C’est une petite ville, proprette et fleurie… Je n’y étais jamais allé. Puisque le soleil, luisait, elle m’est apparue comme ample, généreuse. Direction : le presbytère. Un prêtre, la soixantaine, m’ouvre la porte.
- Bonjour, M. l’abbé, je suis Thierry Peltier. Je suis belge, catholique, pratiquant. Et je voudrais vous parler de ce que deux de vos paroissiennes m’ont dit à propos de vous.
- C’est bon. Entrez.
Je vois son visage se fermer. Il semblait me dire : « attention, je suis agressif et vais vous le montrer si ce que vous dites heurte mes oreilles et mon cœur ». Moi, j’affiche le plus beau de mes sourires et le suit dans une petite salle à manger. C’est très simple : deux armoires de cuisine qui, manifestement ne viennent pas de chez Ikea, mais qui ne viennent pas de chez un antiquaire non plus. Une table non couverte et quelques chaises. Des fleurs
sont posées au milieu de la table. La fenêtre de la pièce donne sur un très beau jardin, entretenu, on le voit, avec soin. Il m’invite à m’asseoir et nous commençons à converser. Il m’interroge d’abord sur mon voyage : Bonne route, météo splendide, pas d’embouteillage, pas d’interception par les gendarmes non plus. Je pense que lui (comme moi) n’avait rien à cirer de la façon dont j’avais accompli ce voyage, mais il avait besoin de cela comme préambule, je crois. Il m’interroge ensuite sur la Belgique.
- J’ai un ami prêtre dans votre diocèse. Peut-être le connaissez-vous : l’abbé Untel ? Par chance, oui, je le connaissais.

Nous avons parlé un peu de lui, mais manifestement, de nous deux, j’étais celui qui connaissais le mieux ce prêtre.
- Voilà M. l’abbé, je viens vous parler de deux de vos paroissiennes : Mmes X et Y. Elles m’ont dit qu’à la suite d’une de vos homélies, elles se sont senties obligées de ne plus venir à la messe. Elles sont lesbiennes et vivent en couple. Et vous auriez dit, dans cette homélie, qu’il n’y avait pas de place à l’église pour des homosexuels qui vivent en couple…
M’interrompant : - Oui, ce que j’ai dit, ce n’est pas exactement ça, mais c’est à peu près ce que je pense.
Je reçois cela comme un coup de couteau en plein cœur. J’aurais espéré qu’il me dise « Non, elles m’ont mal compris : voilà ce que je voulais dire :… » Mais ici, dès le début, le choc est frontal. C’est bien cela qu’il a dit, c’est bien ce qu’il pense… Pour la première fois de ma vie, je suis devant quelqu’un qui me confie ouvertement son homophobie…. Thierry, ton calme. Surtout garde ton calme.
- Vous êtes sûr que c’est l’enseignement de l’Eglise ce que vous avez dit.
- Oui, d’ailleurs, je l’ai encore relu récemment : elles ne peuvent plus communier parce qu’elles affichent leur liaison homosexuelle publiquement.
- Ecoutez, je ne veux pas jouer sur les mots mais, pour moi, ne plus pouvoir communier, c’est très différent de n’être pas les bienvenues à l’église…
- Oui, mais aller à la messe sans avoir communié, cela n’a pas beaucoup de sens…
Là, c’est moi qui l’interromps :
- Et vous dites la même chose aux divorcés remariés ?
- Oui, mais vous savez, on n’en voit pas beaucoup à l’église parmi eux.
- Ecoutez, M. l’abbé, j’ai apporté avec moi un livre de Mgr Léonard « L'Église vous aime. Un chemin d'espérance pour les séparés, divorcés, remariés », (Paris, Éd. de l'Emmanuel, 1996, 152p.) Regardez ce qu’il écrit …
Et je lui montre plusieurs passages qui en gros disent ceci : L’Eglise a à cœur de dire à ceux que la vie a obligé de vivre une séparation et qui se sont remariés civilement qu’ils sont les bienvenus à l’église, que la communauté paroissiale est leur communauté. Il dit aussi que l’Eglise leur « demande » (c’est autre chose que l’imposition d’une obligation) de ne pas communier. Mais il rappelle aussi que dans ce cas, ils peuvent toujours faire une communion de désir (on appelait cela avant la communion parfaite). Je lui signale aussi que ce même évêque avait dit à une journée à laquelle j’avais participé récemment… que ces couples remariés pouvaient même s’approcher du prêtre pendant la communion et lui demander de les bénir en lieu et place de les communier. Silence… Silence lourd parce que je le voyais se fermer. Je prévois une intervention agressive… qui ne vint heureusement pas. Je lui tends le livre, qu’il feuillette dans tous les sens. Je sais ce que cela veut dire : « vous avez mal lu, vous avez sorti des phrases de leur contexte, vous faites dire ce que le livre ne dit pas… » Mais, il a eu beau chercher, rien ne vint rassasier son attente. Je me risque à nouveau :
- Pourquoi ne diriez-vous pas tout simplement dimanche prochain que quel que soit son état de vie, on peut entrer dans l’église si on est baptisé ? Vous ajouterez alors que vous demandez à ceux qui ne sont pas dans une situation que l’Eglise approuve de ne pas s’approcher pour la communion mais qu’ils peuvent faire une communion de désir (il faudra peut-être expliquer ce que c’est).
