Je copie-colle ici une longue réaction à mon billet précédent. Je l'ai reçue via Twitter. Elle ne m'engage évidemment pas. Elle était trop longue que pour la publier en "commentaire". Je la publie donc comme un nouveau billet. L'auteur appréciera ce geste qui doit être très rare, à mon avis. Bonne lecture. Le texte vient de @No_712
Catholique, je partage tout à fait votre conscience de la vie qui est un don de Dieu. Il me semble que vous avez tout à fait raison de le rappeler. Pour un agnostique on pourrait dire aussi, en termes peut-être plus "audibles", que la vie est un don que l’on reçoit de l’histoire de l’humanité. Nous sommes, momentanément, dépositaire d’héritages millénaires qui ont façonnés notre vie, tant aux niveaux biologiques que culturels. Je trouve que cette mise en perspective fait échos aux propos de Monsieur Mitterrand que vous rappelez en tête de votre billet.
Sur le fond donc, je suis 100% en phase avec vous. Il ne relève pas nous de décider quand mettre un terme à notre vie, et encore moins à celle d’autrui (dans le cas où l’on pense que l’on puisse inciter quelqu’un à consentir à sa propre euthanasie).
Vous vous en doutez, nous commençons à bien nous connaître, je vais être tout à fait transparent avec vous pour vous faire part de trois remarques qui me sont venues à la lecture de votre billet.
1. Je suis toujours un peu mal à l’aise avec la politisation du discours catholique, et là il me semble que vous sombrez un peu dans ce "travers". Attention, je précise ; je ne prétends pas à ce que les catholiques n’aient pas de discours politiques, mais que l’on ne politise pas le discours catholique. Je pense que vous partagez ce point de vue. Et dans le cas précis, je suis assez mal à l’aise avec ce que je perçois comme une façon, presque, de vous excuser de votre position. Je caricature un peu le ressenti que j’ai eu à la lecture, mais il pourrait être celui-ci : "chrétien, je suis contre l’euthanasie des mineurs, je sais que c’est une position qui peut choquer et me faire passer pour un catho-facho-réac, alors comme je ne veux pas que vous croyez ça, je vous rappelle que je suis pour le mariage civil entre deux personnes de même sexe". Je sais que ce n’est pas agréable de passer pour un catho-facho-réac, c’est d’ailleurs pour protéger ma famille contre des attaques de ce type que j’ai changé mon profil numérique il y a bientôt un an pour apparaître sous un simple numéro puisque j’avais pour ma part milité pour une refonte plus globale du corpus législatif français sur ce qu’il convient d’appeler "la famille" (notion soit disant dépassée) pour poser des cadres législatifs spécifiques à l’organisation de la vie matrimoniale, à l’organisation de mise en commun d’élément patrimoniaux, à la protection de l’enfant né ou à naître, à son éducation par les personnes qui s’occupent de lui, au quotidien ou de façon occasionnelle, etc… bref, un véritable aggiornamento de la notion civile de "famille". Pour cela, moi aussi, je suis passé pour un catho-facho-réac. J’en ai pris mon parti. En priant pour que notre modèle social propose aux couples (à travers une sexualité responsables) et aux femmes (parfois aux couples aussi…) des aides et des solutions qui permettent de prévenir ou d’éviter les avortements, une nouvelle fois je suis passé pour catho-facho-réac. Cela ne sont à mon sens que des étiquettes "politiques" et je pense qu’il ne m’appartient pas lorsque je donne mon avis sur un sujet de faire des circonvolutions pour éviter à tout prix cette étiquette que certains voudrons me coller. Je crois qu’il n’est un secret pour personne que vous êtes "de gauche" (peut-être ce que certains voudraient voir comme un chrétien "progressiste", même si je trouve cette notion trop politisée ou "sociolitisée" pour être accolée au terme de chrétien) ; aussi, aviez-vous besoin de rappeler votre engagement en faveur du "mariage pour tous" dans le cadre de ce billet ?
