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Billet de blog 28 juin 2013

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Deuxième Lettre Ouverte à l'abbé Grosjean et à ceux qui le suivent.

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Vous avez publié sur votre blog, M. l’abbé une petite vidéo de 3 minutes dans laquelle vous répondez à deux questions « De quoi se mêle l’Eglise ? » et « et le respect de la laïcité ? ». Je l’ai regardée et écoutée avec la plus grande attention. Pris hors du contexte, ce texte est vraiment juste. Vous rappelez de manière très vivante quel rôle peut jouer la communauté chrétienne dans le monde d’aujourd’hui. Mais quand je remets cette intervention dans le contexte politique, social, économique et éthique que nous vivons pour le moment, je vous le dis d’emblée, j’ai été très déçu.

Je pense que l’Eglise a pris l’habitude depuis trop longtemps de passer sous silence tout ce qui, en elle, est brisure, fêlure, échancrure, blessure, imperfection et manque. Elle a cette tendance maladive de vouloir être parfaite, de vouloir montrer le « bon » exemple. Or je suis persuadé que si elle se montrait plus fragile, plus vulnérable, plus pauvre, elle serait beaucoup plus crédible. Votre message rentre dans cette grande mascarade qui dit « regardez ce que l’Eglise fait, voyez comme elle est présente, voyez comme elle est cohérente, si on l’attaque, c’est très injuste : elle fait tout bien ». L’Eglise à laquelle j’aspire, au contraire, serait celle qui montrerait les difficultés qu’elle a à traverser les grandes questions du monde, celle qui se montrerait plus pauvre, plus vraie, plus profonde… moins sûre d’elle-même, moins conquérante, moins triomphante… Je continue de prier de toutes mes forces pour que cela arrive.

Disons-le d’une manière claire, dès le début, votre message répond à des critiques qu’on a faites à l’Eglise de France à l’occasion du vote de la loi sur le mariage pour tous. Vous parvenez à ne jamais le dire explicitement, agglomérant à ce combat d’autres luttes de l’Eglise qui, elles, ne seraient vraiment pas condamnables… si elles avaient lieu. En France.

Je parcours ici l’entièreté de votre texte d’anthologie et je vous dis ce qu’y me gêne et me chipote.

« Tant que l’Eglise se contente de prier et de rester dans les sacristies, tout le monde est d’accord. Elle ne gêne personne. Mais quand le pape ose rappeler à des parlementaires français leur fonction et leur rôle, quand l’Eglise s’implique dans les débats de société, quand des évêques prennent la parole sur des sujets éthiques, politiques, d’économie, d’écologie, d’immigration… Eh bien, beaucoup s’indignent. »

Assurément, l’Eglise est appelée à aller souvent à contre-courant de ce que le monde moderne propose comme « bonheur » à l’homme. La référence au tout petit discours du Pape François aux Parlementaires (tous chrétiens) qui étaient membres du groupe Amitié France-Saint-Siège, ne me semble en rien « audacieuse ». S’il dit explicitement que « Votre tâche est certes technique et juridique, consistant à proposer des lois, à les amender ou même à les abroger », il ne dit rien de nouveau. Il n’y a pas une seule allusion à la loi sur le mariage pour tous et le mot « abroger » dont a tant parlé la presse, est aussi le rappel que, par exemple, les parlementaires chrétiens ont la tâche « technique » parfois d’abroger des lois iniques. C’est ce qu’on a fait, en France avec l’abolition de la peine de mort, combat pour lequel on n’a pas vu, à l’époque, l’Eglise se bouger beaucoup.

Dites-moi, M. l’abbé, des exemples où l’on a vu l’Eglise « s’impliquer dans des débats de société » à part la loi sur le mariage des homosexuels. Et si c’est vrai que les évêques ont à « prendre la parole sur des sujets éthiques, politiques, d’économie, d’écologie, d’immigration », ils ne semblent pas s’impliquer autant dans la politique, l’économie, l’écologie, l’immigration que dans une certaine question éthique, non ?

« De quoi se mêle l’Eglise ?

