VélôToulouse : Une modernisation au service du technocapitalisme
Depuis le 30 août 2024, les vélos en libre-service “vélôtoulouse” ont connu un changement. Entre le 28 et le 30 août, les habitants de la métropole de Toulouse ont vu leurs environnement être renouvelés de nouvelles stations et de nouveaux vélos. La particularité de ce renouvellement est celle de l’implantation, dans la nouvelle flotte de vélos, de 50% de vélos à assistance électrique (VAE). Cette innovation, si elle peut paraître saine et bien venue, nous semble pourtant être la cible de critiques légitimes. Les critiques que nous faisons ne sont pas la démocratisation du vélo dans une métropole mais bien celle interne à cette pratique.
Jean Luc Moudenc et son équipe lors de l'inauguration de la passerelle de l'île du Ramier
Le cœur du problème initial est de questionner l’utilité d’intégrer des vélos électriques dans une ville presque sans relief comme Toulouse. Ce problème semble trouver une origine première dans le contexte de la gestion de ces appareils. Si les vélos orange et rose sont utilisés comme un parangon de l’efficacité du maire Jean Luc Moudenc dans le domaine de l’écologie; ils sont fruit d’un long partenariat avec l’Entreprise JCDecaux. On peut lire avec fierté ce partenariat sur le site du publiciste : “En collaboration avec Tisséo Collectivités et Toulouse Métropole, JCDecaux” ou encore “Ce déploiement signe une nouvelle étape dans la collaboration entre le territoire toulousain et JCDecaux, débutée il y a 17 ans”. Ce n’est donc pas une nouvelle histoire qui s’écrit mais bien celle d’une union entre la métropole et une entreprise privée qui continue de s’épanouir. En effet, les vélôtoulouse apparaissent dans la ville en 2007, sous le premier mandat du maire actuel, une année seulement avant les élections. Ces vélos sont décrits de la sorte par la dépêche en 2007 : “cadre gris métallisé, garde-boue rouge vif, guidon caréné de noir, selle réglable en hauteur, panier métallique à l'avant avec antivol intégré… Sous leur air cool ces montures sont bourrées d'informatique, on peut quasiment les suivre à la trace”. Derrière la description digne du salon de l’auto, on comprend déjà qu’à l’époque ce ne sont pas seulement des vélos mais des appareils qui sont inclus directement dans le système urbain : stylisé et traqué. Le fruit de ce partenariat en 2007 est donc l'adaptation du vélo, qui est un outil apparemment écologiste et salutaire pour favoriser une production industrielle et l’innovation technique.
Comment ce processus de dénaturation du vélo, démarré en 2007, qui était déjà critiquable car elle n’était qu’un cache misère écologique utilisé à des fins “cools” et “modernes”, se renouvelle en 2024 ?
Pour répondre à cette question, dans un premier temps, nous ferons la critique matérielle du vélo électrique. Dans un second temps, nous montrerons les limites des nouveaux Vélôtoulouse. Dans un dernier temps, nous étudierons quelles alternatives auraient pu être mises en place et quelles questions cela soulève.
- Critique matérielle du vélo électrique
Le vélo à assistance électrique (VAE) est souvent présenté comme une solution écologique et innovante pour les déplacements individuels. S'il contribue effectivement à réduire l'usage de la voiture sur de courtes distances, il mérite un examen critique sous une perspective matérialiste. Cette analyse met en lumière ses contradictions internes : un coût écologique sous-estimé, une logique technologique qui perpétue la recherche de la vitesse à tout prix, et son inscription dans un système capitaliste qui traite les symptômes plutôt que les causes des crises environnementales.
