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Billet de blog 10 février 2017

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[Texte] La citadelle, orgueil de pierre

Voyez, sa tête est dans les nuages, ses pieds creusent l’abîme, ses bouches crachent la mitraille jusqu’au fond des vallées, c’est une ville, une forteresse, un lourd cuirassier de pierre… Inexpugnable, Besse, inexpugnable ! Mais oui, ingénieur, à chaque peuple ses monuments !

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A ce peuple qu’on voulut à genoux, il fallait un monument qui le mît debout. Le voici ! Surgie ! Vigie ! Regardez… Mais regardez donc ! Il vit. Il corne dans le brouillard. Il s’allume dans la nuit. Annulation du négrier ! La formidable chevauchée ! Mes amis, l’âcre sel bu et le vin noir du sable, moi, nous, les culbutés de la grosse houle, j’ai vu l’énigmatique étrave, écume et sang aux naseaux, défoncer la vague de la honte ! Que mon peuple, mon peuple noir, salue l’odeur de marée de l’avenir.

Aimé Césaire, La Tragédie du roi Christophe, Présences africaines, 1970.

Illustration 1
Citadelle La Ferrière, Haïti

Le royaume d’Haïti se signala au temps de son éphémère durée, comme une des puissances les plus fortes du Nouveau-Monde ; et cette puissance était l’ouvrage d’un homme noir, qui, né esclave, étonna l’Europe de sa grandeur. Il existait alors deux hommes d’une valeur transcendante : Napoléon de France et le roi d’Haïti Henry-Christophe, le seul personnage qui pouvait se vanter d’avoir vaincu Napoléon à la guerre. A Haïti, très rares sont ceux qui se souviennent encore du nom de Christophe ; mais lui, qui avait prévu l’oubli, fit élever un monument moins périssable que le nom d’un roi, quand ce nom est destiné à se perdre dans la mauvaise mémoire d’une race dissolue d’hommes noirs habitant une île des mers tropicales. A présent, quand les marins veulent entrer au port, ils s’y dirigent par la citadelle de Christophe dont ils aperçoivent à l’horizon la majestueuse silhouette dressée contre le ciel. Posée à califourchon sur le pic de la plus haute montagne, elle est environnée de collines, dont les formes arrondies recouvertes d’une jungle épaisse et boursoufflée supportent une masse de pierres aux dimensions titaniques ; la Citadelle, ayant atténué leur âpre caractère, maintenant les protège du haut de sa solitude, dans son merveilleux achèvement. Son extrémité pointée vers la mer semble la proue d’un navire campé hardiment sur la crête d’une pente si raide que ni les hommes ni les bêtes ne peuvent atteindre la base de l’édifice si leur marche ne dessine les trois quarts d’un cercle. A l’intérieur et protégée de tous côtés par des remparts, s’ouvre une cour centrale dont les dalles disparaissent sous un amas d’orties ; là, se trouve un minuscule et mauvais appentis fait de pierres, au toit triangulaire. Il n’est pas plus haut que l’épaule d’un homme, aucune inscription n’embellit sa rude simplicité, une ouverture à peine plus imposante que celle d’un chenil donne accès au centre, on y voit un amas de pierres brisées, mélangées à du mortier désagrégé. Sous ce fouillis reposent les restes du grand roi. Ici est son tombeau. La nuit, les chauves-souris pendues en grappes aux voûtes des sombres souterrains en sortent discrètement pour venir sous la lune pâle, voler en cercles autour de lui. Et quand les brumes du soir s’élevant de la mer viennent se rompre contre la proue de la Citadelle, les paysans nègres qui la contemplent de la vallée croient voir la forteresse s’en aller au gré des vents sous le ciel assombri.

John W. Vandercook, Majesté Noire, Firmin-Didot & cie, 1934

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