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Billet de blog 7 août 2024

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All eyes on Palestine

Le slogan « All eyes on Rafah » est employé par les manifestants dénonçant les massacres qui se répètent à Gaza depuis dix mois. Il prend aujourd’hui un autre sens : celui de la surveillance militaire absolue des Palestiniens avec les moyens de Google, Microsoft et Amazon, désormais au service d’une « usine d’assassinats de masse »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Josh Mayfield

Le « panoptique » de Jeremy Bentham, rendu célèbre par Michel Foucault, est l’un des « passages obligés » dès que l’on s’intéresse aux questions de la surveillance ou du numérique, qui sont désormais peu ou prou la même chose. On parle de « société de surveillance », de « capitalisme de surveillance », et l’on cite donc Surveiller et Punir :

De là, l'effet majeur du Panoptique : induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action ; que la perfection du pouvoir tende à rendre inutile l'actualité de son exercice ; que cet appareil architectural soit une machine à créer et à soutenir un rapport de pouvoir indépendant de celui qui l'exerce ; bref que les détenus soient pris dans une situation de pouvoir dont ils sont eux-mêmes les porteurs. Pour cela, c'est à la fois trop et trop peu que le prisonnier soit sans cesse observé par un surveillant : trop peu, car l'essentiel c'est qu'il se sache surveillé ; trop, parce qu'il n'a pas besoin de l'être effectivement.i

Gaza correspond aujourd’hui, assez littéralement, à une prison sous surveillance pan-optique : avec des yeux qui voient tout, partout, tout le temps. Il y a toutefois un élément supplémentaire : cette surveillance emploie les outils des plus grandes entreprises américaines du numérique et sert à pointer les cibles qui seront ensuite bombardées. Si vous lisez l’actualité, vous savez que l’armée israélienne (Tsahal) a bombardé des camps de réfugiésii, des hôpitauxiii, des écolesiv, des zones dites « sûres »v, des journalistesvi et des travailleurs humanitairesvii.

La guerre « propre »

Il faut d’abord que je vous parle rapidement de Yuval Abraham, que l’on connaît surtout en France pour une polémique lors du festival de cinéma de Berlin de 2024. Co-réalisateur avec Basel Adra du documentaire « No other land », il avait déclaré au moment de recevoir le prix du meilleur documentaire :

Basel et moi avons le même âge. Je suis Israélien, il est Palestinien. Dans deux jours, nous retournerons sur une terre où nous ne sommes pas égaux : je vis sous une loi civile, Basel est soumis à une loi militaire. Nous habitons à trente minutes l’un de l’autre, mais j’ai le droit de vote, Basel ne l’a pas. Je peux me déplacer librement sur cette terre. Basel, comme des millions de Palestiniens, est bloqué dans la Cisjordanie occupée. Cette situation d’apartheid entre nous, cette inégalité, doit cesser.viii

Pour ce discours, Yuval Abraham a été menacé de mort en Israël, mais également critiqué par la classe politique allemande, dont le maire de Berlin : « « L'antisémitisme n'a pas de place à Berlin, et cela vaut aussi pour les artistes, a dénoncé le maire de la capitale allemande, Kai Wegner, sur son compte X (ex-Twitter)». «Ce qui s'est déroulé (dimanche) à la Berlinale a constitué une relativisation insupportable», a-t-il ajouté. »ix.

Pourtant, Abraham sait de quoi il parle. C’est à lui que l’on doit un premier article dans la revue +972, en novembre 2023, qui révèle l’existence d’un logiciel d’IA employé par Tsahal à Gaza :

Un ancien officier du renseignement explique que le système Habsora permet à l’armée de mettre en place une « usine d’assassinats de masse » dans laquelle on « met l’emphase sur la quantité et non la qualité ». Un humain « jettera un œil aux cibles avant chaque attaque, mais il n’a pas besoin d’y consacrer énormément de temps ». Puisqu’Israël estime qu’il y a environ 30 000 membres du Hamas à Gaza, et qu’ils sont tous marqués pour être tués, le nombre de cibles potentielles est énorme. x

Car les dispositifs techniques déployés par l’armée israélienne sont pléthore. C’est que la sophistication des moyens de tuer sert d’abord à justifier la guerre que l’on fait, prétextant que les uns tuent comme des barbares, les autres comme des êtres civilisés, moraux, respectueux de leurs victimes.

