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Billet de blog 3 avr. 2018

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Avec les jeunes en 68 et 86, par Daniel Guérin

Daniel Guérin (1904-1988) disparaissait il y a trente ans. Pour évoquer cette figure majeure du mouvement ouvrier contemporain, une journée sera consacrée à ses combats au Lieu-Dit, à Paris, ce samedi 7 avril. Afin d’y contribuer, ce billet reproduit un de ses articles paru en janvier 1987, « Avec les jeunes en 68 et 86 ! », qui résonne particulièrement avec notre actualité sociale.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce billet est publié en vue de la journée du trentenaire « Daniel Guérin, 1904-1988 », organisée samedi 7 avril à Paris au Lieu-Dit.

Pour y contribuer et montrer les « résonances » que peuvent avoir ses combats aujourd’hui, c’est un court article de Daniel Guérin – annoté pour l’occasion – qui ouvre ce billet. Il a été publié en janvier 1987 dans Lutter !, journal de l’Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL), organisation dont il était membre à la fin de sa vie. En quelques lignes, Guérin y évoque ses souvenirs de Mai 68, établissant un parallèle optimiste (enthousiaste même) avec la grève étudiante contre le projet de loi Devaquet de 1986.

N’oublions pas d’ailleurs que la grève étudiante contre le projet Devaquet avait été suivie, dans une même séquence sociale, d’une grève cheminote historique à l’hiver 1986-1987 (voir les articles à ce sujet publiés dans Les Utopiques, sur la grève à Rouen et à Gare de Lyon). Les convergences, déjà.

À la suite de cet article, on trouvera la présentation et le programme de la journée du 7 avril. Enfin, est également partagé ici le quatre-pages que l’UTCL publia en 1988 en hommage à Daniel Guérin (dont on peut aussi lire en ligne la notice biographique dans le Maitron des anarchistes).


Avec les jeunes en 68 et 86 !

par Daniel Guérin

Article publié dans Lutter ! n°18 de janvier 1987, « journal d’intervention communiste libertaire »

Au milieu d’eux en 68, j’avais déjà, morbleu, 64 balais. J’étais dans leurs manifs et c’était tout juste si je parvenais à sauter avec eux en scandant hop, hop, hop ! ou en prenant le pas de course. Dans les débuts, le mouvement n’était guère plus politisé qu’hier : un brin de solidarité avec les gars du 22 mars à Nanterre et avec les expulsés-inculpés du 2 mai à la Sorbonne.

Le soir du 10, nous écoutions Dany juché sur le Lion de Belfort, pratiquant la démo directe et débattant avec tous sur l’itinéraire à faire prendre à la manif. Les lycéens étaient alors plus nombreux que les étudiants et fort novices en matière de castagne.

Il fallut que, plus tard, dans la nuit, ponts et boulevards barrés, l’afflux juvénile fût acculé dans le piège de la rue Gay-Lussac, dût dépaver et, afin de se défendre, ériger des barricades, pour subir l’assaut des CRS ivres.

Alors, enfin, ce fût la totale politisation, en même temps que celle des ouvriers accourus à la rescousse. C’est, comme hier, la répression qui nourrit la lutte. Le soir du 13 mai, nous étions un bon million à travers Paris. Paniqué, Pompidou rouvrit la Sorbonne aux étudiants.

Le formidable foyer de la rébellion s’installa dans ce blockhaus universitaire, toutes tendances mêlées. De même que les grèves avec occupations ressoudent les travailleurs jours et nuits, la Fac reconquise devint notre forteresse à tous. Dans le grand amphi, les anars y tenaient d’énormes débats sur l’autogestion. Tout le monde y obtenait la parole jusque tard dans la nuit.

C’est ce qui manque jusqu’ici au sursaut de 86. La dissolution légalitaire de la Coordination nationale étudiante nous prive, jusqu’ici, de cette irremplaçable caisse de résonance.

En comparaison avec 68, nous n’en sommes encore qu’au début de l’intervention massive des travailleurs [1] qui, il y a dix-huit ans, a beaucoup plus flanqué la pétoche aux possédants que la guérilla estudiantine. Mais cela viendra.

La CGT, pour des raisons certes intéressées, n’est plus, au moins pour l’instant, capitularde. Elle n’essaie plus d’enfermer les gars dans les usines, hors du contact d’étudiants, pour des parties de belote et des graissages de machines. Quant à la direction CFDT, elle semble avoir décroché de sa base, autrement plus combative qu’Edmond Maire [2].

On ne répétera pas les bourdes de 68, comme de se laisser battre en retraite dans le Quartier Latin, alors que brûlaient la Bourse et les archives dans les cabinets ministériels. Pas de nouvelle tentative de récupération à la Mendès au Stade Charléty [3].