C’est vrai que la mission de l’Eglise, elle est d’abord spirituelle. Mais comment s’occuper des besoins spirituels de quelqu’un sans se préoccuper de ce qui fait toute sa vie. Comment parler de Dieu à quelqu’un si sa dignité d’être humain n’est pas respectée ? Comment parler de Dieu à quelqu’un s’il n’a pas de quoi se nourrir ou se vêtir ? Voilà pourquoi l’Eglise s’est toujours voulu aussi servante du bien commun, c’est-à-dire de toutes ces conditions de vie qui permettent à l’être humain de s’épanouir dans toutes ces dimensions. Voilà pourquoi l’Eglise, au fond, sur des sujets politiques, d’éthiques, économiques, d’immigrations, d’écologie, des questions de société… Parce que tous ces sujets-là touchent à la dignité de la personne humaine, touche à la vision que l’on se fait de l’homme et de son épanouissement. Voilà pourquoi l’Eglise aborde ces sujets-là. Toujours pour éveiller les consciences : « attention ! Ce projet de loi, ces conditions de travail, en quoi servent-elles vraiment le respect de la personne humaine ? En quoi servent-elles le bien véritable de tout l’homme et de tout homme ? »

Vous ne prenez comme exemple, que des questions qui ne concernent pas le mariage pour tous. Des exemples où l’Eglise de France ne s’est pas montrée très visible : Etiez-vous avec les ouvriers de la métallurgie à Florange ? Vous a-t-on vu manifester pour lutter contre la dépendance des personnes âgées ? Etiez-vous avec les paysans expropriés de Notre-Dame-des-Landes ? Etiez-vous avec les Roms qu’on a expulsés par centaines et qui pourtant sont des chrétiens catholiques, comme nous ? Etiez-vous avec les travailleuses de Fralib à Gemenos ? Quand donc descendrez-vous dans la rue avec la même ampleur que pour les manifs pour tous pour qu’on règle le problème des sans-logis ? Et pour dire et redire au monde que le réchauffement climatique fait déjà des morts, par centaines, dans le Tiers-Monde, où peut-on entendre la voix de l’Eglise ? Toutes ces questions « touchent à la dignité de la personne humaine, touche à la vision que l’on se fait de l’homme et de son épanouissement » pourtant. Non ? Vous éveillez les consciences d’une façon bien curieuse, en manifestant contre le mariage gay qui ne tuera jamais personne, et en vous taisant pour le reste. Vous méritez là un beau 0 pointé.

Et ne venez pas dire, comme sur les plateaux télé, que je serais étonné de voir les personnes que vous rencontrez chaque jour. Si c’est vrai, il s’agit là de la réponse personnelle que vous donnez sporadiquement à des demandes d’aide. Non, ici, je veux parler de la visibilité de l’Eglise en tant que communauté humaine, épouse du Christ et appelée par lui pour rendre notre monde meilleur.

« Et le respect de la laïcité ?

On reproche parfois à l’Eglise de ne pas respecter la laïcité. Mais l’Eglise n’a aucun problème avec la laïcité. « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22 : 21). Cette distinction entre le spirituel et le temporel, elle est au cœur de l’Evangile. Mais qu’est-ce que c’est que la vraie laïcité ? Ce n’est en aucun cas l’exclusion ou – encore pire – l’hostilité au fait religieux. Ce n’est pas du tout le fait de refuser aux religions ou à l’Eglise de participer au débat public. Au contraire, c’est de permettre aux religions, c’est de permettre à l’Eglise d’apporter sa contribution propre. L’Eglise fait partie de la société. Elle doit prendre sa place, rien que sa place, mais toute sa place dans ce débat de société. D’ailleurs, elle le fait de manière désintéressée. Elle ne vient pas comme un lobby défendre ses intérêts privés. Elle le fait de façon ouverte. Elle s’appuie sur des arguments qui ne sont pas confessionnels, qui sont fondés sur la raison, que tous peuvent partager. Elle le fait pour que servir le bien de la personne, pour interpeller les consciences, parce qu’elle est libre, parce que sa parole n’est pas partisane, parce que sa parole n’est pas soumise aux sondages, parce qu’elle est là simplement pour rappeler la primauté de la dignité de la personne humaine, la primauté qui doit être accordée au plus fragile, au plus petit… Au fond, l’Eglise, dans ces débats de société, elle est la voix des sans-voix. »

Vous avez raison de le dire. La laïcité sert à laisser la parole aux religions. Mais ici, pour le mariage pour tous, votre parole, c’était tout simplement qu’il fallait imposer à tous les règles de l’Eglise catholique. C’est une façon de faire que j’aurais bien comprise pour la question de l’avortement. Il y a à protéger le plus tout petit des tous petits. Je peux la comprendre aussi dans la question de l’euthanasie, de l’eugénisme,… Toutes questions qui mettent en jeu la vie humaine. Je ne peux l’admettre dans la question du mariage homosexuel. On permet à deux hommes ou à deux femmes d’officialiser civilement leur amour. Je comprends que cela puisse heurter la foi d’un catholique, mais il s’agit d’une union civile qui ne met personne en danger.

