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Billet de blog 30 mars 2024

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Les Portraits de Jacques Derrida 2

Jacques Derrida est mort il y a vingt ans. A cette occasion nous montrons des portraits du philosophe qui l'ont accompagné et publions aussi une histoire de ces portraits parue initialement dans la revue Philosophie, Philosophie de Paris VIII en 2007.

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Illustration 1
Portrait de Jacques Derrida 1997 © Thierry Briault et Monique Stobienia

A ma chère imago : « transfiguration »

Histoire d’un portrait

Par Thierry Briault

 Qu’il me soit permis, ici, d’évoquer les souvenirs d’un travail artistique qui est également à l’origine de notre présence dans Kadmos1.

Alors en DEA depuis 1992 avec Jacques, je lui remis une cassette vidéo sur ma peinture, ceci se passa en 1993. La même année, je découvris dans la revue Passages consacrée au nouveau livre de Jacques, Spectres de Marx, des photographies du philosophe qui n’étaient pas sans rappeler mon propos pictural: des « abstractions » devant les figures.

Inspiré par ces premiers documents, j’avais terminé mon DEA2 avec Jacques lorsque je lui offris le premier portrait, en juin 1995, réalisé avec Monique depuis 1993. Il a encouragé les peintres en leur donnant une très riche documentation photographique, qu’il nous a laissée prélever dans son fameux grenier bibliothèque, son « sublime » comme il l’appelle, photographies qui ont inspiré une première série de portraits. La peinture des artistes n’étant pas celle des institutions artistiques habituelles, Jacques nous proposa d’exposer cette première série à l’occasion d’une soirée déjà prévue au théâtre de l’Odéon avec Jacob Rogozinski, en février 1996. Suite à cette exposition très éphémère dans la salle du théâtre3, nous avons participé à la Décade de Cerisy de 1997 au cours de laquelle fut présentée une série plus complète accompagnée d’une conférence en présence de Jacques4. Une exposition inaugurée par lui à l’Université de Nanterre Paris X en 1998 montra de nouveaux développements avec notamment des sculptures et un début de travaux numériques. Durant la même période nous prîmes des vues photographiques dans la maison du philosophe à Ris-Orangis. Il y eut la publication des actes de Cerisy en 1999 et la soutenance de thèse en 2000, avec Jacques dans le jury, thèse publiée en 2004, puis le travail sur l’édition française de Marx & Sons en 20025, enfin nous avons participé à la décade de 2002, lors d’une soirée, avec des peintures numériques sur le thème des enfants, une décade de Cerisy durant laquelle des photographies numériques des participants de Cerisy furent aussi réalisées, et retouchées artistiquement sur place. Une toile figure au château de Cerisy depuis 2000. A la librairie des Presses Universitaires de France, (aujourd’hui Place de la Sorbonne)*, j’avais organisé une soirée-débat en 2001, avec Jacques et Etienne Balibar sur le thème « Philosophie et mondialisation », débat au cours duquel il me fut possible d’insister sur la question de l’art. Alors que la maladie de Jacques s’était déjà déclarée, nous fîmes une présentation de ses livres dans la même librairie, accompagnée de portraits qui restèrent en place de novembre 2003 à février 2004, et qu’il a appréciée.

Enfin, en janvier 2004, dernière preuve de générosité et de fidélité de sa part, il nous donna son autorisation, à Angelos Triantafylou et à moi, en connaissant le projet des portraits pour la revue Kadmos, de republier le texte paru dans Digraphe, « L’avantgardequoi ? L’avantgardequi ?», et que nous présentons ici.

Penché à mon tour sur le cercueil de Jacques, lors de son inhumation, je ne pus m’empêcher de me dire en mon for intérieur :  « A ma chère imago ». C’est ce que je me suis dit au-dessus de son mundus, cette fosse circulaire qui, chez les romains, servait de fondation à la ville ou au temple et où l’on jetait un peu de la terre des ancêtres et les restes de quelques animaux du sacrifice.

Donnons-lui la parole sur ces imagines, qui sont pour nous des portraits de l’amitié :

« En général, je dois le dire aussi, certains d’entre vous parmi mes amis, mes proches qui sont ici le savent bien, j’ai un très mauvais rapport à mon image. Je ne supporte pas mon image. Je ne supporte pas les photographies, je ne supporte pas la télévision, mais l’horreur que m’inspire mon image surtout dans une image parlante quand il m’arrive parce que ça m’arrive au hasard, comme ça, de me laisser filmer en train de faire une conférence et qu’on le passe en vidéo, c’est la torture absolue. […] Eh bien la chance que j’ai avec ces 14 ou 18, on ne le saura jamais, ces 16 portraits, c’est que ça me libère de cette gêne, de ce gène, de ces gênes, et donc je le dis en toute simplicité narcissique, je n’éprouve aucune gêne devant ces tableaux. Donc vous m’avez transfiguré.»6

1 Kadmos Paris, revue de poésie internationale à paraître.

2 Avec l’unique mention existante de l’EHESS, la « distinction ».

3 Une transcription des débats organisés par Jacob Rogozinski, l’une des soirées de ses « lundis de l’Odéon », fut réalisée, avec des illustrations d’après les portraits, pour la revue Philosophie, philosophie de l’université Paris VIII, numéro hors série, 1997.

4 Conférence publiée dans les actes L’animal autobiographique, Galilée, 1999.

5 Jacques Derrida, Marx & Sons, introduction et notes par Thierry Briault, Puf/Galilée, 2002.

Les philosophies du sens commun -Pragmatique et déconstruction, L’Harmattan, 2004.

6*[Mais disparue depuis le début de l’année 2006].

? Revue Philosophie, philosophie, op. cit. , p.11.

Illustration 2
Portrait de Jacques Derrida 1997 © Thierry Briault et Monique Stobienia
Illustration 3
Portrait de Jacques Derrida 1995 par Thierry Briault et Monique Stobienia
Illustration 4
Portrait de Jacques Derrida 1997 © Thierry Briault et Monique Stobienia
Illustration 5
Portrait de Jacques Derrida 1997 © Thierry Briault et Monique Stobienia

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