Certains l'attendaient, d'autres l'appréhendaient, ça y est : Bertrand Cantat recommence à chanter. Je ne parle pas de telle ou telle participation à un spectacle ou à un concert. Il s'agit d'un disque dont la sortie est prévue le 18 novembre. De ce disque à venir, je ne connais à ce jour que la chanson Droit dans le soleil, probablement promise à un avenir (paradoxalement) tumultueux.
Que peut-on dire de la chanson ? Qu'elle est magnifiquement servie par la contrebasse de Pascal Humbert, que la voix de Cantat y est à la fois immédiatement reconnaissable et terriblement transmuée (mais peut-être ne s'agit-il en fait que d'une impression d'ordre téléologique), qu'on ne peut s'empêcher d'entendre dans la magnifique poésie du texte de Mouawad et Cantat l'écho de ce que le chanteur a traversé.
Autant le dire d'emblée, je fais partie de ceux qui attendaient le retour de Cantat, de ceux pour qui le meurtre de Trintignant était aussi une tragédie frappant un ami (quand bien même, privilège des artistes, cet ami ne me connaît pas). Sans chercher à excuser si peu que ce soit ce meurtre, je me suis refusé à le juger (il y a des jurés et des tribunaux pour ça) et je me suis refusé à oublier que j'avais aimé ce qu'il faisait, ce qu'il chantait, ce qu'il disait. Je me disais que, lorsqu'un ami traverse une épreuve, quels que soient ses torts, on ne lui tourne pas le dos.
Je suis durablement stupéfait par ces gens qui défendent ordinairement le droit à la réinsertion pour les criminels et les délinquants et qui le refusent à Cantat. Comme si accepter que Cantat chante revenait à l'excuser. Comme s'il nous appartenait de lui pardonner ou pas. Comme si Cantat, criminel de droit commun ayant été jugé et condamné et ayant purgé sa peine, devait être interdit du droit commun qui précise notamment qu'on ne peut être jugé (ni, à plus forte raison, condamné) deux fois pour les mêmes faits.
Lorsque j'écoute Droit ans le soleil, j'entends la douleur d'un homme, une douleur dont je sais que je suis incapable de la partager, et j'entends un homme qui ne se cache pas et qui ne se donne pas d'excuses. Cantat ne pouvait l'ignorer, la moindre de ses réapparitions sera désormais scrutée à la loupe, et cette réapparition-là va bien entendu déchaîner les passions. J'avoue d'ailleurs que, regardant la vidéo, dont il faut souligner à quel point elle ne biaise pas, j'ai fait comme beaucoup (du moins je l'imagine) : j'ai observé le visage de Cantat avec une attention pas forcément exempte de voyeurisme et en me demandant à quoi il pensait en chantant ces mots-là. Mais, en tout état de cause, en écoutant cette chanson, en regardant cette vidéo, je me suis dit que ce qu'on peut percevoir de cet homme mérite qu'on ne lui retire pas l'amitié qu'on peut lui porter.