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Billet de blog 6 juin 2022

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L’Artisanat contre « l’artistique » mais sans « artisticité ».

Artisanat, artistique, artisticité. Notions clés du débat sur l'art contemporain relancé par le procès que Daniel Druet a intenté à Maurizio Cattelan.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Est-ce la première tentative de « cancel plastic » au nom de l’exploitation éhontée du savoir-faire d’un sculpteur par un artiste qui ne fait rien de ses mains ? On nous répond que Michel Ange avait des aides, que Moholy Nagy téléphonait à ses techniciens. Que Brancusi vit une de ses œuvres refoulée à la douane parce que non identifiée comme une œuvre. Les sophismes s’accumulent.

Evidemment à une époque où l’on ne fait pas la différence entre un Giacometti et un Chirico, un Picasso et un Dali, un Matisse et un Magritte, c’est-à-dire entre des créateurs de formes et des créateurs d’images, il ne faut plus s’en étonner. On ne sait plus ce qu’est une forme. Moholy Nagy, un des maîtres du constructivisme russe avait quelque chose à dire dans le domaine de la plastique. Maurizio Cattelan innove dans les dispositifs provocateurs, s’il en est, avec des formes toutes faites c’est le cas de le dire. Son propos dadaïste, comme celui du surréaliste Magritte n’est pas d’explorer l’artisticité de la peinture, la recherche centrée sur la spécificité du matériau artistique , l’artisticité est une notion mise en lumière par Adorno. Le philosophe allemand s’inquiétait et dénonçait un art du désart (mot de Lacoue Labarthe pour traduire Entkunstung) dans sa célèbre Esthétique. Ce désart ne faisait qu’émerger encore en son temps. Mais le désart peut se nommer « l’artistique » désormais, notion en vogue dans l’enseignement des arts plastiques depuis la réforme des écoles d’art voilà des décennies et entièrement fondée sur la rupture duchampienne. « L’artistique », c’est la poésie de la vie, c’est la vie comme art, c’est l’objectivation du poème en readymade amélioré, c’est l’objet poétique ambigü (cf l’arbre de Noël de MacCarthy ou le Vagin de la reine de Kapoor). C’est même « l’Idée. »

Mais on assiste désormais à une véritable clarification avec la Tribune du Monde.

« La quête de reconnaissance de Daniel Druet comme auteur exclusif des œuvres imaginées par Maurizio Cattelan ouvre la porte à la disqualification de l’art conceptuel.

Des milliers d’artistes à travers le monde font appel à des sous-traitants ou des producteurs afin qu’ils matérialisent leurs concepts, ce n’est pas nouveau. Ces producteurs, sous-traitants, artisans interviennent dans le cadre de missions définies initialement, et nous soulignons leur importance qu’il convient ici de pas minimiser. »

L’art contemporain relève bien de l’art conceptuel, et si nous mettons de côté la peinture alibi qui l’accompagne souvent, elle-même conceptuelle ou post-duchampienne, nous assistons à une clarification tout à fait remarquable qui distingue et oppose la peinture-peinture et l’art conceptuel, comme le faisait Duchamp avec le cubisme, toujours plastique selon lui et « le surréalisme, un mouvement qui englobe toute sorte d’activités qui n’ont pas grand-chose à voir avec la peinture ».

Le néo-dadaïsme qu’il désavouait aussi, ne fait à ses yeux que reprendre à peu de frais les inventions du dadaïsme. Un dadaïsme qui lui apparaissait, malgré la tendresse qu’il ressentait encore à son égard, « comme une sorte de nihilisme d’essence littéraire ». Tout est dit.

Même si les tentatives de brouillage des frontières et les fausses affiliations ne cessent de se perpétrer dans les institutions du dadaïsme officiel.

Les tenants de l’art d’attitude comme forme, selon la célèbre exposition de Szeemann, ne font que défendre le point de vue de « l’artistique », en oubliant la question de la forme plastique produite par la peinture pure ou la sculpture véritable.

En effet les assistants de Michel Ange à la Sixtine étaient avant tout des praticiens sculpteurs ou peintres qui aidaient un autre praticien mais aussi un créateur de forme. Brancusi inventait une forme lisse réduisant la figure à sa surface et à ses volumes pleins. Le créateur de forme Michel Ange renouvelait le registre hellénistique des corps massifs en mouvement, modelant de son ciseau la forme humaine par les plans qui fusionnent et s’étirent, les masses corporelles ondulentes. Que fait Cattelan de ce point de vue plastique ? Rien. On a donc raison de lui intenter un procès sur ce chapitre, même indirectement.

Premier exemple semble-t-il de Cancel Plastic. Certains ne s’y trompent pas qui craignent déjà, en cas de victoire du praticien Daniel Druet, tout simplement la fin de l’art contemporain en France. Que les Dieux les entendent. Mais, dernier sophisme du matériau souvent utilisé : les aides marbriers de Rodin montrent une forme qui aurait été modelée à l’origine par le maître. Cattelan ne fait rien. Christian Boltanski non plus qui commande ses néons. Alors il s'agirait de mise en scène, la mise en scène d'une idée, mais là nous parlerions de théâtre. Un art d’idée ne fait pas un art plastique digne de ce nom. La confusion entretenue entre l’art des formes modernes et le néo-dadaïsme hégémonique d’aujourd’hui, vise à maintenir une filiation que le dernier Duchamp n’a cessé de dénoncer lui qui avait ouvert la boîte de Pandore, en maintenant toutefois la distinction entre « le cubisme, un mouvement de peinture... exclusivement. C'était plastique en tout cas. Toujours », et le surréalisme : «  Tandis que le surréalisme est  un mouvement qui englobe toute sorte d’activités n’ayant pas grand chose à voir avec la peinture, ou les arts plastiques ». (Entretien Georges Charbonnier). Duchamp savait ce qu’il faisait, il parle d’or. Il a joué délibérément la littérature contre la peinture. Mais ce faisant il renouait avec une tendance séculaire de la peinture littéraire, sous forme d’objet poétique, d’objet ironique, celle-là même que dénonçait Cézanne intimant à Emile Bernard de ne pas tomber dans la littérature ou la philosophie – en peinture.

Nous retiendrons le vrai paradigme en art, il est oppositionnel : Plastique pure / art conceptuel. En ce sens, l'art conceptuel ou l'art contemporain a toujours existé, il est l'esthétisation de toutes les manières de ne pas comprendre la peinture dans son artisticité, et de lui appliquer ainsi des modes d'appréciation extérieurs souvent issus des autres arts. 

Si ce procès pouvait permettre d’aborder l’explicitation des problèmes esthétiques les plus intriqués et noués qui soient, à l’origine de toutes les confusions et de toutes les affiliations indues avec l’histoire de l’art. En attendant les Plastical Studies.

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