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Billet de blog 11 octobre 2020

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Statistiques de l’épidémie: énigmes et perplexités

Tous les jours ou presque, les médias claironnent un nouveau record de cas Covid 19 détectés et s’alarment de l’embolie imminente des services hospitaliers. Le dernier Bulletin hebdomadaire de Santé Publique France envoie un message alarmiste. Mais les chiffres officiels sur la dynamique de l’épidémie sont-ils vraiment si inquiétants ?

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Commentaire ajouté le 28/10: manifestement, les « indicateurs avancés » de SPF ne sont pas aussi pertinents que je l’avais cru…  SOS médecins, le réseau Sentinelles ou les admissions aux urgences peuvent afficher pendant 3 semaines une activité en baisse au moment où l’épidémie explose: comment le comprendre ? Cela signifie-t-il que ces indicateurs sont mal construits et ne reflètent pas l’activité réelle de SOS, des généralistes ni des urgences ? Quoi qu’il en soit, nous n'avons pas d'indicateurs avancés fiables; c’est terrible de naviguer à l’aveuglette de cette façon.

L’indicateur central sur lequel se fonde la communication officielle depuis la rentrée, c’est le « nombre de personnes positives pour le SARS-CoV-2 » publié chaque jour par Santé Publique France. Il s’agit donc de personnes soumises à un test virologique (RT-PCR) et ayant obtenu un résultat positif, attestant de la présence active du virus dans leur organisme. De fait, selon le bulletin hebdomadaire de Santé Publique France en date du 8 octobren cet indicateur (rapporté à la population française pour donner un « taux d’incidence pour 100 000 habitants, cf. graphique 1) a connu une croissance très forte depuis le début août (semaine 31).

Illustration 1
Graphique 1 : taux de dépistage et taux d’incidence depuis la fin mai (semaine 23) © Santé Publique France, 8/10/2020

  Mais que signifie véritablement ce chiffre ? Il ne décrit pas du tout, contrairement au commentaire de Santé Publique France (SPF), la circulation du virus dans la population, mais le nombre de cas détectés par test virologique. Or ce chiffre dépend évidemment en premier lieu du nombre de tests pratiqués. Les deux courbes s’envolent en même temps à partir de la fin août, avec l’essor inconsidéré (car dépassant largement les capacités des laboratoires d’analyse) du dépistage. Il n’est donc pas du tout évident que ces courbes traduisent une augmentation de la circulation du virus.

Plus étrange encore, la chute brutale du nombre de tests à partir de la semaine 38 (20 septembre) ne fait l’objet d’aucune explication par SPF. Le nombre de cas détectés, lui, continue à augmenter mais beaucoup moins vite (graphique 1). Moins de tests mais un peu plus de cas détectés, cela se traduit par la hausse du « taux de positivité » (de 13 à 16%).

Une explication simple vient à l’esprit : les personnes qui se faisaient tester par curiosité, sans avoir eu de contact ni présenter de symptômes, et encombraient pour rien les files d’attente des laboratoires, auraient renoncé à faire la queue pour attendre 5 jours un résultat négatif.

Cette hypothèse semble toutefois démentie par un autre constat de SPF : la chute du nombre de tests concerne encore plus les personnes symptomatiques que les autres. Autrement dit, il y a aujourd’hui une proportion plus forte de personnes sans symptômes dans les files d’attente des labos qu’il y a un mois.

Comment donc expliquer ces phénomènes étranges qui affectent le principal indicateur de la politique sanitaire ? Santé Publique France ne propose guère de commentaires, nous laissant dans la perplexité.

Cette perplexité augmente lorsqu’on regarde un autre indicateur, a priori beaucoup plus fiable pour retracer la dynamique de l’épidémie : le taux d’incidence du Covid 19 observé par les médecins généralistes (graphique 2). Ce chiffre provient du Réseau Sentinelles des infections respiratoires aiguës (IRA), composé de 1500 médecins de ville répartis sur tout le territoire métropolitain. Il concerne donc les personnes, très probablement symptomatiques, qui se présentent chez un généraliste et pour lesquelles celui-ci signale un diagnostic de Covid 19. Il n’inclut pas les cas qui se présentent directement aux urgences ou résidant en EHPAD, mais son évolution est sans doute plus fiable que celle de l’ensemble des cas dépistés par test, qui dépend crucialement du nombre de tests pratiqués. L’avantage est aussi que cette courbe commence au début du confinement (semaine 22) alors que celle des dépistages ne débute que fin mai.