L’un des principaux arguments en faveur du VAE est son faible impact écologique par rapport à la voiture. Cependant, la fabrication de sa batterie, souvent au lithium-ion, représente une empreinte environnementale importante. Le lithium, le cobalt et le nickel nécessaires à ces batteries sont extraits dans des conditions extrêmement polluantes et énergivores. L'extraction de ces minerais entraîne des dégradations environnementales, notamment la destruction d'écosystèmes, une forte consommation d'eau dans des régions souvent arides, et des émissions considérables de CO2 liées à leur transport et leur traitement. En fin de vie, ces batteries posent également un problème de recyclage. Actuellement, seule une fraction des batteries est correctement recyclée, faute d’infrastructures adaptées et de procédés efficaces. Le risque est de voir se multiplier des déchets hautement toxiques, aggravant les problèmes environnementaux à long terme. Il faut aussi rajouter le coût humain désastreux de ces extractions, dans un système extractiviste néocolonial.
Le VAE consomme de l’électricité, certes en petite quantité (13 g de CO2e par kilomètre contre 8 g pour un vélo classique), mais cette consommation n’est pas neutre. À l’échelle mondiale, environ 34 % de l’électricité est produite à partir du charbon, une source énergétique particulièrement polluante. Dans les pays où les énergies renouvelables sont peu développées, l’usage massif des VAE pourrait même aggraver la dépendance aux énergies fossiles. En comparaison, le vélo mécanique repose sur une énergie entièrement humaine, renouvelable et sans émissions directes de CO2. Le VAE, sous couvert d’efficacité énergétique, alourdit donc le bilan carbone du vélo, en introduisant une technologie supplémentaire qui n’est pas indispensable à son fonctionnement de base.
Le philosophe Ivan Illich a introduit le concept de "vitesse généralisée", qui prend en compte non seulement la vitesse de déplacement d’un véhicule, mais aussi le temps nécessaire pour produire les moyens de son usage : achat, entretien, infrastructures. Selon Illich, une vitesse supérieure à 15 km/h devient contre-productive, car le temps de travail pour financer un véhicule rapide dépasse le gain de temps qu’il procure. Le VAE, bien qu'il permette de rouler à 25 km/h sans effort important, s’inscrit pleinement dans cette dynamique d'accélération, qui impose des coûts écologiques et sociaux disproportionnés. Dans une perspective décroissante, il serait souhaitable de ralentir, d’aller moins loin et de réinvestir le local. Le VAE, en cherchant à prolonger le mythe de la vitesse comme synonyme de progrès, détourne le vélo de son essence première : un moyen de transport simple, accessible, et frugal. En poussant à des déplacements plus rapides et souvent plus longs, le VAE contribue à l’artificialisation des besoins de mobilité, au lieu de favoriser une réflexion sur la réduction des déplacements. Le paradoxe est frappant : le VAE est présenté comme une solution écologique, mais il perpétue une logique de croissance, incompatible avec les limites physiques de notre planète.
Le succès du VAE illustre une tendance plus large dans la manière dont nos sociétés abordent les crises environnementales. Plutôt que de remettre en cause les causes structurelles des désastres écologiques — le système capitaliste, la surconsommation, et l’impératif de croissance —, le VAE incarne une réponse technique à un problème politique.
Cette logique de solutionnisme technologique refuse de reconnaître que certaines limites sont nécessaires pour répondre aux enjeux écologiques. Le VAE, loin d’être une alternative révolutionnaire, se contente d’adapter le vélo à un système productiviste, en le complexifiant et en augmentant sa dépendance aux ressources technologiques. En s’attaquant aux conséquences (la pollution générée par la mobilité), sans questionner les causes (un mode de vie fondé sur la croissance infinie et le gaspillage des ressources), le VAE s'inscrit dans une continuité problématique. Il contribue à maintenir un système insoutenable en évitant les choix politiques difficiles : sobriété, relocalisation des activités, et réduction de la consommation.
Le vélo à assistance électrique, malgré ses avantages apparents, illustre les contradictions de notre époque. Il complexifie inutilement un objet fondamentalement écologique — le vélo mécanique — en introduisant des problématiques liées à la production de batteries, à la consommation d’électricité, et à une obsession de la vitesse. Plus qu'une solution, le VAE est un symptôme d’une transition énergétique détournée par une logique de croissance. Pour répondre aux crises environnementales, il ne suffit pas d’électrifier nos modes de vie ; il faut les transformer en profondeur. Cela implique de remettre en question les fondements de nos besoins de mobilité, et de privilégier des solutions réellement sobres et adaptées aux limites planétaires.