Dont acte : en France, les plateaux-télé ont fourmillé de commentateurs expliquant que les morts israéliens du 7 octobre, et ceux, palestiniens, qui s’en sont suivis, ça n’était pas pareil. Raphaël Enthoven dit sur BFMTV le 10 octobre 2023 : « Il y a une différence à faire entre des gens qui sont des civils, qui sont assassinés dans la rue par des commandos islamistes et les victimes collatérales de bombardements consécutifs à cette attaque. Il faut marquer cette différence, c'est même très important de la faire. » xi

Caroline Fourest reprend en écho le 29 octobre: « On ne peut pas comparer le fait d'avoir tué des enfants délibérément comme le Hamas, et le fait de les tuer involontairement comme Israël »xii . Elle insiste encore le lendemain :« Je maintiens, malgré la meute, qu’il existe une différence d’intention fondamentale entre cibler des enfants pour les décapiter et perdre la tête au point de bombarder le Hamas au milieu d’enfants. Comme je maintiens que c’est grave et [sic] tuer des innocents. »xiii.

François Hollande, désormais député PS, bafouillait en répondant aux questions qui lui étaient posée sur France Info le 7 février 2024 :

-Puisqu’on a parlé de l’hommage rendu aux victimes françaises en Israël lors de l’attaque du 7 octobre, est-ce qu’il faudra rendre un même hommage aux victimes à Gaza ?

- Bien entendu, cette proposition, ça ne peut pas être le même hommage. Une vie est une vie, et une vie est équivalente à une autre vie. Mais il y a les victimes du terrorisme et il y a les victimes de guerre. […] Les victimes collatérales, vous êtes dans une guerre, vous êtes une victime collatérale, il y en a en Ukraine.

- Même si certains considèrent que l’ampleur de l’offensive israélienne est illégitime ?

-Mais, même, ce n’est pas un acte de terrorisme, on peut dire que c’est un acte de guerre, nous pouvons dire que nous ne sommes pas d’accord sur cette fuite en avant […] mais ce n’est pas de même nature.xiv

Enfin, Céline Pina, le 6 novembre 2023 sur Cnews est celle qui l’exprime le plus clairement :

Une bombe qui explose et qui va détruire et qui va faire des dégâts collatéraux tuera sans doute des enfants. Mais ces enfants ne mourront pas en ayant l’impression que l’humanité a trahi tout ce qu’ils étaient en droit d’attendre. Là ce qui est horrible, c’est d’imaginer ces enfants qui avaient 8, 9, 10 ans, ces femmes qui sont partis en emportant comme dernière image, une image d’inhumanité, d’atrocité et de mépris de ce qu’ils sont. C’est là où se niche le crime contre l’humanité, la négation absolue. Je pense qu’on aurait intérêt à l’expliquer beaucoup plus parce que sinon sous le règne de l’émotion on met des signes « égal » entre toutes les victimes. Or c’est vrai, un mort Palestinien, un mort Israélien, ça reste deux morts, mais la manière dont ils ont été tués, elle, elle parle de notre inhumanité ou de notre humanité.xv

Ces déclarations sont à comparer aux témoignages du personnel soignant revenu de Gaza. Citons par exemple le chirurgien Feroze Sidhwa, qui était à l’hôpital de Khan Younis entre le 25 mars et le 8 avril :

