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Billet de blog 28 avril 2025

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Face aux illusions identitaires : habiter une France vivante

Alors que les discours nationalistes ressurgissent sous des formes modernes sur internet, la question de l'identité française mérite d'être repensée. À travers l'histoire, la cuisine et l'évolution des paysages, c'est une France mouvante, hybride et créolisée qui apparaît, bien loin des mythes figés que certains tentent de ressusciter.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Sur la route entre Poitiers et Toulouse, encore imprégné de mon passage dans l’écrin des châteaux de la Loire, une question m’est venue : Qu'est-ce qu'être Français ? 

Je suis tombé sur une vidéo d’un influenceur “Dose de France” qui a publié un pamphlet nationaliste 2.0. Dans celle-ci, il se présente comme un déraciné, né en France, qui n’a jamais été Français avant de découvrir ce qu’il appelle la France : bistrot, église, alcool.  Tout ceci, il l'oppose à sa culture de naissance; celle de la France pavillonnaire résumée par le catch américain de la WWE et de la nourriture industrielle de Macdonald’s. 

Cette courte vidéo est symptomatique d’un phénomène grandissant sur Internet. Une guerre larvée, pour la redéfinition de traditions françaises éternelles. Vous savez, celles qui s’étendent de la moustache à la ripaille.  En d'autres termes, la profusion d’alcool, de viande mais aussi d’un discours nationaliste. Vantant l’histoire de la France, sur celle des autres nations tout en dépréciant la cuisine venus d’ailleurs. Ce qui se passe de commentaire dès qu’on connaît un peu l’histoire de la cuisine française nourrie d’apports divers. 

Derrière cette petite vidéo, on a tout les ingrédients du repli sur soi, pour se trouver des “racines”, fameuses racines qui se résument à des églises vides de l’effervesence laïc des siècles passées. Laïc, car qui a ne serait-ce écouté en cours d’histoire, sait que la plupart des gens ne comprenait rien aux messes du dimanche, mais y allait pour commercer, discuter et se faire voir. Bien souvent, ces influenceurs “traditionnels”, présentés divinement dans un article de Arrêt-sur-Images, se limitent à reproduire les images d’épinals de la France, là ce qui apparaît, est bien plus intéressant. C’est la volonté de créer une image nationale qui unirait une France diverse culturellement, qui s’est nourrie d’évolution et d’hybridation. 

I. Les racines : des illusions dangereuses

Illustration 1


Les repères qui servent de racines, sont eux-même des chausses-trappes qui ne sont bons que pour les simples d’esprit. Cela tiens en deux exemple. Si l’on va sur le terrain de l’extrême droite, la notion de France naitrait avec les gaulois. Ce terme, lui-même inventé par leurs envahisseurs, recoupe un ensemble de groupes aux cultures, rites et lieux d’habitation bien différents. Donc pour trouver les racines les plus profondes, il faudrait se baser sur une grille de lecture donnée par ceux qui ont réduit en cendre cette culture "gauloise". De même Clovis, apparaît comme une de ces artères du système racinaires. Pour rappel, c’est un conquérant franc qui a mis la main sur les miettes des successeurs de Rome dans l’ancienne province de Gaulle. Alors, le pouvoir se résumait à une poignée de franc, de culture germanique, ne parlant même pas les différentes langues qui étaient alors vernaculaires en France. On pourrait continuer d’exemplifier les bêtises de se raccrocher à des racines aussi glissantes, qui vous amène dans un précipice dépressif dès que vous essayez de comprendre factuellement les choses. 

Illustration 2
Clovis

Il y’a pourtant dans le paragraphe précédent une clef de voute, qui fait tenir ces mythes. C’est la polymorphie, l’adaption, les changements, les flucuations aussi nombreuses que les rivières qui dessinent les paysages de ce qu’on appelle la France. En un mot être Français c’est habiter sur un espace qui a été soumis aux mutations continuelles de ceux qui l’habitent, un mélange originel et structurel. Je ne vais pas m’aventurer sur les nombreux champs qui pourraient être analysés mais m’intéresser à ce qui est à une des bases même l'identité française, celle de l’alimentation. 