Silence à nouveau… Et il me dit :
- Oui, je crois que je comprends ce que vous voulez dire…
Là, c’est plus un coup dans le cœur, c’est le contraire : une ouverture presque brutale de mon cœur. Il comprenait, il comprenait… Vous vous rendez compte : il comprenait !
- Avant de continuer, permettez-moi d’aller chercher quelque chose dans ma voiture… Je m’éclipse. Dans la voiture, je prends deux petit cadeaux que j’avais prévu pour lui : Une grande bouteille de bière trappiste de Chimay (je suis chauvin : c’est la meilleure du monde !) et un psautier magnifiquement illustré. Je le rejoins :
- Vous voyez, j’avais prévu de vous les offrir à la fin de notre entretien, mais puisque vous m’avez dit que vous croyez que vous me comprenez, je préfère vous les donner tout de suite.
Il veut ouvrir la bouteille tout de suite mais je l’en empêche et je lui propose de l’ouvrir quand les deux femmes lesbiennes viendront le rencontrer en répondant à son invitation…
- Parce que c’est bien cela qui va se passer, M. l’abbé, hein ? Tout ému de mon geste, il parcourt le psautier :
- C’est vraiment magnifique : je n’avais jamais entendu parler d’un tel ouvrage…
J’enfonce le clou :
- Vous allez les rencontrer, hein, M. l’abbé, ces deux femmes ?
- Oui, je vais parler avec elles.
- Alors, écoutez, moi, je reste en contact avec elles. Je leur demanderai de me confirmer que vous allez les rencontrer et de me dire si, en chaire de vérité, vous avez remis les choses au point. Pour moi, le critère, c’est qu’elles osent à nouveau revenir à l’Eglise.
Sans avoir ouvert la bouteille, cet homme se décrispait, essayait d’afficher un sourire et faisait briller son regard… Nous discutions encore de tout et de rien : le nouveau Pape, les lieux de retraite, les problèmes qui se posent dans telle ou telle communauté religieuse, enseigner la Religion… L’ambiance devient plus chaleureuse. Quand les cloches de l’église ont sonné 13H, je lui ai proposé de prier ensemble l’angélus. Il a accepté. La prière était douce, nos visages recueillis. Je goûtais cet instant dont la simplicité révélait sa solennité. On s’est dit au revoir (pas adieu) et je suis revenu ici.
La route m’a parue bien moins longue qu’à l’aller. Arrivé ici, je téléphone aux deux femmes. Je leur raconte mon entrevue. Je leur dit aussi que ce prêtre est très honnête, au fond, puisqu’il a reconnu son erreur et a promis de la réparer. Je leur demande de me dire ce qu’il y aura de nouveau. Elles feront l’effort d’aller à la messe dès ce dimanche.
Conclusions de tout cela… :
D’abord et avant tout que dans l’Eglise Catholique, il y encore moyen de se parler de cœur à cœur, en oubliant les liens hiérarchiques. Un laïc peut oser dire son fait à un prêtre, quand il a la certitude qu’il voit vrai.
Et puis, le visage de ce prêtre, je ne l’oublierai jamais parce qu’il a changé doucement mais de plus en plus fort pendant notre entretien. De l’angoisse et la peur (je n’ose pas dire la haine) à la joie et la sérénité d’une rencontre.
Et enfin que la vie est magnifique : que jamais, non jamais tout n’est perdu. Il y a toujours moyen d’aller vers plus d’amour, d’amitié, de solidarité, d’intériorité…
Tout cela s'est passé le jour où Cahuzac s'est présenté devant le Commission d'Enquête Parlementaire sur l'affaire qui porte son nom. Ce même jour, Takieddine avoue le financement de la campagne de Balladur en 1995. Toujours plus de clarté...