Bruno Maçães: Il était difficile d’être à Gaza même pour vous, un docteur occidental. A quel point-est-ce difficile pour les enfants qui sont là-bas? 
Il y a plusieurs aspects à cela. Mais l’un d’eux est la manière dont ces enfants sont morts. La plupart ont été tués dans des explosions où beaucoup d’entre eux se sont probablement retrouvés piégés dans les décombres. Certains vont mourir immédiatement d’un bloc de béton qui leur tombe sur la tête, ou quelque chose de ce genre. Mais beaucoup d’entre eux se retrouvent la jambe coincée dans les gravats, et comme il n’y a pas de machinerie lourde, il n’y a aucun moyen d’aller les chercher ; ils meurent lentement de septicémie alors qu’ils sont enterrés dans ces tombes obscures, seuls, gelés pendant la nuit, brûlant pendant la journée. Et ça doit prendre des jours pour chacun d’eux. Trois, quatre, cinq jours pour qu’ils meurent de cette façon. C’est horrible de penser à l’ampleur de leur souffrance.  xvi

La rhétorique de la « guerre propre » a déjà été mise en évidence par Grégoire Chamayou dans son livre Théorie du Drone, dans lequel il raconte ce phénomène de distanciation et ses effets sur la doctrine militaire.

Le drone chasseur-tueur, prétendent ses partisans, représente un « progrès majeur dans la technologie humanitaire ». Par là, ils ne veulent pas dire que cet engin pourrait par exemple servir à acheminer des vivres ou des médicaments dans des zones dévastées. Ils veulent dire tout autre chose : que le drone est humanitaire en tant qu’arme, en tant que moyen de tuer.

[…]

Les armées modernes utilisant déjà des logiciels d’aide à la décision censés assurer leur meilleure adéquation aux exigences du droit de la guerre – et, par là, les rendre plus « éthiques » –, on peut se faire une petite idée de la façon dont peuvent, en pratique, se fixer les valeurs pertinentes : « Aux premiers jours de l’invasion en Irak, ils ont fait tourner des logiciels. Ils ont appelé ça le programme “moucheron écrasé” [« bugsplat »]. Ce programme informatique estimait le nombre de civils qui seraient tués dans un raid aérien donné. Les résultats présentés au général Tommy Franks indiquaient que vingt-deux des bombardements aériens prévus allaient entraîner ce qu’ils avaient défini comme étant un fort taux de moucherons écrasés – soit plus de trente civils tués par attaque. Franks dit : “allez-y, les gars, on les fait tous les vingt-deux”. »xvii

La « guerre propre » est une rhétorique de déculpabilisation et de déresponsabilisation, car on  «  minimise le nombre de victimes collatérales ». C’est tout l’inverse en réalité : au lieu de tuer « moins et mieux » les systèmes de surveillance et de ciblage de masse sont utilisés de manière totalement indiscriminée.

Surveiller, cibler, bombarder

C’est ce que montre un deuxième article de Yuval Abraham, en avril 2024, révélant l’existence de deux autres systèmes d’IA, « Lavender » et « Where’s Daddy » :

Lavender a joué un rôle central dans les bombardements inédits des Palestiniens, en particulier au début de la guerre. D’après nos sources, son influence sur les opérations militaires était telle que les résultats de la machine d’IA étaient traités « comme si c’était une décision humaine. »[…]

Selon deux de ces sources, l’armée a également fait le choix inédit pendant les premières semaines de la guerre d’autoriser à tuer, pour tout agent subalterne du Hamas marqué par Lavender, jusqu’à 15 ou 20 civils; par le passé, l’armée n’autorisait aucun « dégât collatéral » pour les assassinats de militants en bas de la hiérarchie. Les sources précisent que, dans l’éventualité où la cible serait un haut-gradé du Hamas, un commandant de bataillon ou de brigade, l’armée a autorisé à plusieurs reprises l’assassinat de plus de 100 civils pour l’assassinat d’un seul commandant.

[…]
Afin d’assassiner Ayman Nofal, le commandant de la Brigade Central de Gaza du Hamas, une source affirme que l’armée a autorisé le meurtre d’environ 300 civils, détruisant plusieurs bâtiments dans le camp de réfugiés d’Al-Bureij le 17 octobre, en se basant sur une géolocalisation peu précise de Nofal. Les images satellitaires et les vidéos sur place montrent que plusieurs grands immeubles résidentiels à plusieurs étages ont été détruits.xviii

Cette doctrine de bombardement, non pas aveugle, mais au contraire quasi omnisciente est donc à l’origine de « la mort de 15,000 Palestiniens — presque la moitié du décompte jusqu’à présent [en Avril]dans les six premières semaines de la guerre ». Ces méthodes sont rendues possibles par deux choses : la première, une surveillance de masse et de tous les instants. La seconde, qui est son corollaire, la collecte et l’emploi de masses de données sans précédent.