- Critique de l’usage des nouveaux vélos
En introduction, nous savions que les anciens vélos en libre-service à Toulouse n’étaient pas parfaits, mais ils ne faisaient pas la promotion d'une nouvelle technologie que nous venons de présenter dans ces limites. Les nouveaux qui sont implantés en aout 2024, sont au contraire, un fer de lance de la popularisation du vélo électrique en ville.
Le principe du vélo électrique que nous avons vu dans la partie précédente est sur bien des points plus que critiquable. Sa mise en place et son fonctionnement dans la cité méridionale montre aussi des angles morts. Le premier est celui de conservation d’un statu quo social et économique avec la voiture. Au lieu de réduire la voiture et d’adapter les transports en commun, on transforme l’espace cyclable en espace concurrentiel aux possibilités données par les voitures. C'est-à-dire, rouler plus vite, plus longtemps et toujours plus loin. Ce principe on le retrouve sur le site de JCDecaux “Les utilisateurs pourront ainsi parcourir sans effort des trajets plus longs ou avec du dénivelé” ; ou encore sur le site de la Métropole avec les mots “Plus étendu, plus dense, et modernisé”.
Le culte du développement est promu par les différentes parties de ce projet, pourtant cela est limité. Tout d’abord, La proposition des vélos électriques s’inscrit au cœur même de la refonte du concept de vélo en libre-service. Initialement, ce modèle permet de récupérer un vélo à un point A pour se rendre à un point B, qu’il s’agisse d’un arrêt de bus, de métro, ou de sa destination finale. Par la suite, l’utilisateur peut repartir d’un point C, atteindre un point D, et éventuellement revenir au point A. Ainsi, le vélo permet de relier des points du réseau de transport ; ou bien de pallier ces manquements sur des petites distances. Avec les nouveaux VélôToulouse, l’objectif est de concevoir des trajets adaptés aux déplacements domicile-travail. Ceux-ci sont généralement plus longs que les courts déplacements urbains habituellement facilités par d'autres infrastructures. Cela a pour conséquence d’avoir des stations de libre-service beaucoup plus soumises aux migrations pendulaires, comme les parkings des usines airbus le sont avec les voitures. Il faut donc que des employés de l’entreprise JCDecaux assurent la régulation du nombre de vélos en approvisionnant de manière journalière les stations. Ensuite, les critiques qui avaient été émises à juste titre en 2007 lors du lancement des “vélôtoulouse” reposent sur le manque de pistes cyclables et d’aménagements pour les vélos (parking, réparation). La promotion de ce nouveau progrès technique occulte les problèmes initiaux. En effet, le projet de réaliser de long trajets est quelque peu, à l’heure actuelle terni par des passages qui ne sont pas agréables en vélos. C’est pour cela qu’est prévu un réseau “REV” (réseau express vélo), qui a pour objectifs de mettre en place 290 km de pistes sur la métropole. Mais cela a pour conséquence de créer des voies express, qui ne sont juste faites pour aller d’un point à un autre sans s’arrêter sur le long du trajet, bref comme une autoroute. Pour le reste de la ville, on préfère proposer aux cyclistes de s’adapter aux voitures en allant plus vite, entre 20 et 30km/h; que de réduire la place de la voiture dans le centre-ville. Enfin, cela ne pousse pas les transports en commun avec des infrastructures lourdes : métro, tramway. Puisqu’on propose des vélos qui peuvent aller jusqu’à 40km d’autonomie sur un réseau express optimisé. Bien que Toulouse soit connue pour ses embouteillages, due notamment à des dynamiques centre-périphérie qui sont structurelles dans cette ville. En effet, nombreuses sont les villes autour de Toulouse à dépendre de son centre et de ne pas être reliées efficacement sans l’usage d’un moyen individuel. Ainsi, le vélôtoulouse avec VAE est un bon prétexte pour la mairie de refuser la mise en place d’un RER Toulousain ou bien d’autres alternatives à la voiture. Peut-être que le réseau REV, remplacera le périphérique Toulousain, mais comme ce dernier, les embouteillages et les accidents risquent de devenir un problème cycliste. Comme le dit Maxime Boyer, élu de la majorité de droite pour La Dépêche, “On ne peut pas supprimer la voiture à Toulouse, c’est déjà un bon moyen de rééquilibrer l’espace en ville”.