2. J’ai noté une petite escarmouche (habituelle) à l’encontre de certains "ordinaires" de l’Eglise de France qui avaient appelés à exprimer son opposition au Mariage Pour Tous dans le cadre de manifestations sur la voie publique. Que l’Eglise donne au monde ("à tous les hommes de bonne volonté" pour rendre l’expression consacrée) à connaître sa position sur différents sujets me semble plutôt sain (en tout cas dans un état de droit laïc). Il me semble que la manifestation sur la voix publique est le "dernier recours" pour se faire entendre lorsque, pour une raison ou pour une autre, à tort ou à raison, l’une des partie estime ne pas être écoutée, ne pas être prise en compte, ne pas être assez concertée. Les manifestations de rues font parties du "paysage" politique français et j’aurai très peur pour la France, que l’on interdise à certaines composantes de la société d’utiliser de ce moyen démocratique d’essayer de "faire se voix", quand bien même ces personnes soient croyants.
J’ai vécu dans ce que l’on appelle une "République Populaire" et les restrictions à la liberté d’expression, toujours réalisées sous couvert des meilleures intentions, ne conduisent qu’à réduire les consciences au silence. Tout échange, tout dialogue, toute expression de conviction permet à celui qui écoute d’enrichir un peu, son cœur et son esprit. Vouloir limiter le champ d’intervention des chrétiens aux seuls débats feutrés de colloques, de conférences ou de publications diverses, peut être en raison de mon histoire personnelle, pardonnez-moi, mais cela me fait extrêmement peur.
Un dernier point sur l’intervention des croyants. La prière c’est bien. Que l’Eglise de Belgique ait organisée des prières, c’est bien. Je tiens à vous signaler que dans le cadre du Mariage pour tous, de nombreuses prières, des journées de jeûnes ont été organisées aussi par les chrétiens de France. Pour trouver une voie médiane, je pense que les deux modes d’action (prière et action "civile") sont utiles et se complètent en vertu de notre humanité qui est à la fois de nature terrestre et spirituelle ; cela me donne à penser à cette citation du Saint Ignace de Loyola : "Prie comme si tout dépendait de Dieu. Agis comme si tout dépendait de toi."
3. Une dernière remarque, vous dites que vous ne vous opposerez pas à la loi puisqu’elle a été décidée en vertu des règles constitutionnelles de votre pays. Vous posez ici une question qui peut se révéler extrêmement grave. Dans quels cas est-il moralement permis de s’opposer à une loi ? Là n’est pas l’objet de votre billet, mais je crois qu’il serait intéressant un jour d’aller plus en avant sur ce point ? S’opposer à une loi est illégal (par définition, sauf les cas prévus d’objection de conscience), mais cela peut-il être moralement juste ? Un regard chrétien sur le sujet pourrait être intéressant au regard du message du Christ qui invite ses disciples à être source de contradiction : "Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix à la terre. Je ne suis pas venu amener la paix mais l’épée. Je suis venu pour créer la division : on sera contre son propre père, la fille s’opposera à sa mère et la jeune mariée à sa belle-mère. Chacun aura pour ennemis les gens de sa maison." (Mt 10, 34-36). Je pense ici aussi au n°2241 du Catéchisme de l’Eglise Catholique… Je pense qu’il y aurait là matière à un billet à part entière.
C’est toujours stimulant de vous lire, bien souvent, au-delà de convergences certaines sur le fond des sujets entre nous, nous avons d’enrichissantes divergences sur la forme ou sur les modalités d’approcher des sujets. Aussi, pour conclure, je ne voudrais pas que les quelques remarques accessoires que je porte à votre connaissance brouillent en effet le sens premier de ma lecture qui est une estime pour des lignes telles que celles-ci, une estime pour le courage d’écrire des mots qui vont à contre-courant.