Le journaliste Antony Loewenstein (que j’ai interviewé en novembre ici) l’a expliqué en détail dans son livre, The Palestine laboratory, publié en mai 2023. La totalité du livre pourrait servir d’exemple. Je n’en citerai qu’un extrait :

L’ IDF [Israeli Defense Forces] utilise la reconnaissance faciale à grande échelle avec un nombre croissant de caméras et de téléphones portables afin de ficher chaque Palestinien en Cisjordanie. À partir de 2019, les soldats israéliens se servent de l’application Blue Wolf pour prendre les visages des Palestiniens en photo, qui étaient ensuite comparés à une base de données gigantesque, surnommée « le Facebook des Palestiniens ». Les soldats étaient mis en compétition pour prendre le plus grand nombre de photos de Palestiniens et les plus prolifiques gagnaient des prix.

Le système est particulièrement extrême dans la ville d’Hebron, où la reconnaisance faciale et de nombreuses caméras sont employées pour surveiller les Palestiniens, parfois même dans leurs foyers, contrairement aux colons juifs qui habitent là et lancent des menaces génocidaires envers les Palestiniens avec régularité. L’IDF affirme que ce programme était conçu pour « améliorer la qualité de vie de la population palestinienne »

Ce que corrobore le témoignage d’un ancien soldat de Tsahal en poste à Hébron, rapporté par l’ONG Breaking the Silence en 2020 :

On sort avec Blue Wolf (un système de détection biométrique et de fichage) avec pour objectif : « collecter dix visages, collecter dix correspondances avec Blue Wolf.»

Qu'est-ce que ça veut dire?

Comme Red Wolf, le logiciel (un système de reconnaissance faciale installé aux postes de contrôle). Pareil : vous vous promenez avec le [téléphone portable] Galaxy. Vous attrapez la personne, vous ouvrez l'appli Blue Wolf. « Comment allez-vous, bonne journée, puis-je avoir une pièce d'identité? », vous la rentrez [dans le logiciel]. « Est-ce que je peux prendre une photo de votre pièce d'identité? » Super, vous prenez la photo. Vous demandez à prendre la personne en photo pour la mettre dans la base de données. Vous la prenez en photo [...]. Ils ne peuvent pas dire non. [...]

Quel est l'objectif?

Vous les faites entrer dans le fichier militaire. C'est plus facile pour nous, et pour eux, au lieu de faire tout le truc avec la pièce d'identité. Qu'est-ce que je me dis? Je ne peux pas me raconter les mêmes mensonges que j'ai répétés aux soldats.

Pourquoi des mensonges?

L'armée ne vous envoie pas [là-bas] pour leur rendre la vie plus agréable, pour les laisser passer le point de contrôle plus aisément. Les militaires ne se sont pas dit, si on créait Blue Wolf pour qu'ils passent plus facilement. L'armée veut que les gens soient dans son système pour des raisons de contrôle.xix

La collecte de données biométriques des Palestiniens est systématique et dure depuis des années ; le fait est connu. On sait également que les innovations techniques issues de cette architecture de la surveillance sont ensuite revendues dans le monde entier, y compris en France. Le média Disclose révèle ainsi en novembre 2023 que le logiciel « Video Synopsis », vendu par la société israélienne Briefcam équipe la police nationale, dans le Rhône, le Nord, les Alpes-Maritimes, les préfectures de Marseille et de Paris, et la police municipale de « près de 200 communes ».