Les vélos électriques ne sont pas le seul problème. En effet, ils composent, en 2024, seulement 50% de la flotte, le restant étant mécanique. Pour autant ces derniers ne sont pas les anciens vélôtoulouse mécaniques réemployés. Au contraire, ce sont bien un nouveau modèle de vélos qui les a remplacés. C’est ce déroulé qui nous semble quelque peu problématique pour deux raisons.
Premièrement, il est dommage de voir plus de 2500 vélos disparaître de la circulation alors qu’ils auraient pu être mêlés à des nouveaux vélos électriques. Ainsi, mathématiquement, le nombre de vélos en circulation aurait pu être augmenté pour moindre coût. Au lieu de cela, Actu Toulouse, nous apprend que JCDecaux a récupéré les anciens vélos et va les réutiliser dans d’autres villes : « Tous les anciens vélos vont être réutilisés en pièces détachées. JC Decaux (exploitant de VélÔToulouse) possède plusieurs réseaux en France. Ils réutilisent les poignées, les selles, les guidons, etc, pour réparer les autres vélos », a répondu Tisséo à Actu Toulouse. Dans cette réponse, nous pouvons voir que seulement les accessoires des vélos vont être réutilisés, qu’en est-il des cadres, des roues ou bien des chaînes de ces vélos ? Pour le moment nous n’en savons rien, mais il est toujours dommage de voir que les entreprises publiques comme Tisséo se réjouissent d’un renouvellement inutile de ces vélos mécaniques. Cela alimente le récit de la destruction plutôt que celui de la réparation ou de l’adaptation. Alors même qu’initialement le vélo est conceptualisé pour être bien plus réparable qu’une voiture.
Deuxièmement, la dynamique capitaliste produit des vélos de moins bonnes qualités. En effet, les nouveaux vélos mécaniques sont plus légers, à l’inverse de leurs ancêtres de 20kg, ils en font moins de la moitié. Ils sont donc pour beaucoup d’éléments de ce vélo en plastique, plutôt qu’en acier. Évidemment, leur obsolescence est alors d’autant plus prévisible, car le plastique résiste moins aux nombreuses utilisations dans de diverses conditions auxquelles ces vélos sont exposés. Effectivement, on observe en novembre des vélos qui sont dégradés : selles arrachées, paniers cassés, habillage en plastiques abîmés. Alors que les anciens modèles ne présentaient pas autant ces différentes dégradations. Ainsi, on peut se demander à long terme, à quoi vont ressembler ces vélos ? Vont-ils être réparés plus souvent, ou alors vont-ils être régulièrement changés soit en petit nombre soit en grand nombre ? Toutes ces questions, n’apparaissent jamais dans la communication de ces nouveaux vélos. Tout comme, il n’est jamais fourni un guide d'utilisation pour permettre de préserver ces vélos. Il y a donc un réel problème de conception des vélos et de leur usage même par les pouvoirs publics.
La fragilité des vélos mécaniques, trouvent peut-être une explication dans leur destin funeste déjà annoncé. Effectivement, cela est planifié, d’ici quelques années leur part sera réduite à 25% quant à celle des vélos électriques, elle sera augmentée à 75%. Il faudra donc, à terme, commander et construire de nouveaux vélos. Cela signifie toujours plus d’extraction. Dans le but seul de répondre à un idéal de progrès représenté par le vélo électrique. Alors même que ceux-ci sont totalement inutilisables sans être rechargés. En effet, ils sont tellement lourds, que sans l’aide électrique, ils sont inutilisables. Cela se révèle donc être un investissement qui enferme le vélo dans un système extractiviste, dépendant de la production d’une énergie électrique et de l’excavation de minerais toujours plus intense. Derrière, la fausse bonne idée du vélo électrique en libre-service, se trouve une fois de plus, le chaînon d’une maille capitaliste conquérante sur le moindre aspect de nos vies.
