Un mouvement social est né le 9 mars dernier. Comme tout mouvement social, il voit s'articuler des formes de mobilisations héritées du temps long de l'action syndicale, au premier rang desquelles la grève, et d'autres formes, plébiscitées dans le bouillonnement de la lutte. En 2003 et 2010, les assemblées générales interprofessionnelles, les actions massives de blocage avaient enrichi le répertoire de la contestation (sans être absolument inédites). Les Nuits debout qui essaiment dans de nombreuses villes et places de régions, bien au-delà de celle de la République à Paris, en font incontestablement partie aujourd'hui. Loin du prisme médiatique qui peut leur être parfois appliqué, on rencontre d'ailleurs de nombreuses et nombreux syndicalistes et militant.e.s des mouvements sociaux à l'animation de ces Nuits debout.
Il n'y a rien à négliger, rien à écarter. Mais toute la pertinence de l'appel "On bloque tout !" est de redire que la grève reste le pivot d'un mouvement social. Parce qu'elle permet de dégager du temps, d'aller au-delà de la manifestation pour agir de concert et libérer les imaginations corsetées par le quotidien du travail. Parce que la grève incarne précisément cette rupture avec l'ordre établi, celui des horaires et des calendriers, pour contester à celles et ceux qui y prétendent le pouvoir sur nos vies. La grève reste une affirmation somme toute assez simple : sans celles et ceux qui travaillent jour après jour (même de manière intérimaire ou intermittente et dans la précarité), une société ne fonctionne plus. C'est bien pour ça que les Nuits debout, sans une grève qui s'installe partout chez elle, risquent fort de faire figures "d'écume sans la vague". Car quel meilleur moyen qu'une cessation du travail "collective et concertée", forte et étendue, pour bloquer l'économie et frapper l'ennemi (le Medef qui tient le stylo du gouvernement) là où loge sa plus grande faiblesse, au portefeuille ?
Et pour ça, les syndicats que nous construisons (du moins ceux qui ne s'engluent pas dans le dialogue social), véritables contre-pouvoirs qui permettent aux revendications de s'exprimer quotidiennement, restent le meilleur opérateur d'action collective sur les lieux de travail... et même au delà lorsque les unions interprofessionnelles territoriales sont investies et remplissent pleinement leur rôle.
Nous sommes désormais à un tournant du mouvement de lutte contre la loi "travail" et son monde. Les rassemblements spontanés qui se sont déroulées dans de nombreuses villes au soir de la décision du gouvernement d'engager le 49.3 montrent que tous les efforts déployés dans la répression féroce des manifestant.e.s - avec leurs conséquences dramatiques - n'empêchent pas la combativité de s'exprimer. L'intersyndicale nationale appelle à faire des 17 et 19 mai deux journées de grève interprofessionnelle, sans s'interdire d'autres initiatives. Les transports routiers s'apprêtent à se lancer dans une grève reconductible dès le 16 mai. Le 18 mai, les cheminot.e.s embrayeront (en reconduisant pour SUD-Rail, au moins le 19 mai pour la CGT-Cheminots... même si la suite appartiendra en réalité aux grévistes). Les intermittent.e.s du spectacle n'ont pas déserté le combat, les hôpitaux sont debout, et il y a tant d'endroits où l'action s'invite... Pour les syndicalistes qui animent l'appel "On bloque tout !" c'est en étant dans la grève et dans la rue le 18 mai, sans procuration, que nous pourrons engager cette reconduction et cette généralisation de la grève tant et trop attendue.
Elle ne sera peut-être pas parfaite cette grève reconductible, sans doute incomplètement généralisée et ancrée différemment selon les lieux de travail et les villes... mais il faut qu'elle existe, qu'elle soit visible et incontestable, qu'elle se conjugue aux actions directes de masse et aux expériences de démocratie directe. Certes il n'y a pas de modèle préétabli de "bon" mouvement social. Pas de plans à suivre à la lettre ou de méthode infaillible. Il y a des fulgurances et des adaptations. Mais un chemin se trace en marchant : empruntons résolument - et au-delà de vingt-quatre heures - celui de la grève. Une fois lancée, aucun 49.3 ne pourra la freiner.

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