La popularité de Briefcam parmi les services de la police pourrait s’expliquer par l’utilisation hors de tout cadre légal d’une de ses fonctionnalités phares : la reconnaissance faciale. [...].Cette possibilité offerte par Briefcam a d’ailleurs été mise en avant comme un véritable « plus » par le service en charge des outils technologiques au sein de la DGPN [Direction générale de la police nationale]. Dans un courriel envoyé en novembre 2022, un haut-gradé de la police explique que le logiciel possède des « fonctionnalités comme : les plaques d’immatriculation, les visages », mais aussi « des fonctionnalités plus « sensibles » » telles que la « distinction de genre, âge, adulte ou enfant, taille ». Il précise enfin que certains modules de l’application permettent de « détecter et d’extraire des personnes et objets d’intérêts a posteriori », mais aussi de faire de l’analyse vidéo en « temps réel ».xx

Complicité des GAFAM

Je reviens donc à Yuval Abraham. On savait qu’Amazon et Alphabet (Google) avaient signé des contrats avec le gouvernement israélien. Plusieurs employés de Google avaient déjà protesté, et certains avaient été licenciés pour leur opposition au contrat Nimbus. L'accord Nimbus, chiffré à 1,2 milliard de dollars, c’est la mise à disposition d'un nuage informatique (cloud), qui permet de stocker des données et donne accès à de grandes capacités de calcul informatique et à des outils sophistiqués d' "IA". Dans un article du Time, le journaliste Billy Perrigo citait un porte-parole de Google disant :

« Nous avons été très clairs sur le fait que le contrat Nimbus est prévu pour des activités de travail sur notre plateforme commerciale par les ministères du gouvernement israélien tels que la finance, la santé, les transports et l’éducation. Notre travail n’est pas lié à des activités militaires hautement sensibles ou classées liées aux armements ou aux services de renseignement ». Tous les clients de Google Cloud doivent respecter les conditions d’utilisation et de bonne conduite de l’entreprise. […] D’après les termes du contrat, Google et Amazon ne pourraient pas empêcher des branches spécifiques du gouvernement, y compris l’armée israélienne,d’utiliser leurs services, et ne peuvent pas annuler leur contrat en raison de la pression publiquexxi

Il n’était donc pas prouvé que ces contrats servaient directement à l’armée israélienne. Et puis le 3 août, Yuval Abraham a publié un article qui démonte les mensonges de Google. Lors d’une présentation à destination d’un public de militaires et industriels, la colonelle Racheli Dembisky explique qu’à partir d’octobre 2023, le « cloud » de l’armée israélienne n’arrive plus à suivre :

Les systèmes internes de l’armée ont vite été débordés en raison du nombre énorme de soldats et de personnel militaire qui étaient ajoutés à la plateforme en tant qu’utilisateurs, posant des problèmes techniques qui menaçaient de ralentir les capacités militaires d’Israël […].


Selon elle, les services de cloud proposés par les grandes entreprises du numérique ont permis à l’armée d’acquérir une capacité de stockage illimitée et des serveurs de traitement en un simple clic, sans l’obligation d’entreposer les serveurs dans les centres informatiques de l’armée.
Mais l’avantage « le plus important » que fournissent les entreprises de cloud, explique Dembinsky, sont leur capacités avancées en termes d’Intelligence Artificielle. « L’incroyable richesse de services, des données massives et d’IA – on est arrivés à un point où on en avait vraiment besoin », dit-elle avec un sourire. Le fait de travailler avec ces entreprises, ajoute-t-elle, a offert à l’armée une « efficacité opérationnelle très significative » dans la bande de Gaza.
xxii

.

Les serveurs d’Amazon servent aujourd’hui à entreposer des données de surveillance de masse : «  le système d’Amazon contient un « stock infini » d’information que peut employer l’armée », qui aurait servi dans plusieurs bombardements visant des dirigeants du Hamas pour lesquels les « victimes collatérales » autorisées se comptaient en centaines. Quand à Microsoft Azure, l’entreprise propose des services de « reconnaissance faciale », mais aussi de « transcription, traduction, analyse de sentiment, synthèse linguistique, analyse de documents et d’images, et plus encore ».