Le coût de ce progrès, pour la Métropole est conséquent mais à ce jour, il est impossible de trouver le montant de cette opération de renouvellement. Toutefois, pour le projet de REV, il coûterait 25 millions selon le Journal Toulousain. C’est donc un coût massif. Toutefois, on remarque que la dimension d’exclusion sociale est primordiale dans ce projet de renouvellement de la flotte de vélôtoulouse. Ainsi, le service propose deux abonnements annuels. Le premier à 20€ par an, permet d’utiliser seulement les vélos mécaniques gratuitement pendant 30 minutes. Celui-ci est la réplique de l’ancienne formule unique du service. Toutefois, désormais, cet abonnement permet de prendre les VAE pour 1€ par trajet. Le deuxième à 120€ par an, permet d’utiliser pendant 30 minutes les VAE et d’une heure les vélos mécaniques. Se dessine ainsi, deux classes d’usagers du service métropolitain. D’un côté, la masse de gens, seulement prêts à payer le moins pour utiliser des vélos. De l’autre, une minorité qui ont recours à un service premium. En effet, il faut penser que cet abonnement s’ajoute à une série d’autres abonnements du quotidien : transport en commun, abonnement téléphonique, etc…. Ainsi, la guerre des classes qui se joue dans le VélôToulouse est déjà gagnée pour les VAE. Comment pourrait rester pertinente l’offre la moins chère quand 75% de la flotte sera électrique ? C’est joué d’avance et cela n’est pas réjouissant. De plus, s’ajoute à cette exclusion sociale basée sur les revenus, une exclusion technologique.
Le service de Vélôtoulouse, s’est doté d’un enrichissement technologique central dans son utilisation. Selon JCDecaux, “Les vélos bénéficient d’une série d’améliorations significatives qui permettent de simplifier la mobilité active dans la ville de Toulouse (la libération des vélos via l’application mobile ou directement depuis les nouveaux points d’attache, un port USB permettant la recharge d’un smartphone sur les vélos à assistance électrique, l’enrichissement de l’application avec des nouveautés telles que le calcul d’itinéraire ou la réservation d’un vélo à l’avance grâce aux points de fidélité, …)”. Désormais, l’utilisation des vélôtoulouse va de pair avec la numérisation des services publics du quotidien. En effet, l'application VélôToulouse est nécessaire à l’utilisation des vélos. D’une part, elle permet de déverrouiller les vélos. Même si, il est possible de le faire avec une carte tisséo reliée à son abonnement de vélos. Néanmoins sans cela, c’est beaucoup plus compliqué, car les bornes de réservation qui étaient centrales par le passé jouent désormais un rôle secondaire. Effectivement, avant le renouvellement des vélos, chaque station était dotée d’une borne permettant de louer un vélo, de payer sur place, ou bien de demander de l’aide. Ces bornes aujourd’hui ont été pour la plupart supprimée, et seulement ⅓ des stations en sont dotés d’une seule. Cela complique donc l’utilisation pour les usagers du service sans smartphone ou d’abonnement internet. Sur un article de la Dépêche on peut lire “Je n’ai pas de smartphone, mais on est presque obligé d’en avoir un maintenant. Je dois forcément me rendre à une station équipée d’un terminal de paiement, mais elles ne le sont pas toutes”. Le VélôToulouse a donc comme conséquence de renforcer la nécessité de l’utilisation d’un smartphone dans la société. D’autre part, cette application dévoie la fonction d’une société comme VélôToulouse. Nous pouvons lire que désormais, l’entreprise essaie de fidéliser ses clients avec des fonctionnalités : charge de téléphone, cadeaux, gps, etc…. Également, tout un tas de statistiques sont générées : temps moyens de trajets, moyenne par semaine, etc…. Disons simplement, que l’objet primaire qui est de faire du vélo se retrouve immergée dans un mélange technologique digne de la silicone vallée et cela est un problème.
