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Si le débat autour de la lutte contre l'antisémitisme et son instrumentalisation n'a rien de nouveau, il s'est amplifié depuis janvier avec la tenue d'un colloque « 80 ans après la libération d'Auschwitz, penser le fait génocidaire » par les organisations juives antisionistes Tsedek! et l'Union Juive Française pour la Paix (UJFP). Dans son style habituel, Marianne a produit un article à charge et manipulateur, ouvrant une polémique symbolisée par une tribune dans Libération contre les organisateurs et en particulier l'un des intervenants, Rony Brauman.
Ce dernier a répondu dans une lettre, accompagnée par un texte de Sylvain Cypel qui critique à juste titre la tentation d'une « concurrence victimaire » de ceux qui cherchent inlassablement à comparer ou renvoyer les crimes commis contre les Palestiniens à ceux commis pendant la Shoah. Cypel ajoute : « Je ne crois pas que dans les moments que nous vivons, des temps où les massacres collectifs de population sont quotidiens et où un président américain prône une « solution de la question palestinienne » par l’épuration ethnique, nous devons passer notre temps à nous dénoncer mutuellement. [...] Je connais des gens (aux États-Unis) qui se disent toujours sionistes et qui utilisent le terme de génocide pour caractériser ce qui advient à Gaza ; et d’autres Juifs qui sont antisionistes, ou non-sionistes, et qui récusent ce terme. Mais ils peuvent signer ensemble des pétitions pour dénoncer la menace de Trump, soutenue avec enthousiasme par Netanyahou, pour empêcher qu’un nouveau nettoyage ethnique advienne à Gaza. »
Particulièrement ciblé par la polémique ouverte par Marianne et alimentée ensuite par Franc-Tireur, Tsedek! répond dans une tribune publiée par L'Humanité et Le Media : « Qui sont les Juif.ves antisionistes ? » pour dénoncer : « Selon des modalités diverses, c’est un même procès en traîtrise vis-à-vis des Juif.ves que nous intente ainsi l’intégralité de l’arc sioniste.» Comme j'ai pu l'expliquer dans d'autres publications, il peut légitimement y avoir un débat sur les positions prises par Tsedek! ou l'UJFP, mais cela ne doit à aucun moment donner du crédit aux campagnes qui les ciblent, allant jusqu'à remettre en question leur judeite. Le renouvellement d'un judaïsme antisioniste (ou non-sioniste) et décolonial, en cours en Europe, mérite notre soutien.
Le debat prit encore une autre ampleur après la publication d'une tribune dans Le Monde accusant la gauche d'avoir trahie vis-à-vis de l'antisémitisme. Ce texte, dont l'inconséquence politique sera difficilement égalable, a produit trois réponses que je présente succinctement dans leur ordre de publication.
1. D'abord, une tribune en réponse parait dans Le Monde : « Français juives et juifs, nous appelons à mener le combat contre l’antisémitisme en refusant son instrumentalisation » signée entre autres par Alice Cherki, Eyal Sivan, Simone Bitton ou Dominique Vidal, afin de dénoncer l'instrumentalisation de la lutte contre l'antisémitisme qui, mécaniquement, fragilise la bataille fondamentale contre ce racisme : « Disant cela, nous combattons l’antisémitisme qui s’appuie sur des amalgames insupportables. Nous combattons l’antisémitisme en refusant de laisser croire que tout juif serait solidaire, et donc complice, des crimes contre l’humanité en cours à Gaza. Nous combattons l’antisémitisme en condamnant une politique de colonisation permanente et la négation des droits nationaux du peuple palestinien, et donc son droit à un État. »
2. Dans le même temps, Esther Benbasa et Jean-Christophe Attias publient un texte commun dans Le Nouvel Obs, « Juifs de gauche, posons les bonnes questions sur l’antisémitisme et au-delà », pour pointer l'impasse de la tribune critique envers la gauche. S'ils dénoncent l'attitude d'une partie de la gauche vis-à-vis de l'antisémitisme, ils constatent l'impasse de cette posture si elle écarte dans le même temps le débat fondamental sur Israël-Palestine : « Juifs de gauche, nous nous sommes certes sentis trahis par une bonne partie de la classe politique française. Et cette trahison nous l’avons vécue douloureusement. Mais elle n’est pas la seule. L’autre grande trahison qui ne passe pas est cette hâte d’un certain nombre de responsables communautaires et d’intellectuels juifs à justifier ou à tenter de faire oublier les horreurs commises par Israël à Gaza, c’est cette obstination de beaucoup à nous embarquer malgré nous, juifs de la diaspora, dans les aventures sanglantes d’un Etat qui se prétend l’Etat-nation du peuple juif, mais qui a décidé de se déclarer tel sans solliciter notre avis. »
3. Enfin, l'historienne Sophie Bessis enfonce le clou dans un texte personnel, « Réponse aux « juifs de gauche » », paru sur son blog Mediapart : « Un dernier mot avant de clore et pour répondre à la protestation des signataires : rien ne m’avait préparée, moi, « juive de gauche », au silence de nombre d’intellectuels et de penseurs « bardés de bonne conscience et de vertu » devant l’horreur qui se perpétue à Gaza et se reproduit en Cisjordanie et au Sud du Liban. Mais force m’est aujourd’hui de le constater. »