La collaboration d’Amazon, de Microsoft et d’Alphabet avec l’armée israélienne pour ses « opérations » militaires est donc actée. Leur enthousiasme même, selon le colonel Avi Dadon, cité dans l’article : « Pour [les entreprises du cloud], c’est la meilleur publicité. […] Ce qu’utilise l’IDF a été et sera l’un des meilleurs arguments de vente dans le monde. Pour eux, c’est un laboratoire. Bien sûr qu’ils veulent [travailler avec nous]. »

Et c'est aussi une mine d'or. D'après le commandant de l'unité de renseignement 8200,  « Aman [Le renseignement militaire] détient le plus de données dans Tsahal, y compris à propos des ennemis, issues d'une grande variété de capteurs - des entreprises civiles paieraient une fortune pour y avoir accès».

À l’heure actuelle, la Cour Internationale de Justice  étudie l'accusation de génocide formulée par l'Afrique du Sud contre Israël xxv. Les historiens de l’holocauste Raz Segalxxviet Amos Goldbergxxvii emploient ce terme sans détour. Un troisième, Omer Bartovxxviii avait écrit en novembre : « il reste encore du temps pour empêcher Israël de laisser ses agissements devenir un génocide. Nous ne pouvons attendre un instant de plus ».

Tous les capteurs de surveillance sont tournés vers Gaza et employés à systématiser le massacre qui se poursuit. Le dernier élément de doute qui subsistait quand au degré d’implication des entreprises de surveillance de masse à caractère commercial a disparu : All eyes on Palestine.



iMichel Foucault, Surveiller et Punir – Naissance de la Prison, Ed. Gallimard, 20 novembre 2013 (version numérique), 1975 version papier

iiNPR, 31 octobre 2023, bombardement du camp de Jabalia https://www.npr.org/2023/10/31/1209763194/the-latest-on-israels-bombing-of-the-largest-gazan-refugee-camp
Al-Jazeera, 13 juillet 2024, bombardement du camp d’Al-Mawasi https://www.aljazeera.com/features/2024/7/13/israeli-air-raid-on-al-mawasi-kills-90-people-what-we-know-so-far
The Guardian, 18 juin 2024, camps de Nuseirat et de Bureij https://www.theguardian.com/world/article/2024/jun/18/palestinians-killed-gaza-refugee-camps-israeli-strikes-say-medics

iiiThe Guardian, 10 novembre 2023, Hôpital al-Shifa https://www.theguardian.com/world/2023/nov/10/netanyahu-says-israel-is-not-seeking-to-occupy-gaza
The Guardian, 18 novembre 2023, Hôpital al-Ahli al-Arabi https://www.theguardian.com/world/2023/oct/18/they-believed-it-was-safe-death-toll-rising-blast-gaza-hospital

ivThe Guardian, 4 août 2024, https://www.theguardian.com/world/article/2024/aug/04/gaza-hospital-strike-tel-aviv-stabbing-us-israel-ceasefire-talks
The Guardian, 11 juillet 2024, école al-Awda, https://www.theguardian.com/world/article/2024/jul/10/a-game-of-football-a-boom-then-scattered-bodies-video-shows-moment-of-israel-strike-on-gaza-school

vThe Guardian, 29 mai 2024, https://www.theguardian.com/commentisfree/article/2024/may/29/rafah-safe-area-humanitarian-zone-palestinians-israel
The Guardian, 3 décembre 2023, https://www.theguardian.com/world/2023/dec/03/airstrikes-leave-no-safe-place-for-palestinians-in-southern-gaza

viMediapart, 11 février 2024, recense 106 journalistes tués au 31 mai 2024 https://www.mediapart.fr/studio/panoramique/journalistes-gaza-les-visages-du-carnage
The Guardian, 25 juin 2024, https://www.theguardian.com/world/article/2024/jun/25/voices-buried-beneath-rubble-gaza-wars-deadly-toll-journalists
AP News, 21 juillet 2024, https://apnews.com/article/paris-olympics-lebanon-israel-journalists-afp-assi-9de5b684d6bbf80b8faa569981030444