Avec ces différents constats on remarque que le renouvellement des VélôToulouse ne dessine pas un futur souhaitable. Est-il souhaitable de voir au vélo, s’appliquer la logique des voitures que sont les autoroutes, la vitesse ou bien la distance ? Est-il encore une fois nécessaire de rendre l’utilisation d’un vélo plus compliquée qu’elle ne l’est ? Est-il indispensable de rendre tous nos déplacements soumis à la logique techno-capitaliste qui fleurit en Californie ? Il est regrettable de voir les coups de pédales effectués par les Toulousains devenir l’exemple même de l’asservissement de l’homme par la machine.
- Alternatives au changement de flotte du service VélôToulouse
La décision de consacrer une part substantielle du budget municipal à l’introduction massive de vélos à assistance électrique (VAE) dans le cadre du service VélôToulouse appelle à un réexamen critique. Cette orientation, très coûteuse pour la collectivité (2100 euros par an et par vélo), semble déconnectée des objectifs de développement durable et d’augmentation significative de la part modale du vélo à Toulouse. En explorant des alternatives à ce modèle, il est possible de proposer des actions plus efficaces, inclusives et alignées sur une vision décroissante et durable.
Avec un budget de 5,5 millions d’euros par an consacré à VéloToulouse, la ville pourrait considérablement accélérer le développement des infrastructures cyclables, un levier bien plus efficace pour encourager l’usage du vélo. Les freins majeurs à la pratique du vélo en milieu urbain sont souvent liés à l’insécurité perçue par les cyclistes et à l’absence de stationnements adaptés. Un investissement massif dans un réseau de pistes cyclables sécurisées et des parkings vélos dans les zones résidentielles, commerciales et autour des transports en commun aurait un impact bien plus large et durable. Un réseau cyclable dense et sécurisé à l’échelle métropolitaine inciterait les habitants à adopter le vélo personnel pour leurs déplacements quotidiens, tout en répondant aux besoins des usagers actuels.
L’alternative portée par des initiatives locales telles que l’association de la Maison du Vélo aurait pu constituer une rupture radicale avec la logique actuelle. Cette association, à but non lucratif, prône l’autonomie des cyclistes à travers des ateliers d’auto-réparation, des formations et des services de location accessibles. Ce modèle décroissant met l’accent sur la réparation plutôt que l’achat de nouveaux vélos, la sensibilisation à la simplicité et à la durabilité, un fonctionnement non lucratif qui limite la logique de rente et de surproduction industrielle. Cette approche favorise l’implication citoyenne et limite les coûts pour la collectivité, tout en contribuant à la réduction des déchets liés au remplacement systématique des flottes. Plutôt que d’investir dans des solutions dépendantes de multinationales comme JCDecaux, la ville aurait pu soutenir cette alternative locale, porteuse d’une réelle transformation des pratiques et de la mentalité cyclable.
Le partenariat public-privé attribué à JCDecaux illustre une gestion fondée sur des logiques marchandes, éloignées des besoins réels des usagers. Si l’objectif initial était de développer un service de location accessible, le transfert de cette mission à une entreprise privée a entraîné une hausse des coûts et une dépendance vis-à-vis d’un acteur dont les priorités restent orientées vers la maximisation des profits. Une gestion locale, appuyée sur des structures associatives ou coopératives aurait permis de garantir que chaque euro investi serve directement les besoins des cyclistes et des citoyens. En choisissant un modèle non-lucratif et centré sur la décroissance, il aurait été possible d’éviter les coûts élevés liés à la technologie et à la maintenance de flottes électriques tout en renforçant une culture du vélo accessible et durable.
