Le 9 mai 2016, la Fondation Concorde recevait François Fillon pour qu'il présente son programme. Peut-être plus que son programme lui-même, la méthode qu'a exposée Fillon à cette occasion était intéressante. Il théorisait devant cet aréopage de patrons bien en chair une véritable stratégie du choc, rien moins qu'un troisième tour social particulièrement brutal. Le verbatim de la réponse qu'il fait à Didier Maïsto, président de Sud Radio et Directeur général de Fiducial Média, est on ne peut plus franc... et instructif (sur la vidéo qui se trouve en pied-de-page, de la 15ème minute à la 20ème minute environ).
"Donc il faut être capable d'appuyer sur le bouton à partir du 1er juillet. Et moi ce que je veux, les deux ou trois ministres chargés des réformes, l'Economie et les Finances, le Travail pour l'essentiel, arrivent avec des textes prêts et, dans une forme de blietzkrieg, fassent passer devant le Parlement, en utilisant d'ailleurs tous les moyens que donne la Constitution de la Cinquième République (les ordonnances, les votes bloqués, le 49.3, tout ce qui est nécessaire), fassent passer en l'espace de deux mois, sans interruption estivale, les six ou sept réformes fondamentales qui vont changer le climat de l'économie et le climat du travail dans notre pays.
C'est évidemment pour moi l'abrogation des 35 heures et la suppression de la durée légale du travail, et le renvoi à la négociation dans les entreprises sans contrainte ; c'est le nouveau Code du travail ; c'est la réforme de la fiscalité du capital, fondamentale pour relancer l'activité économique dans notre pays ; c'est la réforme de l'assurance-chômage ; c'est la réforme de l'apprentissage, et c'est les premières mesures d'économie sur le budget de l'Etat et sur le fonctionnement de l'Etat.
Enfin, je veux prolonger (vous allez trouver que je contourne votre question sur les syndicats, mais je vais quand même y venir), je veux prolonger la tension politique qui caractérise l'élection présidentielle et l'élection législative, cette espèce de dynamique qui permet de faire des changements et qui a été gâchée lors des quinquennats précédents par, sans doute, le sentiment qu'on avait le temps et qu'on pouvait, une fois une campagne difficile conduite, partir en vacances, se reposer, avant d'attaquer au mois de septembre, en oubliant qu'au mois de septembre il n'y aurait plus la dynamique, il n'y aurait plus la tension. Donc, pour prolonger cette tension, moi je pense qu'il faut organiser un référendum en septembre, qui permet de maintenir l'état de tension électorale dans le pays et donc de rendre très, très difficile la contestation sociale pendant cette période, autour de deux ou trois idées fortes et qui, à mon sens, ne font pas courir trop de risques au président de la République élu et à sa majorité. Ce référendum pourrait tourner d'abord autour d'une question fondamentale : est-ce que vous êtes d'accord pour qu'on inscrive dans la Constitution le principe d'égalité des régimes sociaux entre le public et le privé ? Inscrit dans la Constitution de la République française, ça rendrait ensuite absolument obligatoire et nécessaire la convergence des régimes sociaux. Deuxième question : est-ce que vous d'accord pour fusionner les départements et les régions ? Troisième question : est-ce que vous petes d'accord pour supprimer un certain nombre de parlementaires, diminution du nombre de parlementaires ? Ça peut paraître un peu démagogique, ça peut paraître un peu comme la cerise sur le gâteau ou la crème chantilly pour être certain que mon référendum soit voté, mais je pense qu'en plus ça peut conduire à la modernisation du fonctionnement du Parlement.
Voilà, si on fait tout ça, on crée un choc qui, à mon sens, rend très, très difficile la réaction sociale que vous craignez. Alors après, est-ce qu'il faut modifier l'organisation du dialogue social et modifier le dialogue social en France et l'organisation syndicale, oui, bien sûr. Je l'ai dit tout à l'heure : le système craque. C'est vrai pour les partis politiques, c'est vrai pour les syndicats. J'ai déjà fait beaucoup de propositions. Je propose par exemple que tous les délégués syndicaux dans les entreprises soient obligés au moins de travailler 50% de leur temps, qu'il n'y ait plus de délégués syndicaux à temps complet. Je propose qu'on libère la candidature au premier tour des élections professionnelles. Je fais d'autres propositions dans ce sens. Mais il ne faut pas vous y tromper : ça prendra du temps, ça. Le clmat, il ne changera pas comme ça, d'un coup de baguette magique, et c'est la raison pour laquelle je crois qu'il faut qu'il y ait ce blitzkrieg, ce choc psychologique qu'au fond je suis le seul à proposer, qui peut inquiéter, qui peut faire peur, mais qui à mon avis est la clé d'un changement réussi dans notre pays."
Je le répète, on n'est jamais trop prudent : pas la peine de m'engueuler, ce n'est pas de moi, c'est du Fillon pur sucre. Nous ne pourrons pas dire que nous n'avons pas été prévenus. On ne peut que se rappeler les mots de Warren Buffet déclarant qu'il "y a une guerre des classes, c'est un fait, mais c'est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner", ça ne consolera pas beaucoup. Il est assez rare d'avoir un responsable politique qui expose aussi crûment son discours de la méthode pour que l'exercice mérite d'être salué. Mais saluer l'exercice n'interdit d'envisager la réponse que nous, opposants au projet de la droite, comptons lui apporter.
Il est bien entendu possible (voire, à en croire certain.e.s, probable) que le candidat de la France insoumise soit élu avec 95% des suffrages exprimés au premier tour de la présidentielle. La chose me paraît néanmoins encore un tout petit peu incertaine en l'état actuel des choses. Il est tout aussi possible que Fillon élu en mai se retrouve avec une majorité de député.e.s communistes, écologistes, insoumis.e.s, voire socialistes de gauche en juin. Néanmoins et là encore, quoique désirable, la perspective ne paraît pas complètement assurée.
Sans doute faut-il dès à présent passer les élections du printemps par pertes et profits et se préparer, dès maintenant, à la riposte sociale. Lorsque je dis passer les élections par pertes et profits, ça ne signifie pas que nous ne devions pas nous en mêler : ça signifie que nous devons intégrer la possibilité, voire la probabilité, que la gauche (pour ce que ça veut dire...) en sorte laminée (et on peut même penser que, dans toutes ses composantes, elle ne l'aura pas volée, Mélenchon compris). Et ça signifie surtout que, d'ores et déjà, nous devons préparer, chacun à sa place, chacun selon ses moyens, les outils du mouvement social.
Ce qui, dans un premier temps, passe par la diffusion massive de ce discours de la méthode de Fillon : ça ne suffira certes pas, mais c'est sans doute indispensable.