Si le fourbe Grand Charles put fomenter et réussir par ses sbires du type Pasqua la contre-manif des Champs, ce n’était pas parce que nous avions été trop loin, mais qu’au contraire nous n’avions pas été assez loin. Les staliniens de Séguy et l’inexpérience étudiante nous avaient fait manquer le coche. L’ultérieure et battarde « union de la gauche » a périclité et Krasucki ne peut se permettre de jouer les Séguy.

La jeunesse studieuse est plus avertie que celle de 68, bien qu’elle veuille se dire, pour un temps, « apolitique ». Elle a appris très vite, elle mûrira plus vite encore. Croyez un vieil invalide qui la flaire et la comprend !

Elle n’a pas dit don dernier mot. Elle ne se laissera pas flouer, ni par les apparatchiks en herbe, ni par les « peaux de lapin ». Tout en respectant son autonomie, nous vibrons et luttons avec elle pour un futur sans dieu ni maître.

[1] : À partir de décembre 1986, dans la foulée du mouvement étudiant, de nombreuses grèves organisées sous la forme de « coordinations » et d’assemblées générales souveraines vont se dérouler chez les cheminot.es, les institutrices et instituteurs, les infirmières, dans l’aérien...

[2] : Edmond Maire vitupère alors les « moutons noirs » du syndicat... qui ne font pourtant que continuer d’affirmer la stratégie autogestionnaire de la CFDT des années 68. Dès 1988, ces syndicalistes dissident.es, exclu.es et/ou démandaté.es, vont fonder des syndicats alternatifs, SUD aux PTT, CRC dans la Santé. Avant qu’elles et ils ne soient rejoints par d’autres dans la foulée des grèves de novembre-décembre 1995 qui voient fleurir de nombreux syndicats SUD.

[3] : Le meeting du 27 mai 1968 au stade Charléty est appelé par l’UNEF, le SNESup, certaines structures CFDT représentatives de l’aile gauche de la centrale, le PSU... mais pas la CGT, ni le PCF. Il rassemble 30 000 à 50 000 personnes et s’y exprime dans toute sa diversité le « courant de mai ». Une partie seulement voit en Pierre Mendès-France, qui est présent mais ne prendra pas la parole, celui qui pourrait être l’artisan d’un « débouché politique » institutionnel.

Illustration 1
Manifestation étudiante, Paris, 1986 © Jean-Claude Coutausse

Présentation de la journée « Daniel Guérin, 1904-1988 »

Dire que Daniel Guérin est une figure militante importante relève de l’euphémisme. Celui qui œuvra tant pour déconstruire le colonialisme, le capitalisme, le fascisme et l’homophobie – et pour articuler marxisme et anarchisme – est mort il y a 30 ans.

Les ami.es, la famille, les organisations militantes et des éditeurs liés à Daniel Guérin s’associent pour organiser, le 7 avril 2018, une journée spéciale avec débats, vente de livres, projection de films, présentation de projets éditoriaux et de recherches universitaires.

L’événement se tiendra au café « Le Lieu-Dit », 6 rue Sorbier à Paris 20e.

Au programme :

La journée s’organise autours de plusieurs thèmes et formats :

⇒ 4 débats thématiques

  • Décolonisation
  • Communisme libertaire
  • Sexualité
  • Daniel Guérin historien

⇒ Édition

Des éditeurs d’ouvrages de Daniel Guérin présenteront et proposeront à la vente leurs livres. Des projets de réédition seront discutés avec tous les participants de l’événement.

⇒ Témoins

Les personnes ayant connu Daniel Guérin (amis, militants, famille) évoqueront des aspects personnels peu connus. Une collection de photos des archives familiales, montrant Daniel Guérin du berceau aux derniers combats militants, sera présentée pour la première fois au public.

⇒ Cinéma

Le film de Patrice Spadoni et Laurent Muhleisen, Daniel Guérin (1904-1988), combats dans le siècle, sera projeté dans la soirée, de même que des extraits d’autres films sur Guérin et des documents filmés inédits.

⇒ L’organisation de la journée

  • 13h30 - Début de l’événement
  • 13h45 - Débat : Sexualité, du secret au pamphlet et au coming out
  • 14h45 - Débat : Communisme libertaire, une « recherche » inachevée
  • 16h - Pause avec témoignages, photos, livres
  • 16h30 - Débat : Daniel Guérin historien ? Retour sur la controverse autour de La Lutte des classes sous la Première République
  • 18h - Débat : Daniel Guérin anticolonialiste
  • 19h - Apéro et dîner
  • 21h - Projection du film Combats dans le siècle

L’événement est organisé avec le soutien d’Alternative libertaire, du Centre LGBT et de plusieurs éditeurs de livres de Daniel Guérin. Renseignements et contact sur le site danielguerin.info

Quelques rééditions de Daniel Guérin :

Illustration 2

« Salut Daniel », quatre-pages en hommage à Daniel Guérin publié par l’Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL) en 1988 (pdf, 10.2 MB)
Illustration 4
« Salut Daniel », hommage à Daniel Guérin de l'UTCL en 1988 © FACL

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