s'en va. Il retourne vers la paix. Dans son sac, un tapis, des idées confuses et de la culpabilité. Il se demande : Comment vivre la paix, puisque la guerre existe ? Il a perdu son insouciance mais ne veut pas perdre sa joie. Celui qui reste contemple le verre de thé vidé par son hôte. Il savoure encore l'écho de ce calme étranger que le voyageur portait sans le savoir. Il se demande : Combien de jours de paix faut-il pour oublier une guerre ? Il est trop fier pour demander de l'aide, trop abîmé pour être fier. Son fardeau est au-delà du poids. Le voyage et le voyageur se séparent en deux souvenirs. Chacun tentera d'être à la hauteur de sa réalité ; l'un en évitant la mort, l'autre le sommeil. Au delà des distances, la guerre et la paix s'interrogent. Au delà des langues, le dialogue est établi. (Elie Guillou, 2016)

Découvrez le spectacle "Sur mes yeux" d'Elie Guillou au Théâtre d'Ivry Antoine Vitez, les 11 (complet), 18, 19, 25, 26 et 27 janvier à 20h.

Toutes les infos sur les réservations, accès, etc. : http://theatredivryantoinevitez.ivry94.fr/9221-9371/fiche/sur-mes-yeux.htm

Le Théâtre Antoine Vitez fait hospitalité à toutes formes d’expressions sensibles, savantes et populaires, qui témoignent de la diversité culturelle à l’œuvre dans une société joyeusement cosmopolite. Cette diversité s’exprime notamment par l’ouverture à l’international dans tous les domaines de la programmation mais, avant tout, par l’accueil d’artistes aux racines rhizomes, insoumis à toute assignation à identité.

La paix est-elle l’absence de rapports de force ou leur équilibre ? Peut-elle être pensée par fragments ? Que reste-t-il à donner lorsque on est soi -même détruit ?

"Il y a cinq ans, je partais dans le Sud-Est de la Turquie afin d’y rencontrer les Dengbejs, ces conteurs-chanteurs kurdes, dont la pratique fait écho à mes recherches sur la parole et le chant. Au cours de ce voyage, j’assistais à la répression violente de l’Etat turc contre la population kurde. La rencontre avec cette réalité m’a profondément ébranlé. Par la suite, je multipliais les voyages dans les régions kurdes en Turquie, en Irak puis en Syrie. J’assistais à l’évolution du conflit syrien, puis à la nouvelle plongée de la Turquie dans la guerre civile.

J’ai dormi dans des camps de réfugiés, des églises vides, participé à des manifestations massives, aux prières des mosquées, vécu l’exode des civils à Sür, lors de la guérilla urbaine qui opposait les jeunes insurgés kurdes aux forces spéciales turques. Jusqu’à la ligne de front, en Syrie, qui sépare les combattants kurdes de l’État Islamique, où l’on m’a proposé, devant une ligne de combattants dont la plupart n’avaient pas vingt ans, de prendre les armes à mon tour. Après tout, j’avais fait le même chemin que certains de mes compatriotes dont je pouvais voir, avec des jumelles, la barbe teinte au henné. Pourquoi ne pas s’enrôler ? Il a fallu justifier mon refus. Mes arguments étaient parfaitement légitimes et parfaitement obscènes.

Le titre provisoire de l’écriture a donc été : La question que la guerre pose à la paix. Aujourd’hui, je souhaite écrire et jouer un spectacle afin de transmettre le vertige de cette question. Dans le monde qui s’avance, notre paix a un rôle à jouer. Un rôle d’ouverture et d’accueil. Pour l’assumer, elle doit d’abord apprivoiser sa peur et regarder le désastre dans les yeux. Voilà l’objectif : permettre le regard. J’accompagnerai le spectateur jusqu’au coeur du drame, lentement. Nous approcherons par frôlement, avancée et retour, comme on apprivoise une bête sauvage. Je mobiliserai toute ma douceur pour dévoiler ce tableau brusque. " (Elie Guillou)

Et autour des représentations :

* Pendant toute la durée de l'exploitation, une exposition de François Legeait sera accrochée au dans la galerie du théâtre. En 22 clichés noir et blanc, le photographe retrace l'évolution de la situation kurde au Moyen-Orient entre 2012 et 2016.

* Le jeudi 18 janvier aura lieu après le spectacle un temps d'échanges avec l'association France-Kurdistan, autour de leurs expériences, leur point de vue sur la situation kurde et les solidarités entre les deux pays.

* Le vendredi 19 janvier à 18h00, avant le spectacle, sera proposé un café-débat au bar du Théâtre avec le journaliste et reporter Olivier Piot. Il a réalisé de nombreux reportages dans les différentes régions du Kurdistan et a notamment écrit Kurdistan, la colère d’un peuple sans droits (avec Julien Goldstein, Les petits matins, 2012) et Le peuple kurde, clé de voûte du Moyen-Orient (Les Petits Matins, 2017, préface de Frédéric Tissot). Il viendra donner un éclairage historique sur le Kurdistan qui sera suivi d’échanges à bâtons rompus.

* Le samedi 20 janvier, le Théâtre d'Ivry Antoine Vitez offre à Elie Guillou une carte blanche en lien avec Sur mes yeux. Vous pourrez donc entendre Rusan Filiztek, un stranbej de talent qui jouera le répertoire traditionnel kurde ainsi que ses propres compositions. En deuxième partie, Babx jouera Cristal Automatique, récital dans lequel il met en musique les poètes (Baudelaire, Ribmaud, Miron, Césaire, Kerouac, etc.)

* Le vendredi 26 janvier, la journaliste Laura-Maï Gaveriaux (Le Monde Diplomatique, Orient XXI, France Inter, Les Echos) interviendra après le spectacle pour parler de la situation des Kurdes aujourd'hui.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.