Vous dites que l’Eglise s’appuie sur des arguments qui ne sont pas confessionnels, qui s’appuient sur la raison. Vous le savez, je ne suis pas du tout d’accord avec ça : les arguments que j’ai entendu sont les suivants :

-          C’est dans la filiation qu’il y a un problème. La GMA et la GPA sont inadmissibles. D’accord, mais on n’en est pas encore là. Beaucoup de couples homosexuels sont d’accord pour avoir recours uniquement à l’adoption pour avoir des enfants.

-          Ces enfants seront malheureux, « un papa, une maman, quoi de mieux pour un enfant ! ». C’est une affirmation gratuite. Aucune étude n’est venue encore confirmer cela. C’est une peur, pas un argument.

-          Ce sera la porte ouverte à l’inceste, la polygamie, la zoophilie. Même prononcée par un Cardinal, cette phrase est inacceptable pour le chrétien que je suis. Comme si le mariage gay était le premier pas vers une « bestialisation » de l’humanité. Imaginez un peu ce qui peut se passer dans la tête d’un homosexuel quand il entend des choses pareilles. Il est évident qu’il s’agit d’une crainte irraisonnée et non pas d’un « argument » pour ne pas permettre le mariage homosexuel. Il est évident que pour la société civile, le mariage pour tous est un pas vers l’humanisation, la tolérance, l’ouverture…

Vous voyez, pour le chrétien, les seuls arguments valables pour ne pas instituer ce mariage, ce sont ceux de l’Eglise. Mais ces arguments ne peuvent être admis pour des non-chrétiens. Ils ne sont pas « raisonnés ». Ils ne sont pas « raisonnables ».

Vous parlez de la parole « non partisane » de l’Eglise. Pour ce coup, il aurait fallu qu’elle le soit. Elle ne l’a pas été. Manifestement l’Eglise qui s’est rendue visible dans cette question, c’était les chrétiens ouvertement à droite. Il suffit de voir la liste des groupes qui se côtoyaient lors de vos manifestations. Il y avait là, des gens de la droite la plus extrême. Certains ont même cru possible la destitution du Président de la République. D’autres ont vu dans le comportement de la police le signe d’un pouvoir à la solde des pro-mariage pour tous. Certains de vos tweets, M. l’abbé, le montrent clairement et je ne parle pas de ceux que vous avez effacés qui, par exemple, comparaient le gouvernement de la France à celui de la Corée du Nord. Vous êtes à droite, viscéralement, vous refusez de voir ce que la Gauche pourrait apporter aux Français, même s’ils sont chrétiens. Votre choix est fait et vous ne voulez pas en démordre. La mise en ridicule de la Gauche vous est permise et vous ne la ratez jamais. Etonnant, tout de même ce pays des lumières qui éprouve tant de mal à se désolidariser pour certaines questions des courants politiques auxquels ils adhèrent. Ici, en Belgique, je ne perçois pas cela.

Je termine par une allusion aux « sans voix » dont vous parlez à la fin de votre intervention. Les « sans voix » sont aussi les homosexuels qui n’osent plus venir dans nos églises, qui rasent les murs parce qu’ils se sentent jugés, qui ont peur d’une société qui les disqualifient, qui les mettent à l’écart. Un geste non-équivoque de votre part à leur égard vous honorerait.

Je termine, comme j’en ai l’habitude, par un petit bout d’Ecritures Saintes : Je l’emprunte à ce tout petit bout d’Evangile que j’ai entendu ce matin à la messe. Le lépreux est guéri par Jésus parce qu’il a dit pauvrement et humblement : « Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier »(Mt 8 : 2)… Si l’Eglise continue à ne jamais paraître pauvre et humble dans son comportement, jamais Jésus ne pourra la guérir.

Thierry P.

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