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Billet de blog 30 octobre 2025

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Sur « Saint Luigi » de Nicolas Framont

Dans « Saint Luigi », Nicolas Framont – du média Frustration – se demande « Comment répondre à la violence du capitalisme ? ». En partant pour cela du cas de Luigi Mangione, poursuivi pour l’assassinat par balle de Bryan Thompson, PDG d’United Helthcare, première assurance santé privé des États-Unis. Retour critique sur ce petit ouvrage d’actualité.

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Sociologue et essayiste, rédacteur en chef du média Frustration (site et revue), Nicolas Framont est aujourd’hui une figure de la gauche radicale. Dans Saint Luigi – sous-titré « Comment répondre à la violence du capitalisme ? » –, il part de l’assassinat par balle de Bryan Thompson, PDG d’United Helthcare, première assurance santé privé des Etats-Unis, le 4 décembre 2024, dont est accusé Luigi Mangione. Actuellement emprisonné à Brooklyn ce dernier plaide non-coupable. Le titre du livre, sa couverture au Mangione christique, ont de quoi aimanter. On n’y trouvera pourtant pas d’exaltation de l’acte meurtrier pour lequel il est poursuivi : d’entrée une mise en garde indique clairement que « quels qu’en soient les motifs, un meurtre n’a aucune justification valable ».

Ceci fait, Nicolas Framont propose une réflexion en trois temps. Le premier chapitre, « Donner la mort par Powerpoint » est une charge à l’encontre de la marchandisation des systèmes de santé, tant aux États-Unis que dans la France de Macron (et ce sans épargner les politiques précédentes). Des clusters de cancers pédiatriques aux « économies » réalisées sur les pensionnaires d’EHPAD en passant par les profits faramineux réalisés outre-Atlantique par des assurances rôdées à l’extorsion, on peut dire qu’il documente efficacement à quel point le capital n’a cure de nos vies, à quel point les politiques qui le servent sont criminelles. Avec des coupables qui, eux, courent toujours.

Nous perdons, pourquoi ?

Il s’intéresse ensuite à la manière de « rendre les coups ». L’auteur pose des questions essentielles et difficiles pour la gauche sociale et politique – pour résumer, nous perdons : pourquoi ? Ayant rompu lui-même avec un militantisme institutionnel (Nicolas Framont a été Conseiller sur les questions de travail et de santé pour le groupe parlementaire de la France insoumise de 2017 à 2019), il se tourne vers une « base » quelque peu essentialisée, qui serait prompte à l’action directe si elle n’en était pas empêchée par « des directions (…) qui confisquent aux peuples leurs combats pour les mener à leur place ». Le mouvement des Gilets jaunes est pour lui matriciel. Il a marqué par sa spontanéité et sa radicalité. Mais qui a assisté aux AG de grève des derniers mouvements sociaux sait que la réalité est parfois plus contrastée.

Et lorsque Nicolas Framont parle des organisations existantes (partis ou syndicats), c’est pour y voir avant tout des appareils là où il y a, aussi voire d’abord, des militant·es qui montent au front avec constance et courage. Étriller le dialogue social, oui : mais pour redresser la barre, quoi ? Le feu des mouvements ne suffira pas, il faudra bien que cela passe par une traduction quotidienne et collective. Enterrer l’outil syndical, comme semble le faire l’auteur, ne nous y aidera pas. Même si c’est de manière moins péremptoire qu’il n’en use parfois sur les réseaux sociaux, on aimerait plus de clarté sur les « organisations révolutionnaires ayant pignon sur rue » ou les « professionnels du changement social » qu’il dénonce.

Sur la violence

Le dernier chapitre, « “Devenir” Luigi Mangione », répond à la promesse de couverture. On y trouve de très bonnes pages sur ce que le choix mais aussi le corps de Mangione incarnent : la vengeance pure. Figure de l’outlaw, Mangione n’agit par contre pas au nom d’une idéologie ou d’un collectif. Pour élargir le propos, en lien avec le sous-titre de l’ouvrage, la violence des narodnikis russes, celle des groupes armés d’extrême gauche des années 1970 est alors passée au crible par Nicolas Framont. Mais pas les attentats anarchistes de la fin du 19e siècle. En France comme aux États-Unis, c’est pourtant le bilan négatif qui en est tiré qui conduit les libertaires à investir le syndicalisme justement, respectivement dans la jeune CGT et dans les IWW que convoquent par ailleurs Nicolas Framont.

Quoi qu’il en soit, confrontant le « cas Mangione » à la « question bicentenaire de la violence révolutionnaire » (qu’il invite à ne pas évacuer), Nicolas Framont n’élude pas une question centrale : « Comment ne pas être transformé soi-même par sa propre violence ? » Mais ce qui est vrai pour un individu l’est plus encore pour des organisations : la fin peut-elle justifier tous les moyens ?  À cela, les révolutionnaires les plus lucides ont toujours répondu que non.

Théo Roumier

Ce billet est une version un peu plus longue de la recension parue dans L’Anticapitaliste n°772 du 23 octobre 2025.

Saint Luigi, de Nicolas Framont, Éditions Les Liens qui Libèrent, 2025, 144 pages, 12,90 euros.

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