II. La cuisine française : un creuset perpétuel

Illustration 3

Je fais le postulat, que si il y’a bien une chose qui unit les personnes habitants la France c’est la volonté de se nourrir tout les jours, ce principe s’étend à toute la planète. Néanmoins en France la cuisine est un creuset de mélange. Si l’on repart dans les mythes, il y’a déjà une incohérence, la France est le mélange d’une culture celte, gauloise, allemande, latine, méditerranéenne, grecque, et tant d'autres encore. Ces cultures n’utilisent pas les mêmes modes de cuisson, ainsi cohabitent des cuissons au beurre, à la graisse animale, à l’huile d’olive. De même, cohabitent, la france viticole et brassicole. Comme montré dans l’ouvrage de Mathieu Lecoutre “Le goût de l’ivresse”. Ainsi, qu’il soit bien né celui qui me citera une seule recette qui n’ait pas nourrie d’apports qui seraient extérieurs à la zone géographique de la France, car cela est impossible. La culture française dont certains se targuent est alors une invention totale, pourtant, ces influenceurs tradi, utilisent la cuisine pour nourrir leur recherche pathologique de racines. Le repli sur soi, c’est l’assurance de n’avoir que des plats fades. Qui imagine la cuisine française, sans la pomme de terre, le poivre, ou tant d’autres éléments qui ne sont pas endémiques de notre espace de vie. 
De plus, la cuisine, présente non pas une seule culture, mais bien des cultures qui cohabitent et se tirent chacune vers le haut. Les nombreuses enseignes de fusion qui naissent en sont le témoin. Certains mettent bien du cacao dans le boeuf bourguignon. On fait bien des kebabs avec des sauces tartares, même si la sauce samouraï est bien meilleure. Bref, la francité, finalement, c’est d’assumer et de regarder en face toutes ces évolutions.

III. Les paysages français eux-mêmes témoignent de cette évolution

Il faut accepter que la France est pétrie de mutations remarquables ; mais aussi de mutations moins enviables. On habite un pays, où se cotoient des ruelles mignonnes de siècles passées et des pavillons tout frais sortis de terre qui sont les mêmes qu’aux USA. Toutefois, rien n’est figé, les Châteaux, les églises ou biens les villes, ne sont-elles pas des empilement d’époques différentes, avec des églises romane, gothiques, des châteaux avec des tours du Xe siècles et des tours ornementales du XVIIe siècle ; des rues qui alternent, maison du XIVe siècle en terre-paille, maison du XVIIe en pierre de taille et maison du XXe en brique industrielles. 
Admirer une cathédrale, c’est se souvenir qu’elle fut érigée pour affirmer un pouvoir : celui de l’Église, d’un prince, ou d’un État. Observer les pavillons modernes, c’est voir les fruits de l’industrialisation, parfois imposée brutalement. Mais avant tout être français, c’est de ne pas seulement admirer ces choses et détester les autres, c’est de se souvenir des raisons de leur présence. Les premières pour affirmer le pouvoir de l’Etat (prince ou état démocratique) et les deuxième pour loger ceux qui ont souffert ou profiter de ce pouvoir. Cette dialectique est présente partout, quand on pense aux générations de mêmes familles qui se sont cassés le dos à construire une cathédrale, ou bien sur les monuments aux morts des guerres du siècle dernier. C’est l’anonymat qui est la norme. Être français, ce n’est donc pas simplement regarder son nombril et s’en vanter, mais de se regarder entier en assumant les bons côtés et les mauvais. Et pour revenir à la cuisine, il y’a des choses dont on peut questionner le bon goût comme le rôti sans pareil ou le casu martzu. Il en va de même sur les racines, qui sont autant esclavagistes qu’humanistes. La recherche de racines est donc une quête qui ne sert à rien, il vaut mieux se tourner vers le présent pour ne pas finir comme les bâtiments que nous avons figé dans le temps et qui subissent les affres du temps et s'effondre comme à Toulouse. 


IV. Se tourner vers l'avenir. 
Le film qui n’a pas plu à l’extrême droite cette année est Vingt-Dieux, un film qui vient casser l’image d’une france rurale, acquise à l’extrême droite et qui vivrait dans une tapisserie accrochée sur les murs d’un palais parisien. C’est un jeune qui veut poursuivre la tradition de sa famille de fabriquer du comté, sauf qu’il se déplace en motocross, écoute du rap et se plante. 

Pour répondre à l’influenceur qui nous vends des doses de France, la France n’est pas une drogue, elle est une vision du monde, qui peut aussi bien manger un mcdo un midi, une viande à la broche le jour suivant puis pourquoi pas un chili sin carne le lendemain. Les seuls doses de France qu’il vends, sont celle de la promotion de l’alcoolisme qui a fait des ravages, notamment lorsque le capitalisme est devenu hégémonique en France et que la culture industrielle s’est répendue effaçant une complexité endémique à la France mais également à tout les pays du Monde. Et sur la cuisine, cela à une réelle incidence, celle de la multiplication de mauvaise nourriture, qui se mache vite, qui dégrade notre santé, qui est fade et sans couleur. Cela se retrouve sur nos voitures, nos vêtements, nos maisons. C’est pour cela que certains se cherchent et s’inventent des racines “millénaires”. 

Ainsi, le concept de créolisation est la clef, il s’acclimate très bien à notre histoire entière, celle de la création d’une culture nouvelle qui n’efface mais met sur un même plan tout les horizons, une culture ouverte sur nos contradictions et notre orgueil. 

Être Français, c’est ne pas craindre l'évolution. C’est construire, aujourd’hui, sur un terreau mille fois travaillé, sans fantasmer un âge d’or qui n’a jamais existé.

Liens utile : 

https://www.arretsurimages.net/articles/influenceurs-terroir-comment-ils-font-le-jeu-de-jordan-bardella

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