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Billet de blog 8 mai 2019

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Feu !

Je sais, il n'y a personne sur les Champs Elysées et peut être même que tout le monde s'en fout : souviens toi, m'a t-on dit le 8 mai c'est le jour de l'anniversaire de ta soeur ! Cà m'a fait drôle, surtout quand Georgette m'a demandé si je faisais le pont ! C'est dingue, on a l'impression que tout le monde a oublié...

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Et pourtant, j'entends encore mon Grand père me houspiller lors du premier scrutin européen : "Quoi tu ne veux pas voter ? Sais tu seulement ce que la guerre m'a fait endurer ? Sais tu seulement que tu vis quelque chose d'exceptionnel depuis plus de trente ans : la paix ? Et tu ne veux pas voter pour que jamais çà ne recommence ?

Te souvenir de ces massacres et faire en sorte que çà ne recommence pas est de ton devoir" semblait il dire en déposant le premier bulletin de vote de sa vie dans l'urne à plus de Soixante dix ans !

Oui, il y avait eu la guerre, et avant celle là, l'autre qui avait fait en sorte qu'il avait dû regarder son propre père y partir, avant d'aller la faire lui même ! Il avait sans doute porté le feu, et probablement provoqué des larmes de l'autre coté du Rhin. Il avait , aussi et surtout, passé trois ans derrière les barbelés, et je l'imagine encore tournant dans le vide, jusqu'à ce jour où, les ayant rassemblés sur la place du rapport, le commandant du camp leur avait joué la Marseillaise ! 

  - Tout le monde pleurait- 

Ce fut la seule anecdote qu'il voulut bien me confier sur cette période, un peu comme mon père qui ne présentait que l'aspect joyeux des "évènements d'Algérie". C'était impossible à raconter, personne sans doute ne pouvait comprendre l'immense solitude de ces gens, happés par le drame, sommés d'être acteurs malgré eux d'un désastre qu'ils ne comprenaient parfois même pas, invités à être le compagnon de chambrée d'un type qui ne serait plus là deux secondes plus tard !

La Guerre, la Grande comme la "petite" celle de 40, comme celle que personne n'a voulu voir, fut sans doute une expérience inqualifiable, inracontable par ceux qui la vivaient sur le front et qui ne livraient au mieux que leur quotidien épouvantable au travers de quelques lettres ou récits ! Happés, disais-je, héros ou salauds, ces hommes et ces femmes ont sans doute été dépassés par ce qui leur arrivait, et la rancune, la haine qui s'en sont suivis ont dû être tenaces...

A preuve : un jour alors que ma soeur vivait chez mes grands parents, sa correspondante avait débarqué pour quelques jours, et sous le charme malgré lui, mon grand père avait dit : "elle est belle comme un coeur, elle parle un Français impeccable, quel dommage qu'elle soit boche." Traduisant ainsi sa rancoeur profonde et ses difficultés infinies à en faire abstraction ! Homme de son temps, il savait qu'il était de son devoir, non pas d'oublier ou de pardonner, mais bien de continuer à vivre et de croire à un monde meilleur pour ses petits-enfants. Mais...

La dette de conscience que nous avons envers nos anciens est donc immense : nous leur devons ce désir de paix inconditionnel, au travers duquel ils ont fait fi de leur haine, de cette rancune dont je parlais plus haut. Ce qu'ils n'ont pas voulu ou  pas pu nous dire donc, c'est à nous d'en parler, c'est à nous d'en reconstituer la trame et de trembler au son du "Uber Alles" qui n'est pas une compagnie de taxi mais que certains dans leur folle nostalgie voudraient faire revivre . C'est à nous d'avoir un instant de conscience partagée, non pas pour nos Nations respectives, mais justement pour celle de ces gens de tous camps, morts pour une absurdité sans nom ou marqués à jamais par cette folie : la guerre ! Une guerre qu'il ne faut jamais reproduire !

Là, loin de ranimer la flamme du soldat inconnu, par un profond respect de ces morts injustes, de ces âmes meurtries, le peuple ira par les rues dire qu'il est heureux de manger à sa faim et de savoir qu'il existe un lendemain, un avenir (commun ?) ! Foin de militaires défilant, non, on pourra proposer un vaste banquet citoyen, mixant les nations et les langues, autour d'une nappe aux couleurs européennes et chantant quelque part notre humanité commune dans "un hymne à la joie" passionné. Le 8 Mai reprendra vie, redonnera vie, un moment à ceux qui en ont été privés et donnera à tous les présents (bien plus que tous les défilés militaires du monde) l'envie de continuer ainsi : en paix, célébrant ainsi, enfin, l'Acte de naissance d'une Nation Européenne !

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