Dimanche matin, je décide d’emmener mon fils Jonas, 12 ans, à l’exposition « Poison ». Consultant la page web du Palais de la Découverte pour réserver, je tombe, abasourdi, sur l’annonce suivante : « Horaires d’ouverture au public modifiés les 7, 8 et 9 décembre. À la demande du ministère de la culture, les conditions d'accès sont modifiées comme suit. Vendredi 7 décembre : l’exposition Poison sera fermée au public à partir de 14h ; l’exposition Illusions, les expositions permanentes, le planétarium et les exposés demeureront normalement accessibles, jusqu’à 18h. Samedi 8 décembre : le Palais de la découverte sera fermé au public toute la journée. Dimanche 9 décembre : le Palais fonctionnera aux conditions et horaires habituels (10h – 19h), à l’exception de l’exposition Poison, qui sera fermée au public ».
Le programme de l’exposition était pourtant alléchant : « à travers 25 magnifiques terrariums et paludariums, les visiteurs observeront - en toute sécurité - des espèces vivantes de reptiles, d’amphibiens et d’arthropodes venimeux et vénéneux. Parmi les espèces, vous pourrez voir des serpents comme le crotale diamantin de l’ouest, le cobra du cap, la vipère du Gabon, la vipère heurtante, la vipère cornue, Philodryas baroni, le mocassin à tête cuivrée... » (ici).
Il était déjà loufoque que nos dirigeants s’imaginent les gilets jaunes comme des hordes suffisamment barbares pour envahir et piller les musées parisiens. Aberrant que Macron, Castaner et leurs amis ne comprennent pas la différence que font les citoyens en colère entre une agence BNP-Paribas ou une boutique Hermès et le Louvre. Mais comment qualifier ce fantasme à propos de fous furieux qui arriveraient la veille des manifestations ou resteraient jusqu’au lendemain, pour envahir le Palais de la Découverte, briser les vitrines et s’emparer du venin des vipères cornues, sans doute pour attaquer les CRS qui protègent l’Élysée … ? On aimerait vraiment connaître le nom du haut fonctionnaire (du ministère de la culture?) qui a apporté cette touche de grotesque à la pathétique trouille de nos dirigeants.
Ce mépris des dominants envers « ceux qui ne sont rien » n’est évidemment pas pour rien dans le déclenchement de l’actuel mouvement. Un autre événement récent – et moins anecdotique – l’a bien montré : non seulement la police se croit permis de mettre à genoux des dizaines de lycéens à Mantes-la-Jolie, mais ministres et éditorialistes se relaient (ici) pour estimer que c’était la meilleure chose à faire avec ces sauvageons de banlieue. Que dans de nombreuses villes ce samedi, des gilets jaunes aient convergé avec les marches pour le climat; qu’ils se soient à leur tour mis à genoux devant les CRS, les mains sur la tête, en solidarité avec les lycéens (ici,), voilà qui montre que ceux d’en bas, eux, aspirent à vivre ensemble dans un monde vivable. Au contraire des puissants, pour qui il est « devenu inutile de faire comme si l’histoire allait continuer de mener vers un horizon commun où tous les hommes pourraient également prospérer »1.
Leur trouille fait quand même plaisir à voir. Finalement nous sommes allés voir l’expo « Néandertal » au musée de l’Homme. Et pour ma part, je me suis senti plus de commune humanité avec les Néandertal qu'avec les puissants d'aujourd'hui.
1 Bruno Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, Paris, La Découverte, 2017, p. 10.