Thierry Reboud (avatar)

Thierry Reboud

Commercial, militant syndical

Abonné·e de Mediapart

24 Billets

1 Éditions

Billet de blog 4 avril 2016

Thierry Reboud (avatar)

Thierry Reboud

Commercial, militant syndical

Abonné·e de Mediapart

Du vent dans le voile

Les polémiques sur le voile dit islamique commencent sérieusement à me courir. Ces polémiques voilent surtout le fait qu'en France on est de moins en moins enclin à tolérer la liberté de chacun, alors même que cette liberté n'empiète par sur celle des autres. Aujourd'hui, celle des musulmanes ; et demain ?

Thierry Reboud (avatar)

Thierry Reboud

Commercial, militant syndical

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Avant d'aller plus loin, autant que je le précise : je n'ai aucune espèce de sympathie pour les tenues dont s'affublent, en guise d'étendard, les bigots et les bigotes, de quelques variétés de cultes qu'ils et elles se revendiquent. Lorsque, dans mon quartier, je croise une femme drapée des pieds à la tête et jusqu'au bout des ongles, mon premier mouvement me mène à penser que son cas ressortit de la psychiatrie. Je ne crois pas aux choses divines, et j'avoue que j'ai du mal à regarder quelqu'un qui y croit autrement que comme une bête un peu curieuse.

Cela posé, mon opinion est certainement très éclairée et particulièrement intéressante, elle peut être à l'occasion partagée plus ou moins largement, il n'en reste pas moins qu'elle n'est que cela : une opinion. Or, s'il y a bien une chose que la vie en démocratie devrait nous avoir apprise, c'est qu'on vit avec des personnes qu'on n'a pas choisies, qui ne nous ont pas choisis, et que, si nous voulons que ça se passe à peu près correctement, il vaut mieux que nous laissions tout un chacun faire ce qu'il a envie de faire pour peu que cela ne porte aucun préjudice à quiconque.

Il y a, dans les badintero-rossignolades, un parfum assez détestable. Tout d'abord parce que ces femmes, qui portent très haut leur féminisme, ne font en réalité rien d'autre que contester à d'autres femmes leur liberté de jugement et d'opinion. Cela me rappelle un peu ces hommes de gauche qui, au début du XXe siècle (et pratiquement jusqu'en 1944, en fait), rechignaient au droit de vote pour les femmes au motif que, selon eux, ces femmes seraient manipulées par le curé. S'il y a bien une conquête indispensable du féminisme, indispensable parce qu'elle contient toutes les autres, c'est que nous savons aujourd'hui que les femmes sont, autant que les hommes (ni plus, ni moins), capables de penser par elles-mêmes. Que cette faculté de penser, et la liberté qui va avec, les mène à adopter des positions (et des vêtements) que nous réprouvons, c'est une chose ; mais elles n'en demeurent pas moins capables et libres de penser par elles-mêmes, autant que n'importe quel autre gibier (mâle ou femelle) de publicité.

On objecte souvent que ces femmes sont forcées de s'accoutrer ainsi. Fort bien : si on le dit, c'est qu'on est capable de le prouver. Si on est capable de le prouver, si du reste on est capable de prouver que n'importe qui oblige quelqu'un à se vêtir d'une certaine façon (voile ou pas voile), cela tombe déjà sous le coup de la loi. Si on n'est pas capable de le prouver, alors il n'y a pas d'autre voie que de penser que ces femmes l'ont choisi.

Que des citoyens qu'on jurerait normaux en viennent sans rougir à prôner l'interdiction du port du voile (au nom du droit des femmes, au nom d'une conception fumeuse de la laïcité, tout cela pour cacher soit une stupidité sans bornes, soit des motivations que je préfère ne pas approfondir) me suffoque.

Tout d'abord, personne ne semble remarquer que l'interdiction du port du voile est parfaitement symétrique de l'obligation de le porter. De ce point de vue, la concomittance de cette polémique avec le refus (parfaitement légitime selon moi) des personnels féminins d'Air France de se voiler lors des escales iraniennes est tout à fait instructive. Un code vestimentaire, qu'il oblige ou interdise, est, du point de vue des droits humains (dans le cas particulier, du droit des femmes), une infamie. Une infamie mineure, une infamie tout de même.

Ensuite, si chacun peut observer que les vêtements incriminés sont ceux des femmes, personne ne semble se formaliser que les hommes quant à eux demeurent parfaitement libres de s'habiller comme ils le veulent, alors même que leurs déguisements ne sont pas moins politiques que ceux qu'on reproche aux femmes. En bonne égalité, il devrait devenir rapidement essentiel qu'un ajout au Code civil indique quel type de barbe est licite (ou faut-il dire haram ?), quel genre de pantalon les hommes ont le droit de porter, si la djellaba et le chèche sont proscrits... ou même s'il doit devenir obligatoire de fumer (puisque les bigots ne fument pas). Allons donc, un peu de sérieux... Et que ce sérieux commence par laisser les femmes aussi libres que les hommes de s'habiller, si détestable que soit cet habit : après tout, je croise quotidiennement des gens habillés d'une manière que je juge détestable, eh bien je fais avec.

Enfin, le dernier angle d'attaque consiste à rappeler que cet accoutrement contient une revendication politique. Dans une large mesure, je suis prêt à suivre ce point de vue (encore qu'il ne faille pas perdre de vue le nombre considérable de bigots quiétistes qui, comme tous les quiétistes, se soucient de politique comme moi de leurs chaussettes). Mais admettons, le voile est un message politique. Et alors ? Un message politique, ça se combat politiquement. Ce n'est pas interdit, que je sache, de porter des t-shirts ornés de messages politiques, j'en fais même un usage assez immodéré. On ne semble pas faire attention à la pente, glissante ô combien, où nous entraîne ce raisonnement. Ainsi, il y aurait des messages politiques délictueux ? Tiens donc... Sauf erreur, on a le droit en France de prôner l'instauration d'une République islamique et de le montrer ; ce qu'on n'a pas le droit de faire, c'est de tuer des gens. On a le droit en France de prôner un retour à une lubie de France éternelle aux racines chrétiennes et de le montrer ; ce qu'on n'a pas le droit de faire, c'est de réserver certains droits à certaines personnes du fait de leur naissance. On a le droit en France de prôner une meilleure répartition des richesses et de le montrer ; ce qu'on n'a pas le droit de faire, c'est de braquer des banques. Bref, réprimer le voile au motif qu'il serait un message politique, c'est réprimer la liberté politique et la liberté d'expression.

Au total, le plus drôle, c'est qu'un voile, ça n'est rien d'autre qu'une pièce vestimentaire. Certains, les bigots, nous ont dit que cette pièce vestimentaire était essentielle du point de vue de la bigoterie. Et nous, tout couillons, nous avons accepté cela, nous avons accepté et entériné le regard des bigots. Le voile est peut-être dangereux ; je me demande si ceux qui veulent l'interdire ne sont pas plus dangereux encore pour la République et ses valeurs.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.