Eh bien on peut penser justement que l'amnésie est au coeur de la vie politique d'une cité. On a beau en effet multiplier les cérémonies et commémorations en tout genre, force est de constater que nos hommes politiques et aussi une bonne part de l'opinion publique sont régulièrement frappés d'amnésie.
Vous voulez des exemples ?
Le premier qui me vient à l'esprit, c'est Chirac, vous savez l'homme qui feignait de découvrir la "fracture sociale". A la veille de son élection il n'avait plus que cette expression à la bouche: "fracture sociale".
Une fois élu, pourtant...
Pour être juste, on pourrait multiplier les exemples et parler en long et en large de Francois Mitterrand ou mieux encore de N Sarkozy... Qui nous promettait de travailler plus pour gagner plus... Avant d'aller fêter sa victoire sur un yacht je crois...
Vous me direz que ce sont des hommes politiques et que leur niveau d'éthique les autorise à quelques écarts, ou mieux encore à quelques renoncements salvateurs pour le pays ( vous avez dit François Mitterrand ?). Au surplus on est en droit de se demander si une élection ausi extraordinaire, une élévation (devrais je dire ?) ne constitue pas en soit un véritable traumatisme pour qui le subit !
On ne peut donc pas leur en vouloir à ces hommes (parce que ce sont des hommes justement), ils sont fragiles, les pauvres.
Mais, nous, nous citoyens lambda, n'avons nous pas aussi la mémoire qui flanche quand çà nous arrange, pour ne pas dire : quand ça nous dérange ?
Qui n'a pas chanté à tue tête dans les années 1980 : "on n'a plus le droit ni d'avoir faim, ni d'avoir froid" ?
Le projet ainsi dessiné était clair, et c'était un projet sociétal avant d'être une promesse politique : il n'y aurait plus de SDF, et mieux encore plus de chômeurs ni de précaires.
Qu'avons nous, nous, fait de ces promesses généreuses ?
Rien bien sûr, comme nous ne ferons rien des conférences sur le climat et les nécessaires ajustements qu'il nous impose.
Il est vrai que même le tête posée sur le billot, on peut toujours dire :" encore une minute, monsieur le bourreau"
En criant ainsi une nouvelle fois contre le risque de dictature, ou de catastrophe climatique nous avons fait comme ce condamné qui refuse de désespérer, nous avons voulu oublier, éviter l'obstacle qui se dresse devant nous pourtant. Par de grands messes faussement expiatoires nous avons voulu nous rassurer et oublier, oublier parce qu'on ne pourrait pas vivre si nous avions en permanence la menace au dessus de nos têtes. Ainsi donc sommes nous comme nos hommes politiques ou comme le narrateur dans le film de Kassovicz qui nous rappelle que "jusque là tout va bien". Nous reprochons à nos hommes politiques d'oublier en chemin leurs promesses, mais tant que le bisness continue "as usual" la grande majorité des gens s'en foutent...et préfèrent oublier...Oublier eux aussi qu'en 1981, en 1995...ou pire encore en 2021 ils ont adhéré en masse aux thèses écologiques !
Les frères Tadié, dans un intéressant ouvrage sur la mémoire, débutent leur étude par une apologie de l'oubli : encore heureux que nous oublions, "sans l'oubli disent ils nous ne pourrions pas vivre".
Sans doute, mais la question se pose alors jusqu'où sommes nous prêts à oublier, et sommes nous prêts en assumer les conséquences ?
Sans oubli nous ne pourrions pas vivre, certes, mais, sans mémoire, dans un immédiat incessant, sommes nous encore nous mêmes ?