On m'a raconté beaucoup, d'autant que j'ai fait sensation. En mettant un coup de boule magistrale à la dalle en béton du quai de mon travail, je l'ai éclatée sur vingt mètres, au moins (c'est pas vrai, bien sûr), alors pensez je suis devenu une légende...Le lendemain au boulot sans doute que tout le monde parlait de moi (peut être qu'il y avait encore le sang par terre) ! Et pourtant je ne me souviens pas d'avoir entrevu le tunnel ni la lumière blanche...J'ai vu ma collègue, puis je suis tombé comme çà, sans me retenir, et une fois au sol, impossible de me relever !
Pin pon...pin pon...et là d'un coup un grand univers blanc, et des piqures, des piqures, des piqures....Au point qu'au bout de quelques jours il fallait me piquer dans les talons parce qu'on ne trouvait plus de veines disponibles. J'ai eu beau dire : s'il n'y en a plus c'est peut être qu'il faut arrêter, mais rien n'y a fait...Alors...
Alors quand je suis sorti, brutalisé, j'ai cru que c'était fini, que le choc, que tout çà, il fallait oublier...Oublier...
Paradoxalement c'est à ce moment là que j'ai eu peur, très peur...Et si on ne m'avait pas vu tomber ?
Donc coté, oublis, j'ai eu ma part et ce d'autant plus que ce n'était déjà pas terrible dans le domaine. J'oublie, je me déconcentre, je ne me perds plus mais...Vous voyez je n'oublie pas ce truc démentiel, et je pense qu'il faut en parler parce que je crois que je ne suis pas le seul, loin de là, à être désorienté...Le Covid long, un peu comme la séropositivité peut être laisse des traces, des séquelles, il parait que dans certains cas on contracte même des cancers. Autrement dit : dans mon malheur j'aurais eu de la chance...Tu parles...
Mais, si on peut voir les choses du mauvais coté, peut être qu'on peut aussi les analyser du point de vue de l'humour et dire que depuis je suis devenu un éminent spécialiste de l'horizontalité. Dans les deux mois qui ont suivi mon hospitalisation j'ai dormi quinze heures par jour ! Un truc de dingue en fait. Je me levais le matin (?), je déjeunais, je me recouchais, pour me relever à 12H00 déjeuner et me recoucher...Autant dire que je n'ai pas vu passer les deux mois !
De retour au travail, impossible de me concentrer...mi temps thérapeutique...durant une année !
J'ai cru alors à une offre de liberté inconcevable, mais tous les aprés midi étaient en fait pris par le sommeil !
Dormir, dormir...et manger...Pour le reste...
Faut vous dire, je consultais déjà une neuro psychologue à cette époque du fait de mon handicap, et à l'occasion de ce mi temps, elle m'a proposé de refaire le point sur mes difficultés !
J'en suis sorti lessivé, sidéré, démoralisé...Comme si çà avait été nécessaire...
On est trois ans ou presque "après" la maladie, et il y a toujours des moments de fatigue extrême, que la chaleur de ces derniers jours amplifie certainement.
Alors comment oublier ?
Pour la majorité des gens cette histoire de Covid a été un moment de recréation, de réinvention du monde, et pour ma part j'ai cru un instant que c'était véritablement une parenthèse enchantée. Depuis la survenue de la maladie, je veux penser qu'on m'a offert une deuxième chance (peut être que je devrais parler d'une troisième en fait), et j'essaie, non d'oublier mais de réinventer, mais comment rattrape t-on le temps perdu, et surtout comment le fait on dans un monde qui pour l'essentiel est déjà passé à autre chose ?