viiThe Guardian, 2 avril 2024, https://www.theguardian.com/world/2024/apr/02/charities-halt-gaza-operations-after-israeli-drones-kill-aid-workers
The Guardian, 14 mai 2024, https://www.theguardian.com/world/article/2024/may/14/israel-strikes-aid-groups-gaza-october-human-rights-watch
The Guardian, 6 novembre 2023, https://www.theguardian.com/global-development/2023/nov/06/israel-hamas-war-deadliest-for-un-aid-workers-agency-leaders-ceasefire-call

viii20 Minutes, 28 février 2024 https://www.20minutes.fr/arts-stars/cinema/4078807-20240228-veux-culpabilite-reagit-israelien-yuval-abraham-accuse-antisemitisme-berlinale

ixLe Figaro, 29 février 2024 https://www.lefigaro.fr/cinema/accuse-d-antisemitisme-apres-son-discours-a-la-berlinale-l-israelien-yuval-abraham-maintient-ses-propos-20240229

x+972 Magazine, 30 novembre 2023 https://www.972mag.com/mass-assassination-factory-israel-calculated-bombing-gaza/

xiRaphaël Enthoven, 10/10/2023 20h58 sur BFMTV On retrouve la séquence ici : https://twitter.com/caissesdegreve/status/1711900001817723288
0ou si vous n’aimez pas twitter: https://xcancel.com/caissesdegreve/status/1711900001817723288?ref_src=twsrc%5Etfw

xiiCaroline Fourest, 29 octobre 2023, BFMTV, https://twitter.com/BFMTV/status/1718693649410830513
et pour éviter twitter : https://xcancel.com/BFMTV/status/1718693649410830513#m

xiiiSur son compte Twitter : https://twitter.com/CarolineFourest/status/1718878528383361401#m ou https://xcancel.com/CarolineFourest/status/1718878528383361401#m

xivFrance Info, 7 février 2024, https://twitter.com/glupatate/status/1783544623287181640 ou https://xcancel.com/glupatate/status/1783544623287181640

xv Céline Pina, Cnews, 6 novembre 2023 : https://twitter.com/glupatate/status/1783544599086047546 ou https://xcancel.com/glupatate/status/1783544599086047546

xviThe New Statesman, 3 août 2024 https://www.newstatesman.com/world/middle-east/2024/08/what-a-surgeon-saw-in-gaza

xviiGrégoire Chamayou, Théorie du drone, La Fabrique, 2016

xviii+972 Magazine, 4 avril 2024 https://www.972mag.com/lavender-ai-israeli-army-gaza/

xix Breaking the Silence, 2020, https://www.breakingthesilence.org.il/testimonies/database/424318

xx Disclose, 14 novembre 2023 , https://disclose.ngo/fr/article/la-police-nationale-utilise-illegalement-un-logiciel-israelien-de-reconnaissance-faciale

xxiTime, 8 avril 2024, https://time.com/6964364/exclusive-no-tech-for-apartheid-google-workers-protest-project-nimbus-1-2-billion-contract-with-israel/

xxii+972 Magazine, 3 août 2024, https://www.972mag.com/cloud-israeli-army-gaza-amazon-google-microsoft/

xxiii RFI, 15 mai 2024, https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20240515-guerre-%C3%A0-gaza-les-seuls-morts-que-l-on-recense-aujourd-hui-ce-sont-ceux-qui-sont-apparents

xxiv France24, 11 juillet 2024, https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20240711-gaza-estimation-lancet-bilan-186-000-morts-palestiniens-israel-medecins-monde-calcul-hamas

xxv UN News, 28 mars 2024, https://news.un.org/en/story/2024/03/1148096

xxvi Raz Segal, JewishCurrents, 13 octobre 2023, https://jewishcurrents.org/a-textbook-case-of-genocide

xxviiAmos Goldberg, 18 avril 2024, https://thepalestineproject.medium.com/yes-it-is-genocide-634a07ea27d4

xxviii Omer Bartov, New York Times, 10 novembre 2023, https://www.nytimes.com/2023/11/10/opinion/israel-gaza-genocide-war.html

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