
François Mitterrand peu avant sa mort écrivait : « Comment mourir ? Nous vivons dans un monde que la question effraie, qui s’en détourne. Les civilisations avant nous regardaient la mort en face, elles dessinaient pour la communauté et pour chacun le chemin du passage. Elles donnaient à l’achèvement de la destinée sa richesse et son sens. Jamais peut-être, le rapport à la mort n’a été si pauvre qu’en ces temps de sécheresse spirituelle où les hommes pressés d’exister paraissent éluder le mystère. Ils ignorent qu’ils tarissent ainsi le goût de vivre d’une source essentielle. »
Je n’étais pas « pour » l’extension de la loi permettant l’euthanasie aux enfants mineurs. Beaucoup me demandent de justifier mon choix. Je vais le faire, mais auparavant, je voudrais dire clairement que je ne contesterai jamais cette loi. Elle est la conclusion d’un travail démocratique exemplaire. Chaque député, chaque sénateur belge a voté en son âme et conscience, les partis politiques s’étant abstenus de consignes de vote. Les « pour » et les « contre » ont pu exposer leurs arguments parfois très longuement. C’est tout sauf une loi faite à la va-vite. Et contrairement à ce que certains catholiques (surtout Français) disent, je ne crois pas du tout que l’adoption de cette loi constituera un signal pour faire accepter par après l’eugénisme ou l’inceste. De plus, cette loi n’oblige personne à recourir à l’euthanasie et c’est ce qui fait sa valeur, je trouve.
J’ai beaucoup aimé l’attitude de l’Eglise catholique de Belgique pendant ce débat. Elle ne s’est pas privée de donner son avis. Elle l’a fait de manière posée et très claire. Elle n’a pas appelé à descendre dans la rue et je trouve qu’elle a eu raison de ne pas le faire. Par contre, des soirées de prière ont été mises sur pied et ont rassemblé beaucoup de participants. L’Eglise a organisé ce dont elle était experte : la prière. Pouvait-on espérer mieux ?
Le chrétien que je suis a l’habitude dans sa réflexion d’ajouter aux arguments que la Science donne, des éléments de philosophie et de théologie. C’est l’essence même du débat moral qui est permanent en lui. Je ne suis pas en désaccord avec les arguments des scientifiques : souffrances du mourant, avis médical circonstancié, accord des parents… etc. Je ne mets pas cela en cause du tout.
Je suis tout simplement quelqu’un qui a été touché par Dieu et qui a décidé de faire route avec Lui. Cette Présence dans ma vie entraîne une vie d’intériorité, de communauté, de moralité aussi.
Dans le pack de départ reçu de Lui à la naissance, on trouve en premier lieu la vie. Oui, je crois que la vie est un cadeau de Dieu, le plus précieux des cadeaux.
Mais il y a plus encore. Cette vie n’est pas seulement humaine. Elle est aussi divine. Cela veut dire qu’en quelque sorte, Dieu habite en moi. St Paul le disait magnifiquement. « Ce n’est pas moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi ». Je ne suis pas seul à décider de mes faits et gestes. Dieu a aussi son mot à dire. Ce Dieu-là, n’est pas « homme » (= personne humaine), il n’a pas la même texture que nous les humains. Il a des caractéristiques propres dont je choisis de tenir compte. Et dans ces caractéristiques « divines », il y a le respect de la vie humaine. Toute vie humaine, toute la vie humaine. Le message est clair : on ne détruit pas le cadeau que Dieu nous fait.
Si à mon avis cela ne pose aucun problème pour le mariage homosexuel des non-croyants (il n’y a pas de vie en danger), pour l’euthanasie, il y a problème. Et un problème plus grand pour des enfants que pour des adultes. Alors, je vais vous donner trois petits points qui me font réfléchir.
- Dans la vie de notre société, on ne laisse pas tous les droits à l’enfant. Il ne choisit pas ce qu’il mange, l’école où l’on l’inscrit, Il ne choisit pas seul ses vacances, il ne peut pas voter, il ne choisit pas son médecin, ni l’hôpital où il est soigné… etc. Pourquoi la souffrance devrait faire de lui quelqu’un de tout à fait responsable ? La mort de soi serait-elle le seul droit qu’on lui laisserait ? Je me pose cette question grave.
- Depuis peu, j’accompagne des mourants comme bénévole dans un centre de soins palliatifs. Ce sont des gens qui ont refusé l’euthanasie ou qui ne sont pas dans les conditions pour y arriver. Je suis sidéré par le contenu des dernières paroles qu’elles prononcent. L’une d’elle m’a dit, par exemple : « Dites-leur bien : c’est l’amour qui compte le plus, l’amour… » Et je me dis : si on avait décidé d’euthanasier cette dame, aurait-elle eu l’occasion de dire cette perle. Les derniers moments d’une vie permettent à l’être humain d’avoir une parole beaucoup plus importante que toutes celles qu’elles ont prononcées avant. Un être humain en fin de vie apporte au monde quelque chose de spécifique, de précieux.
- Le fait qu’un enfant souffre peut faire agir les parents, certes. Mais beaucoup de médecins l’ont dit en Belgique : très peu d’enfants demandent d’eux-mêmes la mort. Ce désir est toujours induit par des adultes. Certains médecins ont même dit qu’on a prévu une loi qui ne servira pas. Moi, je ne suis pas médecin. Je n’ai pas leurs connaissances ni leurs habitudes. Et on retrouve l’extrême inverse du point 1. On ne le laisse pas choisir. Ce sont des adultes qui vont le convaincre de mourir plus vite.
Il y aurait encore beaucoup d’arguments à avancer mais n’étant pas « spécialiste », je me suis limité à ce qui me concernait plus directement. Je vous conseille de lire cet article écrit par une infirmière pédiatrique qui développe tout ça, bien mieux que moi : http://www.lalibre.be/debats/opinions/euthanasie-des-mineurs-ce-qui-fait-soin-c-est-ce-qui-fait-lien-5301e5bd3570516ba0bdf80b
Ceci dit, je ne jugerai jamais des parents ou des médecins qui choisiront l’euthanasie pour leurs enfants. Il y a même quelque chose de courageux dans cet acte que je reconnais. Je suis aussi persuadé, bien entendu, que le bien de l’enfant sera le 1er souci de ces parents et médecins. Donc, je vous ai dit ma position mais je ne ferai rien pour l’imposer.
Dans un débat de ce type, il est fréquent d’argumenter afin de convaincre l’autre. Ici, pour moi, ce n’est pas du tout le cas. Et si vous décidez de réagir, je vous demande de décrire comment vous pensez le problème mais sans ce besoin négatif de me convaincre.
Je ne suis en aucun cas quelqu’un qui veut « imposer » des souffrances aux gens. Accompagner le souffrant, ce n’est pas avaliser sa souffrance, je pense que vous l’avez compris.