Enfin, plutôt que de subventionner indirectement l’achat de VAE par le biais du service VélôToulouse, la ville pourrait renforcer son service d’aide directes pour l’acquisition ou la réparation de vélos personnels en le conditionnant à des vélos mécaniques neufs ou d’occasion. Ces aides, couplées à des campagnes de sensibilisation aux bienfaits du vélo mécanique, contribuent à démocratiser son usage et à répondre aux besoins d’un plus grand nombre de citoyens. L’introduction massive de VAE dans le cadre de VéloToulouse est emblématique d’une approche technologique et coûteuse, déconnectée des véritables besoins de la collectivité. En consacrant la moitié du budget vélo à ce service, la ville passe à côté d’opportunités cruciales pour développer une culture cyclable inclusive et durable. En se détournant des solutions fondées sur la surproduction et les partenariats public-privé, Toulouse pourrait investir dans des infrastructures, soutenir des initiatives locales et autonomes, et encourager une pratique du vélo simple et résiliente. Ce modèle, aligné sur les principes de la décroissance, serait non seulement plus efficace pour augmenter la part modale du vélo, mais aussi plus cohérent avec les défis environnementaux et sociaux actuels.
Conclusion
Le renouvellement du VélÔToulouse, montre que le vélo en libre service lorsqu’il est soumis aux exigences du marché n’est pas un modèle de vertu. Derrière la promesse d’une mobilité modernisée et adaptée aux défis contemporains, on perçoit des angles morts significatifs. La logique de développement technique à tout prix, au détriment d’une approche sobre et durable, révèle les limites d’un modèle qui perpétue des inégalités sociales, accentue l’extraction de ressources, et complexifie l’usage d’un mode de transport pourtant simple et accessible. Au lieu de promouvoir une évolution douce de la mobilité, centrée sur des infrastructures adaptées, réparables et accessibles à tous, ce projet s’inscrit dans une dynamique de consommation effrénée et de dépendance technologique. Ainsi, loin d’offrir une solution de rupture face aux défis écologiques et sociaux, il risque de conforter un statu quo sous un vernis de modernité. Une réflexion plus profonde et collective sur la place du vélo dans nos sociétés s’impose pour en faire un véritable levier de transformation.
Pour ouvrir le sujet, il est aussi intéressant de voir comment les VAE peuvent être utilisés par les postes pour justifier des réductions de postes. Effectivement, on remarque que les facteurs sont désormais dotés de vélos dernier cri, qui sont présentés comme moins fatigants pour eux et donc qui améliorent leurs conditions de vie. Sous ce prétexte est pourtant permis une dégradation de leurs emplois. Non seulement de réduction de poste permis par le gain de temps des VAE mais encore par l’élargissement des secteurs des tournées de courriers. Ainsi, il est important de montrer les limites d’une globalisation des VAE que ce soit dans la vie quotidienne au travers des déplacements ou dans la vie des professionnels en contact avec les vélos.
Bibliographie :
Theurel, J. et Lepers, R. (2011) . Réponses cardiovasculaires lors de la distribution du courrier postal avec un vélo à assistance électrique. Movement & Sport Sciences - Science & Motricité, n° 73(2), 33-37. https://doi-org.gorgone.univ-toulouse.fr/10.3917/sm.073.0033
Etude du Cerema (3 mai 2024) : [Chiffres clés] La mobilité en vélo à assistance électrique : une pratique quotidienne moins masculine et moins urbaine que le vélo. Lien :
https://www.cerema.fr/fr/actualites/chiffres-cles-mobilite-velo-assistance-electrique-pratique
“VélôToulouse, c’est parti”, La Dépêche, 16/11/2007, lien de l’article : https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=https%3A%2F%2Fwww.ladepeche.fr%2Farticle%2F2007%2F11%2F16%2F281312-velotoulouse-c-est-parti.html%2F#federation=archive.wikiwix.com&tab=url
“Plus d’1,2 million d’utilisateurs en moins de deux mois : le succès colossal des nouveaux VélÔToulouse”, La Dépêche, 21/10/2024. Lien : https://www.ladepeche.fr/2024/10/21/dossier-plus-d12-million-dutilisateurs-en-moins-de-deux-mois-le-succes-colossal-des-nouveaux-velotoulouse-12265184.php