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"Dans le domaine de l’art, il semble que la ‘’socio-manie’’ a produit un effet un peu pervers : elle a réduit l’art à un affairement culturel autour de lui-même, aux dépens de la valorisation de ses contenus. Et en astreignant les artistes à n’être souvent que les installateurs d’événements passagers, souvent subventionnés, elle a réduit leur rôle à celui d’animateurs culturels ‘’contemporains’’, témoins nécessaires et suffisants de leur environnement social. Je me demande s’il n’y a pas là la persistance à exister d’une vieille théorie du reflet, maintenue sous perfusion par le passage d’un réalisme socialiste à un réalisme socio-maniaque endiablé par la marchandise. Et affirmer que les artistes expriment nécessairement le collectif, expriment la société, la font ressentir, n’est peut-être qu’une façon de se soumettre à cette théorie.
Je crois par ailleurs que l’œuvre d’art pense, comme l’individu à qui elle est destinée, et qu’elle s’inscrit dans l’Histoire, alors que l’art dit ‘’contemporain’’, dont certaines réussites sont indubitables, s’inscrit (comme la société) dans le temps irréversible. Mais au fond peu importe de savoir si l’artiste s’inscrit ou non dans telle ou telle phase de l’art dit contemporain. Ce qui compte, c’est que, réfractaire à toute demande collective, la personnalité de l’artiste affirme son désir et sa vision personnelle du monde. Et cette vision ne sera pas tout à fait imprévue si l’on connaît bien l’histoire de l’art considéré.
Malheureusement, la ‘’socio-manie’’ a causé une violente évacuation de l’Histoire de la Culture. Cette évacuation a brusquement placé le passé en état de disponibilité non-critique et se prolonge jusque dans les processus de création artistique en générant des peintres incapables de dessiner, des écrivains qui ne lisent jamais… Ce phénomène a aussi des conséquences sur la façon dont l’œuvre est perçue : elle finie par être vue sans être vraiment regardée, entendue sans être écoutée, effleurée sans être touchée. Et au bout du compte, on suspecte que la disponibilité non-critique du passé contribue surtout à substituer le marché à tous les autres critères. Créateur ou spectateur, on se demande avant tout : "Qu’est-ce qui est prévu par le marché ? Qu’est-ce qui est produit préalablement par le marché? Qu’est-ce qui s’impose dans le marché même ?"."
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"Elle vient seule, tous les quinze jours à Venise, où elle a gardé l'ancien et bel appartement de ses parents, derrière la Salute, à droite, dans un recoin isolé sur l'eau échappant au cancer de la Dogana transformé en musée des horreurs de l'art contemporain."
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"Déclaration liminaire : je ne vais pas faire comme si je ne pratiquais pas un art. Je pratique un art, qui est l'art du roman, et tout ce que je vais dire [sur les arts plastiques] aura pour horizon cette pratique. "
C'est aussi sa limite, puisque l'art contemporain provient essentiellement du mode d'appréciation littéraire de l'art, et son objectivation esthétisée, poétique et narrative. Sollers a eu d'autant plus de mérite dans ses prises de position sur l'art.
Ce portrait de Derrida en souvenir aussi de l'époque de Tel Quel où Derrida et Sollers étaient amis.