Michel Husson nous a prématurément quitté cet été. Norbert Holcblat, Jean-Marie Harribey, Dany Lang et Stéphanie Treillet, Cédric Durand ont souligné son apport essentiel (ici, là, là et là), et il vaut aussi la peine de relire l'autobiographie succincte et ironique que Michel avait publié sur son site. J'ai quant à moi rédigé un billet retraçant notre expérience commune. Ci-dessous les quelques mots que j'ai prononcé hier lors de cet hommage amical.
Même pour celles et ceux qui le voyaient peu ou pas – quant à moi cela faisait un moment qu’on ne s’était vus -, Michel était présent dans nos vies par le flux régulier de sa production écrite, toujours pertinente et souvent réjouissante. Par la précision de son jugement, il servait à beaucoup de boussole dans le débat économique et politique. Comme me l’ont écrit Florence Jany-Catrice et Laurent Cordonnier, nos excellents collègues lillois, « il n'était pas rare que sur tel ou tel sujet, nous nous demandions ce que Michel Husson en pensait ». Je veux citer les mots de Jean-Claude Branchereau, syndicaliste émérite du secteur bancaire: il ne connaissait pas personnellement Michel mais celui-ci, je cite, « fut, sans le savoir, d'un grand apport pour le syndicaliste que j'étais, qui avait fait peu d'études avant de rentrer à 18 ans dans une banque, sans même avoir le bac. Face à des patrons banquiers assez redoutables, je me sentais intelligent quand je devais croiser le fer avec ces derniers ou discuter dans un cabinet ministériel ou à la direction du Trésor ». Rendre les autres plus intelligent.es, c'est tout Michel Husson.
Michel se disait pessimiste, pour des raisons que nous pouvons partager. C’est lui qui m’a initié à Houellebecq : lors d’une Université d’été de la LCR, en 1994, il m’avait prêté « Extension du domaine de la lutte », où l'écrivain décrit comment le néolibéralisme, ce « pur capitalisme » (selon le terme forgé par Michel), envahit toutes les sphères de notre vie. Depuis, en fait fasciné par le néolibéralisme, Houellebecq a accompagné sa triste dérive vers l’islamophobie et la droite dure.
Pourtant la qualité et la quantité de la production intellectuelle de Michel montrent qu’il savait pouvoir être utile. L’optimisme de la volonté contre le pessimisme de l’intelligence, peut-être ; la vie qui résiste et ne se résigne pas, sans doute. On le voit bien aujourd’hui, quand face aux Trump et Zemmour qui pullulent partout, se lèvent également partout de nouvelles générations féministes, écologistes et antiracistes.
Sur son site, Michel a mis en exergue une citation d’Isaac Deutscher, le biographe de Trotsky, qui disait en 1950, à l’apogée du stalinisme : « observer avec détachement et vigilance ce monde en plein chaos, être à l'affût de ce qui va en sortir, l'interpréter sans colère ni complaisance, tel est désormais le seul service honorable que l'intellectuel puisse rendre à une génération où l'observation scrupuleuse et l'interprétation honnête sont devenues si tristement rares ». Voilà qui colle pas mal à notre époque, en effet.
Michel était un « homme du possible », au sens de Robert Musil (dans « l’Homme sans qualités »): « quand on lui dit d'une chose qu'elle est comme elle est, il pense qu’elle pourrait aussi bien être autre ». Il a bataillé contre des « hommes du réel », ces économistes de cour dédiés à la justification du monde tel qu’il va. « Lèche-bottes blues », a chanté Eddy Mitchell (notre seule grave divergence tenait à son incompréhensible passion pour ce chanteur).
L’homme du possible, lui, ne valorise pas plus ce qui est que ce qui n’est pas (ou pas encore). Ce n’est pas non plus un songe-creux. Il sait qu’être révolutionnaire, et cette citation de Michel résume bien son éthique de vie, être révolutionnaire est un « pari pascalien : même si on ne débouche pas sur la révolution, on n'aura pas perdu son temps, puisqu’on aura contribué à résister et, peut-être, à créer les conditions de réformes authentiques » (l’Huma, 2001). Voilà une boussole qui continue à mon avis à montrer la bonne direction.