Pas vraiment des « petits travailleurs tranquilles »
Introduction à Syndicalistes et libertaires. Une histoire de l’Union des travailleurs communistes libertaires (1974-1991).
Née dans l’après-1968, l’Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL) a existé dix-sept années durant, avant de s’auto dissoudre en juin 1991 dans une nouvelle organisation, Alternative libertaire.
C’est en 1976, au congrès d’Orléans, qu’une poignée de militants – tous des hommes – organisés en fraction ont décidé de rompre avec l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA). Le désaccord portait principalement sur l’appréciation du syndicalisme. Éduqués dans les grandes grèves de 1974, notamment aux PTT, les militants de ce qui allait devenir l’UTCL étaient des partisans déterminés de l’action syndicale, jugée indispensable à l’action révolutionnaire.
Pour les hommes et les femmes venues par la suite à l’UTCL, cet investissement s’est essentiellement inscrit dans une CFDT défendant depuis 1970 la perspective du « socialisme autogestionnaire ». En son sein, ils et elles ont porté une orientation de plus en plus en décalage avec une centrale qui évoluait alors « de Charléty aux moutons noirs » comme l’a résumé le postier et écrivain libertaire Jorge Valero (1).
Car dès le milieu des années 1970, la direction confédérale CFDT a amorcé un tournant qui devait aboutir à son recentrage sur la négociation et l’accompagnement, et à l’abandon de toute référence au socialisme. Cette évolution allait de pair avec une forte désyndicalisation et, après 1979 et la défaite des sidérurgistes lorrains, avec un fort recul des luttes ouvrières et une désagrégation de l’extrême gauche.
Malgré ce contexte hostile, l’UTCL a tenu bon. Elle a traversé la glaciation des années 1980. Elle a réussi – là où bien d’autres petites organisations révolutionnaires disparaissaient – à maintenir un cadre militant, tout en contribuant au renouveau du syndicalisme de lutte.
C’est cette histoire que ce livre retrace.
***

Agrandissement : Illustration 1

Mettre ses pas dans ceux des militantes et des militants de l’UTCL, c’est suivre trois pistes.
La première est celle d’un courant politique spécifique, le courant communiste libertaire ou « anarchiste ouvrier », au travers de son implication dans le champ syndical, et ce depuis la période héroïque de la CGT d’avant 1914.
La seconde piste est celle des « années 68 ». Si les courants maoïstes et trotskystes ont capté l’attention, ce n’est pas le cas du courant libertaire.
Pourtant, des années 1968 aux années 1990, l’UTCL a représenté un des seuls courants politiques – au côté de celui incarné par la LCR – investis sur le long terme dans la gauche CFDT, puis au sein des syndicats SUD, et y développant une stratégie.
Certes, l’UTCL était une petite organisation, qui ne perça jamais le mur médiatique. Elle a pourtant, à sa mesure, construit une action tenace et rigoureuse.
C’est finalement en suivant une troisième piste, celle de l’éclosion d’un champ syndical alternatif au tournant des années 1990, que l’on peut juger de la pertinence des choix de ce courant.
Menée il y a une quinzaine d’années (2), cette recherche représentait une gageure. Il a parfois fallu faire œuvre d’archéologue dans les archives, non inventoriées, de l’UTCL, conservées par Alternative libertaire. Sa presse et ses publications, les archives de la CFDT, et, enfin, les témoignages oraux, ont constitué les sources principales de ce livre.
L’ouverture en 2016 du Fonds d’archives communistes libertaires (FACL), déposé au Musée de l’histoire vivante de Montreuil, a résolu le problème de l’accès aux sources. Quant à la presse de l’UTCL – comme celle de l’ORA et de l’OCL –, elle a été numérisée et mise en ligne sur le site Archivesautonomies.org.
Depuis la première rédaction, j’ai continué mes recherches sur les oppositions de gauche dans la CFDT.
Cette nouvelle édition est l’occasion d’en rendre compte : des informations sont précisées, des affirmations tempérées, des conclusions modulées. Sans que le propos général ne soit remis en cause.
Il faut enfin préciser qu’on ne trouvera pas ici un travail de « science politique » : il ne sera pas question du positionnement « communiste libertaire » de l’UTCL ou de ses rapports avec le marxisme – l’UTCL se réclamait du « matérialisme dialectique historique » (3). Disons simplement que ces rapports sont loin de se résumer à une simple addition du « meilleur de l’anarchisme » et du « meilleur du marxisme » généralement attribuée au communisme libertaire contemporain. Si, comme l’appelait de ses vœux Daniel Guérin, le communisme libertaire peut représenter un « point de ralliement vers l’avenir » (4), dépassant les courants révolutionnaires existants, l’histoire de l’UTCL s’inscrit toutefois toujours dans celle, plus longue, de l’anarchisme ouvrier.
Aux lecteurs et aux lectrices maintenant de suivre le fil rouge (et noir) d’un engagement qui s’est voulu tout à la fois syndicaliste et libertaire.
Notes de l’introduction :
- Jorge Valero, Ni Dieu, ni Maire. De Charléty aux moutons noirs, La Digitale, 1989.
- Sous la direction de Michel Pigenet entre 2008 et 2011, dans le cadre d’un Master au Centre d’histoire sociale de l’Université Paris 1.
- On peut consulter le numéro spécial de son mensuel, Lutter! de l’été 1983 et son dossier « Marx, pour quoi faire ? ».
- Patrice Spadoni, « Daniel Guérin ou le projet d’une synthèse entre l’anarchisme et le marxisme », Contretemps n°6, février 2003.
Table des matières :
Introduction :
Pas vraiment des « petits travailleurs tranquilles » - page 5
I. De la tendance au réseau : les trois âges de l’UTCL
- De l’ORA à l’UTCL-tendance (1968-1974) - page 10
- L’UTCL-tendance (1974-1976) - page 37
- L’UTCL-organisation (1976-1981) - page 44
- L’UTCL-réseau (1982-1991) - page 76
II. Action libertaire en entreprise
- L’autonomie ouvrière, un acquis des années 68 - page 104
- Chasse aux sorcières dans la CFDT - page 116
- Des pratiques libertaires - page 130
- S’implanter durablement - page 143
III. Sortir du bois : deux exemples significatifs
- 1er mai 1980 : la Marche pour l’unité - page 150
- 1989 : la fondation de SUD PTT - page 162
IV. De la pratique à la théorie
- La CFDT, auberge espagnole de l’après-Mai - page 181
- La permanence du syndicalisme révolutionnaire - page 187
- Cap sur la troisième force syndicale - page 199
- Un « idéal-type » : l’animateur autogestionnaire de lutte - page 206
Conclusion :
D’un syndicalisme l’autre - page 209
Documents et annexes - page 215
Sources - page 221
Index général - page 233
Théo Roumier, Syndicalistes et libertaires. Une histoire de l’Union des travailleurs communistes libertaires (1974-1991), éditions d’Alternative libertaire, janvier 2025, 240 pages, 10 euros.
On peut commander le livre en librairie indépendante ou se le procurer directement sur la boutique en ligne de l’UCL.

Agrandissement : Illustration 2

La première édition dans la presse :
Dans L’Anticapitaliste la revue n°49 de décembre 2013, recension par Louis Rouquet
Dans Alternative libertaire n°232 d’octobre 2013, « L’UTCL n’a pas fait l’impasse sur l’action en entreprise », Propos recueillis par Irène Pereira