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Billet de blog 1 février 2015

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Non, la jeunesse n'est pas révolutionnaire

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 C'est une idée aussi partagée que fausse : le discours dominant voudrait que la jeunesse soit éminemment révolutionnaire et vouée corps et âme au renversement des institutions et des valeurs. A un monde sans pitié, mû par la seule volonté du gain, peuplé de vieux conservateurs, s'opposerait un corps générationnel clairement défini, cohérent et uni, brandissant solidarité, chaleur humaine et justice comme étendards. Il faut battre en brèche cette vision naïve, héritée des images de mai 68, qui relève bien plus de l'idéologie et de l'angélisme d'une culture dominante que de la réalité. Non pas que la jeunesse n'a pas de potentiel subversif. Mais l'idée même de révolution est peu partagée parmi ses membres. Par ailleurs, on ne peut que douter de son unité, pourtant présupposé essentiel pour un groupe qui se revendiquerait révolutionnaire.

Il n'y a pas une jeunesse, mais des jeunesses. Les fractures qui les séparent sont grandes, parfois immenses, appelées à s'agrandir, et nombreuses. Fractures sociales d'abord. On ne peut mettre dans une même catégorie les jeunes issus de milieux aisés et des jeunes des classes populaires. Jouissant du confort matériel que lui apportent les revenus des parents, l'enfant de cadre(s) peut s'adonner à cœur joie aux considérations intellectuelles par la lecture, et rêver, vautré dans son canapé, d'une société transformée. Une chance que n'ont pas toujours les jeunes issus de classes populaire. D'une part, ils n'en ont pas le temps : le travail passe avant toute autre chose. D'autre part, la culture intellectuelle n'y a pas une place prépondérante ; l'homo laborius est plus apprécié que le philosophe. Question d'éducation. Le livre et la réflexion, sont, en général, des outils plus propres aux classes moyennes et aisées qu'aux classes populaires. A cela s'ajoute la distinction entre les étudiants et les travailleurs -qui ne correspond pas nécessairement au dualisme classes moyennes-classes populaires- souvent oubliée par les médias, obnubilés par les premiers. Si les universités françaises sont plus remplies que jamais dans l'Histoire (environ 2,4 millions d'étudiants inscrits en 2014), la part des jeunes « actifs » (qui ont trouvé un emploi ou non) reste considérable. L'expérience qu'ils font de la vie est fondamentalement différente, les uns vivant au rythme de la voix du professeur, de l'encre coulante sur la feuille blanche ou du tapotement sur les touches de clavier d'ordinateur, les autres à celui des cris hystériques des femmes au moment des soldes, du brouhaha des centre-aérés, du vrombissement du scooter pour livrer la pizza à dix heures du soir … Une autre séparation s'opère également entre jeunes des couches populaires françaises « de souche » et ceux issus de l'immigration, en témoignent les résultats du FN qui pointent une adhésion croissante des premiers au discours anti-immigration. Ce fossé à la fois social et culturel se creuse de plus en plus. La précarisation du travail peu qualifié, la nécessité croissante d'être titulaire du baccalauréat, la libéralisation du marché de l'emploi, sont autant d'éléments qui contribuent à séparer les jeunes selon les couches sociales auxquelles ils appartiennent.

Par ailleurs, l'idée de révolution est loin de faire l'unanimité au sein de la jeunesse. Quoiqu'en disent les Edwy Plenel, les Libération, exaltant « ce désordre vital, cette jeunesse qui bouscule le présent, invente le futur », un bousculement dans l'ordre des choses n'est pas souhaitable pour tous. Ce n'est pas parce qu'on exige de Bruxelles un peu plus de « social », qu'on envahit les rues et déserte les classes parce qu'une jeune Rom va se faire expulser, ou qu'on tressaille lorsqu'une voix tranchante s'exclame « le changement c'est maintenant », que l'on est révolutionnaire pour autant. Au contraire la jeunesse démontre, d'une manière générale, un certain attachement au confort matériel qu'offrent le capitalisme et ses produits : qu'il s'agisse de vêtements en solde, téléphones portables, mais aussi des quantités industrielles exhibées dans les hypermarchés, on ne voit guère de large mouvement de contestation de l'ordre néolibéral au sein de la jeunesse. On constate donc une fidélisation de fait des jeunes à ce modèle de société qui les encadre. Pourtant, ils râlent, ils pestent contre le « système », ils votent Le Pen ou ne votent carrément pas, ils veulent -sincèrement- autre chose, et ce plus que leurs aînés. Un « autre » système. Mais quoi ? Le surplus d'informations, le brouillage idéologique auxquels la jeunesse fait face et l'expérience singulière de la globalisation des échanges et des cultures l'empêche d'en saisir de clairs contours. S'agit-il d'une volonté de renverser le capitalisme ? De faire naître une société « écologique » ? Tantôt oui, tantôt non. Les idées se croisent et ne se ressemblent pas. Le paradoxe réside en fait dans la sympathie envers les figures et les idées révolutionnaires, sans que les gestes du quotidien ne changent pour autant. On rêvasse, mais on ne fait rien. Ainsi, la contestation jeune, si elle existe, ne doit pas être confondue avec l'expression d'idéaux révolutionnaires.

Quoiqu'il en soit, le potentiel subversif de la jeunesse s'impose comme une évidence. Dans tous les épisodes révolutionnaires de l'Histoire, Révolution française, Trois Glorieuses, Commune, elle a joué un rôle central ; depuis mai 68, elle est souvent la première à battre le pavé et élever la voix. Pourtant, rien ne semble à l'heure actuelle en mesure de stimuler un large élan révolutionnaire de sa part. Aussi son rapport à la révolution revêt un caractère singulier : elle en est capable, mais ne la veut pas. Pour l'instant, du moins. Car il n'est pas certain que la perspective peu envoûtante de l'austérité économique, du chômage de masse, de la destruction de la planète et de l'épuisement des ressources ne débouche pas sur un profond changement, dont elle pourrait prendre la tête.  

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