Illustration 2
Graphique 2 : taux d’incidence du Covid 19 chez les médecins généralistes depuis la mi-mars © Santé Publique France, 8/10/2020

  La « deuxième vague » prend alors une allure beaucoup plus modeste (graphique 2) : une nette remontée à partir de début septembre (semaine 36), suivie d’une stabilisation dès la mi-septembre, à un niveau très inférieur au pic de mars.

Ce profil est conforté par la courbe des interventions de SOS Médecins, tout à fait similaire (graphique 3) : si « deuxième vague » il y a, elle semble limitée et au moins provisoirement endiguée.

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Graphique 3 : interventions « Covid 19 » de SOS Médecins © Santé Publique France, 8/10/2020

  Peut-être les personnes atteintes du Covid lors de cette 2è vague vont-elles directement aux urgences, sans passer par leur généraliste ni SOS Médecins ? Manifestement non : la courbe des admissions aux urgences pour suspicion de Covid 19 est pratiquement identique aux 2 précédentes (graphique 4) : un rebond début septembre, qui semble retomber maintenant.

Illustration 4
Graphique 4 : Nombre de passages Covid 19 aux urgences © Santé Publique France, 8/10/2020

  Ces données pourtant officielles sont quasiment passées sous silence, par SPF dans sa synthèse et par la communication gouvernementale. Outre le nombre de cas détectés, dont on a vu la fragilité comme indicateur de tendance, c’est sur le nombre d’hospitalisations (graphique 5) et d’admissions aux urgences (graphique 6) que s’appuie l’alarmisme des pouvoirs publics.

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Graphique 5: nombre d'hospitalisations pour Covid19 © Santé Publique France, 8/10/2020
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Graphique 6 : nombre d’admissions en réanimation pour Covid 19 © Santé Publique France, 8/10/2020

Il est vrai que ces chiffres augmentent depuis début septembre, mais à un rythme et sur une tendance très inférieurs aux mois de mars-avril. En outre, les hospitalisations et a fortiori les entrées en réanimation s’opèrent avec un délai de une à quelques semaines par rapport à l’apparition des symptômes : on peut donc s’attendre à leur décrue dans les semaines qui viennent, si la tendance aussi fortement indiquée par les données précédentes (généralistes, SOS Médecins, urgences hospitalières) n’est pas une pause éphémère - hypothèse certes impossible à écarter mais qui demanderait au moins à être émise pour qu'on puisse la discuter...

Il ne s’agit pas ici de dire que l’épidémie est finie ou que les mesures prises – fermetures des bars, port du masque obligatoire, etc – sont exagérées. La généralisation du port du masque a sans doute joué un rôle important dans le ralentissement actuellement observé de la dynamique épidémique et la moindre gravité des cas. Mais pourquoi passer sous silence cette inversion de tendance indiscutable d’après les chiffres officiels eux-mêmes ?

 S’agit-il d’une stratégie visant à effrayer la population pour l’habituer à des mesures liberticides, comme l’affirment certains 1 ? Je pense plutôt que nous avons affaire à une stratégie d’infantilisation, destinée à faire peur pour que les gens respectent les gestes barrières. Nos gouvernants craignent-ils un relâchement général si le danger s’amoindrit à court terme ? Croient-ils préférables de déformer la réalité, au risque de renforcer les complotismes les plus irrationnels quand cette réalité ne pourra plus être niée ? Une chose est certaine : alors même que son Conseil scientifique lui a rappelé par deux fois la nécessité d’associer les corps intermédiaires et la population aux décisions, ce gouvernement nous prend pour des enfants et persiste dans une gestion brutale et autoritaire de l’épidémie.

1 Nous ne voulons plus être gouvernés par la peur, Le Parisien, 10/09/2020. Cette tribune, qui dit des choses justes, est affaiblie par sa dénégation de l’efficacité du confinement (malheureusement nécessaire en mars, en l’absence de tout autre moyen disponible vu l’incurie des pouvoirs publics) et par les discours très contestables, voire franchement absurdes, tenus par plusieurs de ses signataires.

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